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Lycée professionnel : une réforme en catimini pour 710.000 élèves, par Louise Fessard, Mediapart.fr (27 avril 2009)

mardi 28 avril 2009, par Mathieu

Pendant que Richard Descoings consulte les lycéens de France en vue d’une réforme déjà repoussée d’un an, une autre réforme majeure, celle de la voie professionnelle, entrera elle en application dès la rentrée 2009. Quelque 710.000 élèves, soit plus d’un tiers des lycéens français, sont concernés.

Engagée par Xavier Darcos, la réforme prévoit d’aligner le cursus du lycée professionnel sur celui du lycée général et technologique, soit en trois ans au lieu de quatre, et de supprimer les classes de BEP (Brevet d’études professionnelles) à l’exception de quatre spécialités. Jusqu’ici, à l’issue de la troisième, les élèves orientés vers la voie professionnelle préparaient un BEP en deux ans, puis une minorité d’entre eux (40%) poursuivaient sur un bac pro en deux ans.

Un nombre trop faible pour le ministère qui poursuit un triple objectif : diminuer le nombre de décrochages liés à la lassitude en réduisant la durée du cursus, revaloriser la voie professionnelle et amener un maximum de jeunes au baccalauréat voire à la poursuite d’études supérieures. Accessoirement, une année de formation de moins permettra une économie certaine : « D’ici à quatre ans, à peu près 10.000 postes de professeurs de lycées professionnels seront supprimés », estime Jérôme Dammeray, secrétaire général du Snuep-FSU, syndicat minoritaire.

Très contestée lors de la mobilisation lycéenne du printemps 2008, la généralisation du bac pro trois ans semble aujourd’hui plus ou moins entérinée et considérée comme une forme de justice par rapport aux autres lycéens. « Cela remet nos élèves dans la normalité, note Véronique Saunier, professeur de lettres-histoire-géographie (un seul et même enseignant pour ces trois matières en lycée professionnel). Ils n’iront plus en BEP mais en seconde, puis en première et en terminale comme tous les autres. » Un symbole important pour une formation souvent considérée comme une « voie poubelle » destinée aux élèves ayant échoué au collège. Mais certaines inquiétudes demeurent, avec surtout une interrogation sur le décrochage qui concerne aujourd’hui environ 15% des élèves de lycée professionnel.


« Les élèves en difficulté, grands oubliés de la réforme »

Expérimenté depuis 2001, le bac pro trois ans visait à l’origine un public spécifique, celui d’élèves venant parfois du lycée général et technologique et ayant un bon niveau. Généralisé à l’ensemble des élèves, il risque de décourager les plus faibles qui sortiront sans aucun diplôme, craignent certains enseignants.

Aussi les syndicats ont-ils obtenu du ministère le maintien du BEP comme « certification intermédiaire » à la fin de la première professionnelle, avec toutefois un gros doute sur sa valeur sur le marché du travail. « A quoi servira d’avoir un BEP si le bac pro devient la règle ? », demande Aziz Jellab, sociologue et auteur d’une Sociologie du lycée professionnel.

Le ministère a également accordé trois heures d’accompagnement individualisé pour faire soit du soutien pour les plus faibles, soit une préparation au passage vers la voie technologique pour d’autres.

« Nous récupérons des élèves en difficulté que le BEP nous permet de remettre en confiance, explique Matthieu Brabant, professeur de mathématiques et de sciences physiques, militant CGT. C’est important pour eux d’avoir cette étape. Avec un horizon à trois ans, ils risquent de s’essouffler et de décrocher. » Le gouvernement fait lui le pari que réduire l’échéance du bac d’une année ne peut qu’encourager des élèves « déjà peu scolaires ». Et propose aux autres un parcours en quatre ans : d’abord un CAP, puis un passage vers la première professionnelle. Une passerelle pas très réaliste pour les uns, très plausible pour les autres. En fait, selon Véronique Saunier, tout dépend du CAP : « Il y a des élèves de CAP à peine capable d’additionner, d’autres, comme les CAP ébénisterie, qui ont un excellent niveau en enseignement général. »

Pour les élèves les plus fragiles, ne voulant ou ne pouvant pas s’engager dans un bac pro en trois ans, reste donc le CAP, au lycée professionnel ou en apprentissage. « Si on rend le baccalauréat professionnel un peu plus difficile, plus proche des matières de la voie générale et technologique, il faut mettre en place à côté des formations courtes », constate Véronique Saunier. « Or, il est clair pour tout le monde qu’on ferme plus de formations qu’on n’en ouvre. »

Selon Albert Ritzenthaler, responsable de la formation professionnelle au Sgen-CFDT, « le ministre s’était engagé à ouvrir un nombre important de CAP ; dans les faits, ces ouvertures sont aujourd’hui nettement insuffisantes ». En période de restriction budgétaire, les académies auraient plutôt tendance à diminuer le nombre de sections ou de places offertes (voir aussi ce billet de blog de Véronique Soulé, journaliste à Libération). « Les élèves en difficulté sont les grands oubliés de cette réforme qui s’adresse avant tout aux publics les plus faciles, analyse Jérôme Dammeray. Il risque d’y avoir beaucoup d’élèves sans solution à la rentrée. » Autant de jeunes susceptibles d’aller grossir le nombre des 150.000 élèves sortant chaque année du système scolaire sans qualification, ni diplôme.

