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Communiqué d’AutonomeSup : "Pourquoi les universitaires se sont dressés… Le gouvernement a-t-il compris ?", 15 avril 2009, par Jean-Louis Charlet, Président d’AutonomeSup

mercredi 15 avril 2009, par Elie

Depuis 1976 (la question des assistants sous A. Saunier-Seïté), l’Université française n’a pas connu un tel mouvement des universitaires. Pourquoi, nous a-t-on souvent demandé. Il y a d’abord eu le vote à la sauvette, au mois d’août, de la loi LRU. Cette loi, sous prétexte d’autonomie, donnait les pleins pouvoirs aux présidents d’université. En dehors d’eux, ou plutôt d’une partie d’eux, l’immense majorité des universitaires rejetait cette loi telle qu’elle avait été détournée. Les sénateurs avaient bien vu le problème et leurs amendements avaient atténué la nocivité du texte primitif. Dans leur précipitation inconsidérée, la majorité des députés a balayé les sages amendements du Sénat et a même introduit pour le Conseil d’administration des universités un système électoral aussi inique qu’inefficace. Les députés socialistes se sont abstenus et n’ont pas saisi le Conseil Constitutionnel alors que certaines dispositions de cette loi auraient pu (dû) être censurées. Résultat du premier acte : les universités sont devenues la chose des présidents seuls reconnus par le pouvoir et les universitaires, qui sont l’Université, ont été dépossédés de ce qui est leur vie.

Les actes 2 et 3 ont été quasi concomitants. Avec un manque total de clairvoyance politique, le Ministère de l’Enseignement supérieur (ou celui qui l’a inspiré) a voulu pousser jusqu’à l’absurde, jusqu’à l’inacceptable, la lecture la plus bornée de la loi LRU dans son application au statut des universitaires. Le seul amendement du Sénat qui a échappé au naufrage spécifie que les Conseils d’Administration, pour les questions concernant les carrières, interviennent « dans le respect du statut national » des universitaires. Ce garde-fou n’a pas arrêté nos apprentis sorciers qui avaient décidé de conserver nominalement le caractère national du statut des universitaires… en le vidant totalement de sa substance : dans la première version du décret statutaire, en dehors de la qualification, tout le reste de la carrière des universitaires devait être réglé localement (modulation du service, primes, promotions, congés pour recherche et, au moins en partie, évaluation). Après avoir dépouillé les universitaires de leur université, on les dépouillait de leur statut national.

Que leur restait-il ? Leur discipline. C’est ici (acte 3) qu’intervient la réforme des concours du primaire et du secondaire avec pour corollaire la refonte des masters (qui venaient juste d’être mis en place !). L’université a toujours joué un rôle déterminant dans la préparation aux concours du secondaire et ses masters disciplinaires visent soit une professionnalisation spécifique (masters professionnels) soit une initiation à la recherche débouchant sur les métiers de la recherche et de l’enseignement (masters de recherche). La première version du projet réduisait de fait la partie disciplinaire des concours à 30% des coefficients et il était même précisé que, si un master était exigé, le niveau du concours resterait celui de la licence ! Autrement dit on demandait aux universitaires de bâtir des masters (deux années d’études !) qui ne serviraient à rien au moment du concours ! En outre ces nouveaux masters devaient concurrencer, voire, dans certaines disciplines, éliminer les masters de recherche et l’existence de l’Agrégation était fortement menacée : allait-on continuer longtemps à payer plus pour un nombre d’heures d’enseignement moindre des agrégés ayant le même titre universitaire et le même nombre d’années de formation que les certifiés ? La mise en cause des masters de recherche et donc, inéluctablement, des thèses dépossédait les universitaires de leur discipline.

Spoliés de leur université, de leur statut et de leur discipline, les universitaires n’avaient plus que leurs yeux pour pleurer… ou leur voix pour crier leur colère ! Et c’est ce qu’ils ont fait, massivement, toutes tendances confondues. Le gouvernement a mis (trop !) longtemps à entendre ces cris. Mais les a-t-il tous bien entendus ? Reprenons les trois points.

