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Sélection à l’université : « Pire que le tirage au sort ! » - Diacritik, 12 février 2018
lundi 12 février 2018, par
Nous, professeurs de lycée, sommes confrontés aujourd’hui aux côtés de nos élèves au nouveau système ParcourSup censé garantir l’accès au post-bac pour les élèves de Terminale. L’État a prétendu par la voix de Jean-Michel Blanquer, Frédérique Vidal et Emmanuel Macron que ce système permettrait de remédier à l’injustice flagrante qui avait ému l’opinion l’an dernier : la sélection arbitraire des bacheliers par tirage au sort. En vérité, cette nouvelle fake news étatique est là pour cacher l’absence flagrante de toute politique de création de postes dans le Supérieur et de construction de nouvelles universités qui, de fait, prive un grand nombre d’élèves de toute poursuite d’études. C’est ainsi, au bas mot, l’équivalent de dix Universités qu’il faudrait créer pour accueillir dignement les élèves.
Nous constatons aujourd’hui que le nouveau système ParcourSup propose une sélection encore plus injuste que ce tirage au sort pourtant si décrié. En effet, cette sélection va s’opérer à partir des pires préjugés sociaux. Un premier écrémage s’est déjà effectué sur la base d’une intimidation et d’une autocensure des élèves qui manquent d’un capital culturel que ne peut malheureusement pas leur donner l’école : comment répondre sans l’arrogance et sans l’aplomb qui sont le privilège des privilégiés à des questions qui demandent notamment ce que l’on sera dans 10 ans quand on n’a parfois pas même 18 ans ? Comment compléter pour chacun des 10 vœux, en prépa comme dans la moindre des licences, le dossier exigé comprenant un CV, une lettre de motivation de 300 signes, des justificatifs d’une activité socialement valorisable (BAFA, délégué de classe, porte-drapeau, clubs sportifs, etc.) ? Cette exigence a d’ailleurs favorisé l’apparition de petites entreprises hautement lucratives et cyniques qui se proposent, en échange de la somme de 320 euros, de monter, mener et boucler un dossier aussi titanesque. Qui, plus trivialement, dispose des moyens matériels nécessaires et des réseaux pour le finaliser (scanner pour restituer copie des bulletins et autres lettres de recommandation glanées ici ou là auprès de connaissances plus ou moins haut placées et incidemment valorisantes) ?
Pour ceux qui auraient franchi avec succès cette première étape, dont la discrimination sociale et territoriale ne fait pas grand mystère, vient à présent le moment de l’examen des dossiers par les établissements du Supérieur. C’est maintenant grâce à nos collègues universitaires que nous sommes informés de la monstruosité absolue de la sélection et de ses modalités. Effectivement, étant donné qu’aucun moyen supplémentaire humain n’a été alloué, la simple lecture et consultation des dossiers dûment complétés s’avèrent impossibles. Ainsi ceux-ci nous ont appris qu’aurait été mis à disposition un algorithme applicable sur les bulletins de notes des élèves qui permet leur pondération en fonction des établissements d’origine. Ainsi pour prendre l’exemple de la région parisienne, une note 14/20 obtenue dans un lycée du 93 vaudrait 12 alors que la même note obtenue dans un grand lycée parisien vaudrait 18. La chose est aisée à croire car, en l’état de pénurie de moyens, comment ne pas réinstaurer un arbitraire en sélectionnant sur la dernière réalité objective, la terrible inégalité sociale et territoriale ? Comme nous l’ont dit certains élèves conscients de ce que toute leur classe d’âge allait être sacrifiée, « c’est pire que le tirage au sort » qui, de fait, leur laissait la chance de la chance.
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