Accueil > Actualités et humeurs > Les quatre-vingts ans du CNRS à la Mutualité - SLU y était, 1er février (...)

Les quatre-vingts ans du CNRS à la Mutualité - SLU y était, 1er février 2019

samedi 2 février 2019, par PCS (Puissante Cellule Site !)

Perinde ac Cadaver. [1]

De notre Slutiste embeddé à la Mutualité. [2] [3]

Le premier Ministre Edouard Philippe prononçant ce vendredi 1er Février un discours à la Mutualité à l’occasion du 80ème anniversaire du CNRS en présence de la ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche, de l’Innovation et des startups disruptives de Xavier Niel à la station F, discours où il exposera l’ambition du Gouvernement en matière de recherche dans les années à venir, la cheffe de SLU (eh oui, les enjeux, et je dirais même, les challenges, du troisième millénaire imposent que même les collectifs se placent, eux aussi, sous la coupe d’un leadership fort et incarné), la cheffe de SLU m’avait interpellé. Flûte je viens encore de faire une de mes phrases proustiennes ...

« Bon, écoute coco, notre PCS (puissance cellule site) n’arrête pas de mettre sur le site de SLU des infos toutes plus déprimantes les unes que les autres. Il est vrai que tout ce qui s’est passé, se passe, ou va se passer sur l’enseignement supérieur et la recherche est abominable et désespérant (sauf bien sûr ParcourSup qui est un immense succès).
C’est la cata coco : que cela te plaise ou pas, il faut que tu retournes t’embedder dans cette visite première-ministérielle, car la Mutu c’est juste à côté de ton université. Le discours du premier ministre est à 9h30
(Pool TV + photographes + radios + rédacteurs).
L’ambition du Gouvernement en matière de recherche dans les années à venir, cela ne devrait pas être long, tu seras rentré presque avant d’y être allé. Tu nous fais une de tes petites saillies drôlatiques. »

Bon je n’ai pas le choix, mais j’ose, néanmoins, une timide question : « Est-ce que je pourrais, au moins, citer Saint-Simon, Shakespeare ou Eugène Cloutier ? »
« Ah ça, je te l’interdis bien ! Tu arrêtes de faire le cuistre, et dans le même ordre d’idée tu ne nous fais pas un de tes textes de 18 pages comme les dernière fois. Une étude récente a montré que 39% des universitaires français et jusqu’à 91% des universitaires fortement impliqués dans le management par projet, ne savent plus lire que des powerpoints et que, pour 77% d’entre eux, leur capacité de concentration ne dépasse pas, en moyenne, les 2 minutes 50 secondes, alors que c’était encore 6 minutes trente il y a cinq ans !

Alors, coco, tu es gentil : tu ne dis rien de mal sur l’ANR, le CIR, le CICE, Jean-Pierre Jouyet, Alain Fuchs et sa prime de 180000 euros, ta DGS avec sa prime de 48000 euros qui repart au Conseil d’Etat ou dans une Haute autorité à 15000 euros mensuels ; tu fais court, tu fais drôle et tu te calmes au niveau des citations. » Après m’avoir ainsi douché la chef(e) [4] me donne un encouragement que seuls les vrais patrons peuvent oser :
« Tu vas les bouffer. T’es plus fort qu’eux, c’est pour ça que je t’ai auprès de moi !! »

Arrivé aux abords de la Mutualité, je me fraye, avec la plus grande difficulté, un passage au milieu de la meute déchainée de syndicalistes qui hurlent « 80 postes CNRS supprimés pour 80 ans du CNRS, la potion du bon docteur Vidal est une purge !!! ». Non je blague, bien sûr, les coupoles de nos syndicats sont déjà à l’intérieur, accompagnant le président du CNRS avec qui ils sont à tu et à toi. Ils sont en train de déguster les petites mignardises servies aux corps intermédiaires. Là comme ailleurs dans ce troisième millénaire si heureusement mondialisé, la compétition pour la ressource fait rage : les délicieux macarons doivent tous, sans exception, avoir disparu, les mignardises salées et sucrées ne sont plus qu’un souvenir, en particulier d’exquises nourritures délicieusement croustillantes sur des bâtonnets, dont certains parleront encore longtemps avec des trémolos dans la voix.
Séquence nostalgie : je ne sais pourquoi mais cela me replonge dix-quinze ans en arrière, en me faisant penser à cette manifestation de droite anti-LRU avec ses slogans
"CAC 40, CAC 40, ouhai, ouhai, CAC 40, CAC 40, ouhai, ouhai,
Des syndicats oui, mais d’accompagnement !! .
.."