Pour le statut des universitaires, il aura fallu presque trois mois de contestation massive et d’âpres discussions pour arriver à un compromis acceptable. Sans le puissant mouvement national des universitaires, rien n’aurait été obtenu. Mais sans l’opiniâtreté d’AutonomeSup dans les négociations, nous n’aurions jamais obtenu un statut conciliant son caractère national avec l’autonomie des universités car, le SNESup ayant été absent des négociations préliminaires et s’étant retiré du CTPU en cours de séance, AutonomeSup s’est retrouvé seul contre l’UNSA et le SGEN pour défendre le caractère national de notre statut. Une analyse critique du texte du décret issu du CTPU du 24 mars, éclairée par quelques points d’histoire de la négociation, s’impose donc.

1) L’article 2 (confirmé par l’article 5) cible clairement notre double (et non triple !) mission : l’enseignement et la recherche et il réaffirme l’indépendance et la liberté d’expression des universitaires. L’article 3 est un peu moins satisfaisant : sa première phrase recopie un de nos amendements ; mais nous n’avons pas pu obtenir pour la suite la formulation que nous demandions : « Ils peuvent aussi… » pour bien distinguer les missions constitutives du statut universitaire des missions possibles, volontaires et occasionnelles, à considérer comme telles et à prendre en compte pour une minoration des obligations d’enseignement. La seconde partie de notre formulation n’a pu être retenue parce que des lois antérieures (parfois suscitées par d’autres syndicats) ont ajouté d’autres missions que l’enseignement et la recherche. Sur ce point, comme pour d’autres, seule une loi permettra de clarifier le statut des universitaires. Mais il faudra mener bataille car l’UNSA et le SGEN ont proposé des amendements détruisant le statut d’enseignant-chercheur pour le remplacer par un statut d’enseignant-chercheur-administrateur avec les trois types d’obligation statutaire !

2) Le paragraphe ajouté à l’article 4 est fondamental pour assurer la liberté de recherche : tout universitaire doit pouvoir rejoindre une équipe de recherche, extérieure le cas échéant à son établissement.

3) L’article 5 posait les questions de la modulation de service et de la prise en compte dans le service d’enseignement des fonctions ou responsabilités des universitaires. Aucun service d’enseignement alourdi (au-delà des 128/192 h.) ne peut être imposé : « cette modulation ne peut se faire sans l’accord écrit de l’intéressé » et l’on ne voit pas pourquoi il aurait fallu une instance de recours dans ce cas puisque l’absence de consentement bloque la modulation (le recours n’est prévu que pour ceux qui demandent une modulation – à la baisse !- et qui ne l’obtiendraient pas). Vu l’unanimité des collègues pour refuser l’application autoritaire d’un service lourd, on voit mal comment un président pourrait faire des pressions juridiquement condamnables. En tout cas AutonomeSup prend l’engagement solennel d’intervenir publiquement pour protéger les collègues qui subiraient d’aussi infâmes pressions, et nous ne doutons pas que les autres syndicats fassent de même : une action collective pourrait être menée. La phrase ambiguë qui marque le déclenchement des heures complémentaires (notre amendement parlait seulement d’enseignements au-delà des 128/192 h.) a été rédigée ainsi et placée à la fin du I par le Ministère parce que, si ce dernier acceptait qu’on ne pût pas imposer un service lourd, il ne voulait pas permettre à un enseignant qui négligerait totalement la recherche de se proposer pour des heures complémentaires (donc payées), ce qui serait injuste par rapport à l’immense majorité des universitaires qui combinent les deux missions d’enseignement et de recherche. En clair (et cela est apparu dans les discussions du CTPU), avec le nouveau texte, on ne peut pas imposer contre le gré de l’intéressé d’enseignement au-delà des 128/192 h. sans le payer ; mais celui qui ne ferait pas du tout de recherche ne pourrait pas prétendre automatiquement à faire des heures complémentaires. Ce point n’est pas scandaleux : nous avons trouvé choquant que la première rédaction voulût imposer plus d’enseignements à ceux qui feraient moins de recherche et donc seraient de moins bons enseignants-chercheurs. Il y a donc une logique dans cette mesure qui préserve la qualité de l’enseignement universitaire. Dernière remarque : l’activité de recherche étant reconnue par l’évaluation du CNU et cette évaluation n’étant obligatoire que tous les quatre ans, les collègues désireux d’étoffer leur dossier de recherche auront trois ans pour le faire en ne présentant leur demande d’évaluation qu’après avoir enrichi leur dossier.

