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L’université sous vide - Stelios Fotinopoulos, Okeanews, 29 octobre 2014

jeudi 30 octobre 2014, par Hélène

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C’était en 1996, lorsque le changement de dirigeant au PASOK mettait au devant de la scène une théorie qui était loin de servir un des préalables fondamentaux de la démocratie qu’est le débat politique. La modernisation, en tant qu’arme de base de la nouvelle étape à laquelle K. Simitis souhaitait amener le pays avait pour principal pilier la négation de l’idéologie et, de ce fait, le refus du débat politique en tant que condition du régime démocratique.

Ensuite, il a été remplacé par un nouveau type de technocratie "politique" qui, au fond, réalisait le "raisonnable" et "l’évident" alors que, en réalité, il semblait adhérer absolument à ce qu’il prétendait être venu renverser, l’idéologie et, notamment, la doctrine néolibérale. Cette nouvelle étape nécessitait un minimum de frictions idéologiques et, de ce fait, fut qualifiée par ses inspirateurs d’oasis du "rationnel", contre les références idéologiques du passé.

L’Université, en tant que principal dispositif de reproduction de savoir, d’idéologie et, donc, de pouvoir, a réussi à demeurer -sous un régime d’absence de débat - un espace où les étudiants discutent et débattent avec les professeurs et les travailleurs, marquent leur accord ou leur désaccord et produisent à nouveau des caractéristiques collectives. Mais, à présent, l’Université fait l’objet d’une attaque d’un type différent. L’héritage de la modernisation impose, de nos jours encore, une université où chacun "fait son boulot", sans qu’il soit nécessaire de trop discuter de l’orientation du boulot ni de la question de savoir s’il est utile sur le plan social.

Ainsi, il se crée une normalité. Et, celui qui ne la suit pas est immédiatement marginalisé. Les américains décrivent cette situation par l’expression you have to get the job done (il faut que le boulot soit fait). Le débat devient un luxe et, ainsi, la démocratie devient une ankylose superflue. La condition nécessaire est de créer une structure qui désactivera de facto les réflexes et marginalisera les étudiants par rapport aux organes collectifs de l’établissement.

Il est clair que les universités grecques ont des problèmes. Elles fonctionnent au ralenti à cause des licenciements de personnel et du manque de financement, elles ne peuvent pas soutenir la recherche étant donné que la notion même de recherche est inexistante, ne fut-ce qu’en tant que rubrique dans les budgets de l’État des nombreuses dernières années. Mais, elle constitue le dernier espace social de masse où le débat fleurit, même dans des structures et des procédures parfois faussées. C’est l’université grecque qui offre la possibilité d’une osmose entre gens de niveaux, de profils économiques et d’origines différents. C’est l’espace qui, du fait précisément de son caractère massif et de l’éternelle flamme qui, tantôt dort, tantôt met le feu à la vallée, constitue un espace dangereux pour tout type de normalité. Et elle est clairement l’espace où, si le pouvoir politique réussit à le contrôler, l’on pourra parler d’une défaite de la société, sur tous les plans.

Dans ce sens, il nous est impossible d’imaginer une université sans les caractéristiques structurelles qui la constituent, sans s’apercevoir que le savoir est marqué d’un signe positif ou négatif et n’existe pas sous vide. Privée de l’auto-administration, tout en étant un élément vital des processus sociaux. L’objectif même de l’université se soumet aux besoins sociaux de chaque ère. Nul besoin de rappeler que les universités les plus grandes et les plus respectables du monde développent des programmes qui incorporent des notions telles que l’économie sociale, l’auto-organisation, la collectivité, la désobéissance sociale, notions que l’État et le pouvoir politique désapprouvent avec dégoût.

Et, en Grèce ? En Grèce, le recteur de l’Université Capodistria d’Athènes semble envier la polices es campus des universités étrangères mais nullement leurs programmes de recherche. Il semble vouloir imposer que la voix des étudiants soit exclue des organes collectifs de l’université, mais ne semble pas vouloir imposer la dignité et la décence dans les relations de travail qui y prévalent. Il ne proteste pas contre les musclés que les groupes d’étudiants proches du gouvernement amènent, mais il est dérangé quand les étudiants organisent des assemblées et défendent l’université publique.

Mais, même concernant la question de la garde, qui semble préoccuper le gouvernement et M. Fortsakis, la situation dans les plus grands établissements universitaires étrangers est totalement différente. Il serait difficile de croire qu’un recteur et que le ministère ne connaissent pas les exemples qu’ils invoquent.

Nikos, étudiant de 3e cycle à Berkeley de Californie, souligne qu’il n’y existe ni "face control" ni garde rapprochée sur le campus. Il y a des employés de l’université, dont la présence est discrète, et qui n’ont rien à voir avec les sociétés privées de sécurité. L’administration de l’université, elle-même, refuse d’instaurer les cartes spéciales pour les membres de la communauté universitaire, puisque Berkeley et ses activités sont ouvertes à la société locale de San Francisco.

La situation est à peu près la même à l’Université polytechnique de Munich où Giannos, ingénieur qui fait des études de maîtrise, se souvient des bâtiments et des entrées ouvertes à tout le monde, en semaine, et dont l’entrée centrale était gardée uniquement le soir et pendant les weekends, sans pour autant imposer de contrôle d’identité à toutes les personnes qui s’y rendaient.

De même, Akis, de l’ΕΤΗ à Zurich, explique que les bâtiments universitaires ne sont pas entourés de clôtures, mais sont ouverts à tout le monde, à l’exception des dimanches et des nuits, où il existe un système avec laissez-passer et code personnel. Les employés de sociétés de sécurité privées sont, ici aussi, absents.

À l’université de Londres et, notamment, à l’University College London où j’ai passé la dernière année, les bâtiments - y compris ceux où se trouvent les bureaux de l’administration de l’université, sont ouverts au monde et aux étudiants. Le seul endroit où il est nécessaire de disposer d’une autorisation pour y pénétrer, c’est la bibliothèque et, ce, pour une raison évidente : des archives historiques énormes y sont conservées. Mais, même là, il suffit d’une procédure de deux minutes, pour obtenir le laissez-passer nécessaire.

On peut se poser la question de savoir pourquoi, en Grèce, le débat tourne presque toujours autour de grandes citations et de ce qui est facile sur le plan communicationnel. Pourquoi il a rarement trait à l’essentiel. Le fait qu’un doctorant de l’université Panteio soit tenu de faire de la recherche et, en réalité, travailler gratuitement pour plus de trois ans, ne préoccupe personne.

Le fait que, dans la majorité des universités grecques, le manque de financement empêche tout débat sérieux sur l’avenir de l’éducation publique ne fera pas sortir M. Fortsakis de ses gonds. Au contraire, il est dérangé par les mobilisations des étudiants qui luttent pour que cette situation change.

Étant dans l’impossibilité de rappeler les principes fondamentaux des Lumières, la modernisation tend plutôt vers le Moyen Âge. Là où le besoin de liberté et de démocratie ne suit pas le statu quo politique, tant pis pour celles-ci.

Source


Stelios Fotinopoulos fut le coordinateur du groupe grec de l’organisation de l’Altersommet en 2013. Il publie assez régulièrement sur différents médias indépendants en Grèce.