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Qu’est-ce que l’AERES ?

selon Jacques-Alain Miller ("Libération" des 19 et 20 janvier 2008)

dimanche 20 janvier 2008, par Laurence

Dans un entretien donné à Libération (19 et 20 janvier 2008, "Se replier serait mortel pour la psychanalyse"), Jacques-Alain Miller, directeur du département de psychanalyse de l’université Paris VIII attaque le règne du "cognitivisme", "idéologie qui singe les sciences dures, […] les parasite, […] offre une synthèse illusoire". Il note aussi que cette "idéologie du chiffre" (Eric Favereau) est en train de s’imposer à l’université, notamment avec la création de l’AERES (Agence de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) :

"[…] Vous notez également que cette idéologie du chiffre est en train de s’imposer dans l’université…

L’évaluation a fait son entrée dans l’université il y a vingt ans, mais il y a un saut qualitatif avec l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (l’Aeres). C’est tout récent : elle a été créée par la loi du 18 avril 2006 et installée le 21 mars. Depuis 1985, les organismes chargés de l’évaluation s’étaient multipliés, mais les universitaires et chercheurs étaient représentés dans leurs directions, et ils avaient appris à vivre avec. C’est fini. Tout a disparu au profit d’une agence unique, « autorité administrative indépendante », qui couvre le territoire national. Elle agit sous l’autorité d’un conseil assez bizarre, dont le ministère nomme les membres par décret. Aucun membre élu. De même, le « délégué » national, responsable de chaque discipline, n’est nullement l’émanation de la communauté des chercheurs, il est désigné par le président de l’agence. Le système a été conçu par le Pr Jean-Marc Monteil, éminent psychologue social cognitiviste. Il est chargé de mission au cabinet du Premier ministre, tandis que l’Agence est présidée par le Pr Jean-François Dhainaut, spécialiste de biotechnologie. Délégué national pour la psychologie : le Pr Michel Fayol, successeur du Pr Monteil à l’université de Clermont-Ferrand, la seule de cette taille d’où la psychologie clinique est rigoureusement bannie depuis des années. Le Pr Monteil m’a expliqué sans rire que c’était en raison de son incompétence notoire en la matière. L’Aeres est un monstre bureaucratique hypercentralisé et particulièrement opaque : rien à voir avec l’Amérique. Ça rappellerait plutôt la défunte Union soviétique.

Quel est le but ? Chasser la psychanalyse de l’université ?

Le but est de rentabiliser la recherche. Le résultat sera très différent. Au nom de la planification totale et de l’objectivité parfaite, on sadise les universitaires et les chercheurs. On répand les passions tristes - inquiétude, perte de l’estime de soi, dépression -, tout en disant d’une voix doucereuse : « Surtout, n’ayez pas peur ! » Et en même temps, Sarkozy promet de faire des universités des lieux d’effervescence intellectuelle. Cette usine à gaz se cassera la figure, bien sûr, mais le plus tôt sera le mieux. A part ça, ce n’est pas seulement la psychanalyse qui est insupportable aux cognitivistes, c’est la méthode clinique, parce qu’elle vise le singulier, alors qu’eux ne jurent que par la statistique. Ils ont horreur du sujet, ils ne connaissent que « l’homme sans qualités », comme disait Musil." […]

Pour lire l’ensemble de l’entretien.