Le point II établit clairement, contrairement à ce qu’affirment certains, que le CA de chaque université fixe les équivalences entre charges administratives (et autres) et heures d’enseignement en respectant « l’encadrement fixé dans un référentiel national approuvé par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur ». C’est donc un progrès considérable par rapport à la situation actuelle où les décharges de service sont attribuées, de façon plus ou moins légale, à la tête du client sans aucune transparence : il y aura un cadrage national, même si, et c’est normal, les CA pourront moduler les équivalences dans ce cadre (fourchette) en fonction des réalités locales. Le référentiel sera prêt au moment où le décret s’appliquera.

La procédure décrite au point III reprend la procédure antérieure sauf que (et c’est un progrès) l’avis du directeur de la composante doit être motivé et que l’on prend en compte l’avis du CNU (qui est fondamental pour accorder une décharge au titre de la recherche). Les besoins nouveaux engendrés par l’application du nouveau statut seront discutés avec le Ministère lors de l’établissement du contrat de chaque université.

4) Article 14 : même si c’est en nombre inférieur aux attributions locales, ce qui n’est pas aberrant car ces congés doivent pouvoir être attribués à des universitaires engagés dans la vie des établissements, le CNU conserve – contre la rédaction primitive approuvée par l’UNSA et le SGEN – une proportion non négligeable des CRCT (en fait à peu près 30 % du total) : c’était une de nos revendications, car il s’agissait ici encore de défendre la liberté de la recherche en permettant à ceux qui font leur recherche en dehors de leur université de bénéficier de CRCT (et de promotions, voir point 6).

5) Articles 16, 19, 24, 26, 28 : Sur ce point, nous n’avons pas obtenu satisfaction. Nous voulions que le contrôle du CNU s’exerçât aussi sur les équivalences des titres étrangers. Le Ministère nous a objecté – à tort ou à raison – les accords internationaux… et nous étions seuls à défendre ce point de vue !

6) Articles 22 et 34 (promotions). C’est sur ce point que nous avons emporté une grande victoire. Alors que dans la première version, à la demande des présidents et avec l’aval de l’UNSA et du SGEN, les promotions étaient toutes locales, nous avons obtenu sous forme d’arrêté, dans un premier temps, puis dans le décret lui-même le 24 mars que le CNU accordât la moitié des promotions, ce qui était jusqu’à présent de fait, mais non de droit (le texte de 1984 attribuait aux universités au moins la moitié des promotions : le statut quo prôné par certains permettrait d’attribuer 90% des promotions aux universités !). C’est là une grande victoire, contre l’UNSA et le SGEN, mais aussi contre les éléments de la CPU qui jusqu’à présent imposaient leur point de vue, car juridiquement et symboliquement l’inscription dans le décret était fondamentale (Claude Guéant a dû voir que, cette fois, le décret avait changé !). Comme nous étions alors les seuls à défendre ce point capital et que le Ministère, en nous accordant satisfaction sur ce point, perdait le soutien du SGEN et de l’UNSA, nous avons décidé de voter pour le projet de décret.

7) Nous ne revenons pas sur le reste du texte. Mais chacun doit mesurer les avantages financiers qu’il comporte, même s’il ne comble pas tous les retards accumulés : surtout pour les collègues qui entrent dans la carrière, mais aussi pour l’accélération des carrières et l’accroissement notable des promotions ; et l’équivalence TP-TD est très favorable aux collègues dans certaines disciplines.