N’étant pas accrédité (il fallait donner un numéro de carte de presse indépendante comme CNews, BFMTV ou LCI, avant le jeudi 31 janvier à 19 heures, je suis donc exclu comme le journaliste de Russia Today), je ne puis que constater que tout le quartier a été bouclé par de virils CRS (avec leurs LBD) et leurs gentils auxiliaires de la BAC, rendus célèbres pour leur utilisation si précise de ces même LBD.

Le dispositif CRS, et leurs gentils auxiliaires , et personnages divers aux statuts que même une commission sénatoriale n’arriverait pas à faire préciser, ce dispositif donc, est impressionnant maintenant toute populace de français périphériques et autres gilets jaunes, maintenant tout précaire de la recherche, à bonne distance ... en périphérie.

Visiblement si l’on veut du jaune c’est juste pour les syndicats, pas pour les gilets. Sur l’ESR il n’y aura pas de grand débat, disons que le dialogue présente ici plutôt ... des bas.
D’ailleurs tous les alentours sont lourdement barricadés : il est vrai que les chercheurs CNRS de base sont bien connus pour leur ultra-violence. Malgré mon foulard rouge qui pourrait me faire passer pour un Christian Barbier ou un macroniste manifestant le dimanche, je suis seul, perdu au milieu d’une absence totale de foule.
Mon approche timide des barricades me vaut de me faire sèchement rabrouer par un CRS en chef : Circulez ! Il n’y a rien à voir ! Circulez ! Contournez !!

Je me réfugie dans le café d’en face dont toutes les entrées ont été condamnées, à l’exception d’une seule : heureusement en ces temps troublés on laisse encore travailler les commerçants qui n’ont pas pu faire correctement leurs chiffres en fin d’année dernière, ce qui impacte sur la croissance, comme dirait Nicolas Doze.
Je m’installe au comptoir où j’ai une vue imprenable sur la sortie de la Mutualité.
Je suis un peu barbouillé par tout ce que je viens de voir, aussi je ne commande pas un café, mais un Vichy (je pense que c’est plus convenable par ces temps de loi anti-casseurs).

Peu après l’arrivée de mon Vichy, je vois le Premier Ministre sortir de la Mutualité, et s’engouffrer après quelques sourires et signes convenus, dans une voiture parfaitement prépositionnée. Effervescence, caméras télé, toute une camarilla s’affaire, frétille, présente son meilleur profil, bref travaille.

Peu de temps après, je verrai sortir quelques DU (Directeurs d’Unités du CNRS) invités pour cet événement à n’en pas douter majeur, je dirais même structurant, certains mâchant encore un dernier croissant. De gauchisants chercheurs CNRS de base diront sans doute, (paraphrasant le slogan de SLU, "Les présidents d’Universités ne parlent pas en notre nom", et cela sans faire la chasse aux DU ...) que "les DU ne parlent pas en notre nom". Je tiens à les rassurer : dans cette première convention des directeurs et directrices de laboratoires, où Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, et les directions de l’organisme devaient "échanger" pour la première fois avec près de mille directeurs et directrices des laboratoires du CNRS, ces derniers n’ont pas eu la parole. D’ailleurs, on ne parle pas la bouche pleine c’est très mal poli.

Ah mais j’oubliais, le discours du Premier Ministre. [5]

Si pour la loi anticasseur on reprend les textes de la droite, pour la recherche on recycle les grosses astuces de Terra Nova, et de l’Institut Montaigne, de la deuxième gauche du PS, la gauche du CIR, du CICE (l’excellente perche syndicale "il faut un plan pluriannuel pour la recherche"). Je vous la fais courte : comment garantir les financements des projets scientifiques "les plus ambitieux et les plus novateurs", c’est à dire comment faire pleuvoir là où c’est déjà très très mouillé, en continuant à assécher tous les chercheurs honnêtes, comment développer les partenariats public/privé et convertir les résultats de recherche en innovation, etc ...
Dans une logique disruptive de prédation bien menée, comment gaver encore plus ceux sont qui sont déjà repus, les faiseurs, parasites de la pseudo recherche innovante, en prenant toujours plus à ceux qui font encore, envers et malgré tout, honnêtement de la recherche.

À n’en pas douter d’autres temps forts suivront tout au long de l’année 2019 pour fêter les 80 ans du CNRS.
La question des postes au CNRS étant réglée, 80 en moins, circulez il n’y a rien à voir, la seule question qui se pose est donc : comment seront les prochaines mignardises pour l’élite néo-managériale de la recherche invitée derrière les cordons de CRS ?

Je suis ce que je mange.
Claude Lévi-Strauss


[1littéralement « à la manière d’un cadavre »

[2Enfin, plutôt embeddé au bistrot d’en face

[4un(e) vrai(e) chef(fe) se reconnait à ce subtil usage "en même temps" du bâton et de la caresse