Accueil > Université (problèmes et débats) > Parcoursup, ORE etc… > Parcoursup, le niveau qui baisse et la théorie des mariages stables (1/2) - (...)

Parcoursup, le niveau qui baisse et la théorie des mariages stables (1/2) - Groupe Jean-Pierre Vernant, 19 avril 2018

vendredi 20 avril 2018, par Laurence

"Pourquoi s’opposer à une loi sur le mode du “non à…” quand il y a pareille nécessité à tout recommencer, à tout reconstruire, à tout ré-instituer à partir de l’idée même d’Université ? N’est-il pas temps qu’une coordination des universitaires voie le jour, qui porte les exigences d’une pareille auto-institution ?"

Le moment est propice à un mouvement offensif de refondation de l’Université, dans un retour aux sources [1]. Comment, à partir de nos pratiques, repenser l’institution sociale dédiée à la production, à la transmission, à la critique et à la conservation des savoirs ? Comment reprendre possession de nos métiers et, simplement, faire ? Ce point de vue, stratégique et fondateur, à l’opposé de toute tentation réactionnaire faisant miroiter un âge d’or auquel il s’agirait de revenir, nous avait jusqu’à présent retenus de formuler une analyse des réformes du baccalauréat et de la licence. Pourquoi s’opposer à une loi sur le mode du “non à…” quand il y a pareille nécessité à tout recommencer, à tout reconstruire, à tout ré-instituer à partir de l’idée même d’Université ? N’est-il pas temps qu’une coordination des universitaires voie le jour, qui porte les exigences d’une pareille auto-institution ? Les textes critiques consacrés à ParcourSup et à la loi Vidal [2] laissent pendantes plusieurs questions importantes, auxquelles nous consacrerons un billet en deux parties [3]— mais trois points :

* Les algorithmes qui sous-tendent les systèmes APB et ParcourSup sont radicalement différents. Que nous apprend leur comparaison sur l’idéologie des hauts-fonctionnaires qui ont conçu ParcourSup et sur leurs capacités de mise en œuvre ? Que va-t-il se passer lors du crash-test en conditions réelles, la dernière semaine de mai ?
* La loi Vidal suscite l’adhésion d’une partie significative des universitaires, insoupçonnables de croire aux éléments de langage indigents propagés du ministère aux militants d’En Marche en passant par les bureaucraties universitaires [4].. Dès lors, à quels problèmes réels pensent-ils que cette loi répond ? Comment poser correctement les problèmes du niveau des étudiants et des rapports entre Université et grandes écoles ?
* Les réformes en cours ne sont pas des mesures techniques puisqu’elles ont été théorisées dès le rapport Aghion-Cohen de 2004 [5]. Dès lors, il devient primordial de remettre ces mesures en perspective par rapport au projet global de mutation du système universitaire, d’essence néolibérale. et ces de dégradation continue, le cœur de la reconstruction nécessaire d’un système scolaire fondé sur l’exigence, la liberté et l’émancipation.

Ce qui a buggé dans APB, ce n’est pas le logiciel, mais bien l’Etat. — Cédric Villani

Le passage du système APB [5]] au système ParcourSup traduit une tentative de plateformisation gestionnaire de l’Etat, ici pour orienter les bacheliers dans les filières d’enseignement supérieur. De prime abord, il s’agit d’affecter au mieux 887 681 étudiants dans 13 200 formations, ce qui constitue un problème d’optimisation bien posé en théorie des jeux : le “problème des mariages stables”. Sa résolution nécessite d’avoir posé au préalable les critères en vertu de quoi l’optimisation est opérée, c’est-à-dire le choix politique, l’idéologie. Dans le système APB, les candidats formulaient des vœux ordonnés. L’affectation y était faite de sorte à optimiser globalement les formations proposées aux étudiants selon l’ordre de préférence qu’ils avaient au préalable spécifié, en suivant le meilleur algorithme connu pour le problème des mariages stables : celui conçu par Gale et Shapley en 1962. Ainsi, APB a pu réussir à attribuer un vœu à 4 étudiants sur 5 dès le premier tour, témoignant de la puissance de l’algorithme pour remplir l’objectif politique assigné.

