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Olivier Roy, chercheur : “La direction du CNRS nous considère comme des fonctionnaires aux ordres” - entretien avec Thierry Leclère, Télérama.fr, 23 juin 2009

mercredi 24 juin 2009, par Laurence

Quinze jours après le début de “l’affaire Vincent Geisser”, la direction du CNRS reste toujours étrangement muette. Ce spécialiste de l’islam s’estime harcelé, pour des raisons politiques, par le responsable du contre-espionnage du CNRS. Le chercheur Olivier Roy, grand connaisseur du monde musulman, décrypte les tenants et aboutissants de cette affaire.

Cette affaire a révélé l’existence du « Haut fonctionnaire de Défense » (HFD), un agent du renseignement intégré au sein même de la hiérarchie du CNRS. Qu’en pensez-vous ?

A la différence de certains collègues, je savais qu’il existait, puisqu’il m’avait même envoyé un mail, il y a un ou deux ans, me reprochant de « mieux traiter l’islam que le christianisme »… Estimant que ce fonctionnaire exprimait ainsi des opinions personnelles, j’avais, en accord avec mon directeur de laboratoire, ignoré ce mail. Je regrette d’avoir réagi ainsi, car il ne s’agit pas là d’ un conflit personnel entre Joseph Illand – le HFD – et Vincent Geisser, mais d’une attaque systématique envers les chercheurs qui refusent les clichés sur l’islam.

Que proposez-vous ? La disparition du Haut fonctionnaire de Défense des instances de direction du CNRS ?

La fonction principale du HFD, qui existe au CNRS depuis, au moins, la Libération, a longtemps été de protéger les laboratoires de physique nucléaire de l’espionnage. Ce haut fonctionnaire, au grade de général, est détaché par le ministère de la Défense, sa tutelle. Il en existe aussi à l’Education nationale ou aux Affaires étrangères, par exemple.

Je conçois tout à fait qu’il y ait un service de sécurité au CNRS : les étudiants iraniens, par exemple, qui voulaient faire des thèses sur le nucléaire, ces dernières années, étaient évidemment l’objet de toutes les attentions … Mais le HFD n’a pas à s’immiscer dans le débat d’idées ; son intervention dans le secteur des sciences sociales est éminemment contestable.

Ce que je conteste, donc, c’est l’affaiblissement de la direction du CNRS au profit de la partie militaire. Depuis son arrivée au CNRS en septembre 2003 Joseph Illand s’est senti investi d’une mission ; il a décidé –par conviction personnelle, semble-t-il- d’étendre sa surveillance aux sciences sociales. Depuis le déclenchement de l’affaire, les témoignages arrivent et on apprend que des chercheurs ont été interrogés longuement sur les activités de Vincent Geisser. Certains collègues ont visiblement peur de ce HFD.

Peur de quoi ?

De la suppression de crédits dans leur labo, par exemple !

Vous savez enseigné récemment à l’université de Berkeley, en Californie. Les Américains ont-ils les mêmes pratiques ?

Chaque université américaine possède une police interne ; celle-ci a de larges pouvoirs puisqu’elle peut arrêter des individus et les déférer devant la justice. Le responsable de cette police est un employé de l’université, sous la responsabilité directe du doyen. C’est toute la différence. Il n’est pas, comme en France, rattaché au ministère de la Défense, dépendant du contre espionnage.

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