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"Fronde", éditorial par Michel Guilloux, "L"Humanité", 17 avril 2009

samedi 18 avril 2009, par Elie

Pour lire cet éditorial sur le site de "L’Humanité".

Une, deux, trois, quatre… cent, cent une, cent deux… Cinq cent quarante-neuf, cinq cent cinquante, cinq cent cinquante et une… Tandis que l’enseignement supérieur entre dans sa onzième semaine de mobilisation, eux comptent les heures sur la place de l’Hôtel-de-Ville à Paris. Chercheurs, enseignants, étudiants ils sont partis à la rencontre du public. De ces passants découvrant leur lutte, un certain nombre franchissent le pas et viennent élargir le cercle de ces empêcheurs de casser en rond. « Pouvoir méprisant, réponse obstinée », dit l’un de ces participants à la Ronde infinie des obstinés qui fait désormais des petits en province et vient enrichir les formes d’action pour défendre l’éducation. Il faut dire que le mépris n’a pas commencé hier. Déjà, en 2004, ce pouvoir de droite suscitait le profond mouvement Sauvons la recherche.

Quatre ans et un nouveau président plus tard, ce dernier réduisait les travaux du prix Nobel de physique Albert Fert à la fabrication de l’iPod. Ce même 28 janvier 2008, le chef de l’État promettait, la main sur le coeur : « Rien ne se fera sans concertation, rien ne se fera au détriment des jeunes chercheurs, rien ne se fera au détriment de nos meilleures équipes, rien ne se fera au détriment de nos meilleurs scientifiques. Rien ne se fera qui risquerait de nous faire perdre les acquis de notre longue tradition d’excellence. »

Un an plus tard, le grand scientifique lâchait, en une tribune signée de deux autres chercheurs de renom : « dangereuse, hypocrite et contre-productive » pour qualifier les « réformes » sarkozystes appliquées à leur domaine de compétence et menées par Valérie Pécresse. Casse du CNRS, remise en question du statut d’enseignant-chercheur, postes supprimés comme dans l’ensemble de la fonction publique, promotion de quelques gros centres universitaires « autonomes » au détriment des autres, établissements mis sous la tutelle de « patrons » aux pouvoirs discrétionnaires, remise en question du financement des instituts universitaires de technologie, fermeture des instituts universitaires de formation des maîtres au profit de filières sélectives et sans apprentissage du terrain… Si la loi dite LRU a pu passer à la faveur de la période d’électrochocs postélectoraux à l’automne 2007, la concrétisation de sa logique vient renforcer un mouvement qui vient de loin, et élargir sa base.

« Obstinés » ils sont et savent qu’ils ont de bonnes raisons de l’être. La crise du système capitaliste et son ampleur légitiment ceux qui refusent la mise en coupe réglée des outils publics par la logique de la rentabilité financière qui est à l’origine de la déroute en cours. De même que pour les entreprises, les salariés, les retraités, les travailleurs sans emploi, les jeunes, sont posées les questions d’une vraie sécurisation des parcours professionnels, d’un autre usage de l’argent et des bénéfices issus du travail, de pôles bancaires publics et de droits nouveaux pour les élus et les salariés pour investir dans des dépenses socialement utiles, il est aussi urgent de défendre l’indépendance de la recherche, la force de son caractère public, le lien avec des filières de formations diversifiées et, là aussi, d’inventer des ressources transparentes qui respectent ces missions. L’obstination de ces « (f)rondeurs » est au service d’une conception éminemment moderne du rôle de la recherche et de l’enseignement supérieur dans un pays développé et riche comme la France. Ils sont les maillons d’une chaîne qui, du 28 avril au 1er mai, se mobilise désormais « de la maternelle à l’université » et rencontre au-delà bien d’autres mouvements et luttes. C’est bien cette société-ci qui ne tourne pas rond.