A l’évidence, la plateforme ParcourSup ne vise pas le même objectif puisqu’elle repose sur les règles suivantes :

* Les candidats ne classent plus leurs vœux mais fournissent des éléments d’appréciation de leur “capital humain” (notes scolaires, lettres de motivation, CV, lycée d’origine, hobbies, etc., ce qui fournit des indications claires sur leur milieu social). [6]
* Les universités sont dotées d’outils de classement des candidats, locaux et opaques, permettant de contourner la loi Informatique & Liberté, qui prohibe toute décision fondée sur un algorithme aveugle.
* Les résultats seront donnés de manière synchrone et les choix des candidats se feront “au fil de l’eau”.

ParcourSup est en premier lieu une entreprise de contrôle des subjectivités, conforme à la théorie du capital humain [7] . Ce contrôle passe par un système de normes produites par la techno-bureaucratie et qu’il s’agit de faire intégrer aux universitaires, aux étudiants et à leurs familles : il s’agit de les occuper — au sens commun comme au sens militaire. En imaginant que l’on puisse classer un candidat en passant 5 minutes sur son dossier, le classement des 7 millions de vœux déposés sur ParcourSup consommerait en pure perte deux siècles de travail — 80 000 journées de 7 h. On réalise alors que le CV et les lettres de motivation ne serviront pas à classer les candidatures : elles ne sont exigées que pour imposer l’image d’un recrutement professionnel et faire disparaître le baccalauréat comme certification nationale ouvrant droit aux études universitaires. L’anxiété que ces éléments aussi absurdes qu’inutiles a généré dans les familles des lycéens a donc été pensée pour marquer les esprits.

Pour lire la suite


[1Des grandes écoles se vantant d’être sélectives mais souffrant de demeurer invisibles dans l’inepte classement de Shanghai opèrent le mouvement inverse, se contentant d’usurper le label “université”, comme si ce changement cosmétique pouvait leur conférer la grandeur de celle-là…

[2Les enjeux cachés de la réforme du bac. Stéphane Beaud
La réforme Macron de l’université. Stéphane Beaud et Mathias Millet
[ParcoursUp, une réforme conservatrice->https://aoc.media/analyse/2018/02/06/parcoursup-reforme-conservatrice/].Romuald Bodin et Sophie Orange
Sélection à l’université : idées fausses et convergences inattendues. Philippe Coulangeon
"En marche" vers la destruction de l’université. Eric Berr et Léonard Moulin
Les étudiants livrés au marché de l’anxiété. Annabelle Allouch
Tribune-pétition de soutien aux étudiants. Collectif
Diaporama de réponse de Sauvons l’Université. Mariannick Dagois, Laurence Giavarini, Élie Haddad et Valérie Robert

[3Dont la première s’inspire largement du post de blog « Les trompettes de parcoursup » sur Mediapart de « Ingénieur différent » à lire ici(note de SLU)

[4Dans un premier temps, les éléments de langage à répéter en boucle étaient : “Etre contre ParcoursUp, c’est être pour le tirage au sort.”, “Nous investissons un milliard dans l’Université.”, “Ce n’est pas une sélection, c’est une orientation qui met l’étudiant au cœur du système.”, “Les examens, c’est la sélection par l’échec.”, “Il faut arrêter la désinformation.”, etc. Le perroquet doit maintenant disqualifier le mouvement étudiant : “Le mouvement est minoritaire et vient d’agitateurs professionnels politisés.” “Cette minorité prend en otage pour planter les partiels.”, “Des éléments violents”, “Rien de commun avec 68 où il y avait un vrai rêve ; en 2018, il y a une véritable angoisse à laquelle il faut répondre par plus de pédagogie”.
Contredire ces mots d’ordre nécessiterait un travail à temps plein. Prenons un exemple. Pour connaître le budget de l’Université, il convient de regarder dans les jaunes budgétaires jaunes budgétaires, non l’enveloppe budgétaire globale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (qui augmente pour financer le déplafonnement du Crédit d’Impôts Recherche) mais les programmes 150 et 231. Il apparaît alors que ce budget est passé de 13,01 milliards € à 13,19 milliards € entre 2017 et 2018, sans prendre en compte de possibles annulations de crédits en fin d’année. Cette différence correspond exactement à l’inflation. Du milliard annoncé il n’existe pas le plus petit centime. Pour plus d’information, on pourra se reporter au diaporama de réponse de Sauvons l’Université

[6Cette règle a fait la fortune d’officines douteuses de coaching en orientation.

[7Nous allons consacrer le troisième volet de notre synthèse sur le néolibéralisme à la théorie du capital humain.