Un mot seulement du décret sur le CNU qui conforte cette instance comme garante du caractère national de notre statut et de l’indépendance universitaire. De nombreuses mesures d’ordre déontologique ou visant à la transparence vont renforcer son autorité morale. Mais on a peine à comprendre pourquoi le SNESup a lutté bec et ongles contre la disposition qui demande à tous les candidats au CNU ou aux nommés dans cette instance de rendre public leur CV professionnel et scientifique : c’était une demande, semblait-il unanime, des assises de la recherche. On s’étonnera aussi d’un amendement de l’UNSA qui tendait à subordonner les critères élaborés et rendus publics par le CNU… à un examen par le CNESER (entendez plénier) : qui défend l’indépendance des universitaires ? Reste à espérer que le décret financier à venir donne réellement au CNU les moyens d’assumer ses nouvelles charges.

Venons-en aux concours de recrutement et à la mastérisation qui en découle. Le Ministère a reconduit pour 2010 les épreuves existantes et ouvre une négociation par la mise en place de trois groupes de travail. Les conditions d’inscription au concours ont été modifiées pour tenir l’engagement pris à l’égard des syndicats du secondaire et du primaire de revaloriser les carrières des nouveaux professeurs à partir de la rentrée 2010. Toutefois nous ne cessons de demander des signes clairs qui indiquent une volonté de changement par rapport aux propositions initiales : les groupes de travail annoncés dans la lettre aux syndicats du 10 avril ne se sont pas encore réunis et, en l’absence de gestes concrets pour répondre à l’attente des universitaires, la contestation continuera, avec le risque de faire perdre un semestre et d’affaiblir l’image de l’université française. Les apaisements doivent concerner

- le contenu disciplinaire des concours (un professeur doit d’abord connaître la matière qu’il enseigne) ;

- le financement de l’année supplémentaire d’étude

- l’organisation des stages

- la place de l’agrégation et du master recherche (pour nous, ces deux points sont liés et aucun universitaire n’acceptera la disparition des masters de recherche dans certaines disciplines).

Quant à la LRU, j’ai déjà souvent écrit qu’elle devait être révisée. Cette révision est même inscrite dans la loi. C’est un vaste chantier qui touche aussi à la LOLF et à la loi sur la recherche. Nous n’avons jamais mis cette révision comme condition au déblocage des universités car modifier une telle loi prendra au moins un an et il serait suicidaire de bloquer l’université pendant un an. Mais nous n’avons cessé de presser le pouvoir d’annoncer cette révision et de la mettre en route. Une journée d’études parlementaires devait donner le coup d’envoi de cette réflexion. Elle a été repoussée. Mais il ne faut pas que le pouvoir tarde trop : il s’est montré si longtemps sourd qu’il a perdu la confiance des universitaires. Il lui appartient donc de la regagner par des gestes forts d’ouverture. Si la loi LRU n’est pas modifiée, il faut s’attendre à de nouvelles explosions.

Pour conclure, dès le début du mouvement de protestation auquel nous avons activement participé nous avons limité nos revendications à ce qu’il était raisonnablement possible d’obtenir sans mettre en péril le semestre des étudiants et nous avons déclaré que nous ne ferions rien contre l’intérêt des étudiants. C’est pourquoi, après la négociation sur le décret statutaire et le report de la réforme des concours, nous avons appelé à la reprise des enseignements, même s’il subsiste des incertitudes sur les concours (domaine où tout reste possible mais où rien n’est acquis) et même si la révision de la loi LRU apparaît encore comme bien lointaine, mais en demandant au pouvoir des signes clairs d’ouverture sur ces deux points. Arrivés à la mi-avril, nous n’avons toujours pas eu ces signes et, comme nous le craignions, malgré un certain essoufflement, le mouvement de blocage touche encore un nombre important d’universités, se radicalise et met en péril la validation du semestre. Il est plus que temps de reprendre partout les cours, mais le gouvernement porte une responsabilité majeure dans le pourrissement de la situation : en refusant les gestes qui s’imposent au plus vite, il fait la politique du pire, dont les étudiants paieront les conséquences. Cela, nous ne pouvons l’accepter, non plus que le ternissement de l’image de l’Université française.

Aix-en-Provence, le 15 avril 2009, dans une université bloquée

Jean-Louis CHARLET, Président d’AutonomeSup