Le bilan de l’expérimentation resté dans les tiroirs

En 2005, un rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale établissait un bilan très critique des premières expérimentations du bac pro en trois ans dans les sections industrielles (menées suite à un souhait des professionnels représentés par l’UIMM qui cherchaient à rendre ces filières plus attractives). « Il est nécessaire de donner une réponse adaptée à la diversité des publics accueillis en baccalauréat professionnel, note le rapport. Le parcours en trois ans n’est donc qu’un élément de réponse qui ne concerne qu’une faible partie des publics. (...) Il y a lieu encore de souligner qu’une grande majorité d’élèves ne peut pas suivre un parcours vers un baccalauréat professionnel en trois ans au terme du collège et à ce titre ils ne doivent pas être oubliés. »

Depuis, alors que l’expérimentation a été étendue aux sections de service et concernait quelque 65.000 élèves à la rentrée 2008, silence radio. « Un bilan quantitatif détaillé a été communiqué au ministre, explique la direction de l’enseignement scolaire. Mais il n’a pas jugé utile de le communiquer. » Selon cette même source, le bilan du bac pro en trois ans était « suffisamment raisonnablement optimiste pour que le ministre prenne la décision de généraliser », avec « de bien meilleurs chances d’arriver jusqu’au bac que ceux entrés dans un cursus en quatre ans. »

Il faut lire l’avis, très dubitatif, de la sénatrice communiste Brigitte Gonthier-Maurin sur le projet de loi de finance 2008 pour trouver des chiffres précis venant du ministère de l’éducation nationale (à retrouver sous l’onglet Prolonger). Le ministère y constate un accès à l’examen meilleur qu’en quatre ans (53% au lieu de 27%) mais une « forte érosion sur le cycle (20%) » et une réussite au bac pro trois ans légèrement inférieure à celle du cursus standard (73% au lieu de 80%). Plutôt positif dans les sections de service, le bilan paraît particulièrement « décevant voire très décevant » dans certaines spécialités industrielles où le taux de réussite au baccalauréat ne dépasse pas les 40%.

Concurrence avec la voie technologique

Autre évolution, « le bac professionnel tend à devenir préparatoire pour des formations de technicien supérieur », constate Aziz Jellab. Les lycées professionnels sont encouragés à se doter de sections de technicien supérieur (menant au BTS en deux ans après le bac), jusqu’ici plutôt rattachées à des lycées généraux et technologiques. Le chef d’établissement du lycée privé Sainte-Thérèse à Maromme, Richard Toutain, a aussitôt fait une demande d’ouverture de BTS dans la vente. « Environ 10 à 15% de nos élèves de bac pro poursuivent des études supérieures, explique-t-il. Mais ce n’est pas facile du tout pour eux d’aller en BTS alors que la loi dit qu’ils doivent avoir une place s’ils ont obtenu une mention. »

Une façon d’améliorer l’image du lycée professionnel mais aussi une réponse à un vrai « carnage » selon Pascal Vivier, secrétaire national du Sneeta-EIL, le principal syndicat de l’enseignement professionnel. « 93% des bacheliers professionnels qui vont dans l’enseignement supérieur se plantent, critique-t-il. Nous ne voulons plus que nos élèves aillent dans des voies de garage. » Là encore, la réforme bute sur le manque de moyens. « On s’est aperçus que 2/3 des académies n’avaient pas créé de BTS en lycée professionnel », regrette-t-il.

A nouvelle formation, moins professionnalisante et plus ouverte sur l’enseignement supérieur, nouveau public ? C’est ce qu’espère Richard Toutain : « Le fait de redorer le blason, d’insister sur le mot bac plutôt que professionnel, d’obtenir un droit d’entrée en BTS... On va s’ouvrir vers des personnes qui nous regardaient jusqu’alors avec dédain. » Le bac professionnel risque ainsi de marcher sur les plates-bandes du bac technologique. « La rénovation de la voie professionnelle va poser un gros problème de concurrence avec la voie technologique », dit Pascal Vivier. Une concurrence que la réforme du lycée général et technologique, désormais en retard d’un an sur celle du lycée pro, va devoir prendre en compte. « Le bac technologique pourrait très bien devenir une simple option des filières générales », envisage Aziz Jellab.