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Gouverner l’université ?

vendredi 30 novembre 2007, par Carla Bruno

Gouverner l’université : premiers axes de réflexion

La loi Savary de 1984 était déjà une loi « présidentialiste », mais les conseils pouvaient faire office de contrepoids et le CS ainsi que les commissions de spécialistes gardaient la maîtrise de la politique scientifique. La loi LRU, dite loi Pécresse, nous fait carrément basculer dans un gouvernement présidentiel sans contre-pouvoir d’aucune sorte. Ce basculement se fait au nom de l’efficacité, mais il va surtout entraîner le renforcement et la généralisation de vieilles (et nouvelles) pratiques clientélistes et autoritaires. La nature et la logique de la loi LRU nous contraignent à partir, pour notre réflexion, de la question présidentielle, car cette fonction devient le levier principal d’administration d’un nouveau type de gouvernement.
Penser le gouvernement de l’université c’est tout simplement penser la relation entre gouvernants et gouvernés, c’est-à-dire la nature, les formes, les rythmes, les variations de l’information, des prises de décision et de l’application des décisions dans le cadre de cette relation entre gouvernants et gouvernés. Penser au travers de ces acteurs individuels et collectifs est sans doute le meilleur moyen pour ne pas réifier les instances de gouvernement et défendre un horizon de collégialité pour notre communauté.

Il peut donc s’avérer utile dans cette perspective de réfléchir au moins aux questions suivantes : :

a) est-il possible d’affirmer une capacité de décision suffisamment rapide et efficace sans concentrer tous les pouvoirs dans les mains de quelques-uns ?

b) comment renforcer la collégialité des réflexions, des propositions et des décisions dans la communauté universitaire ?

c) quels sont les acteurs essentiels des processus démocratiques et comment assurer un équilibre entre ces derniers (président, conseils, UFR, départements, commission de spécialistes, étudiants, CNU, ministère…) ?

d) dans quelle mesure la question du gouvernement ne touche pas seulement « l’intendance » mais engage la crédibilité d’une politique d’enseignement et de recherche ?

e) pourquoi toute réforme de l’université ne peut aboutir que si un consensus se constitue autour de celle-ci (Savary avait discuté deux ans avec tous les partenaires concernés avant de faire voter sa loi) ?

f) question subsidiaire : pourquoi les principaux partis politiques représentés au parlement sont-ils d’accord pour défendre la loi LRU ?


Cette rubrique est coordonnée par Jean-Louis Fournel (Université Paris VIII) et Mathieu Brunet (Université d’Aix-Marseille I).


Contribution de G. Mairet (Université Paris VIII)

[|La question de l’autonomie des universités|]

Le principe de “l’autonomie des universités” mis en oeuvre en Europe depuis plusieurs années – et cela de façon différenciée – procède de l’ambition “européenne” affichée de faire de l’espace européen de l’éducation et de la recherche le premier pôle mondial de la “société de la connaissance”.

Cette ambition présentée à échéance des trois ou quatre prochaines décennies est en elle-même satisfaisante, à la condition expresse que sa réalisation n’écrase pas les meilleures traditions de nos universités européennes. En ce sens, si un schéma d’autonomie est plaqué de l’extérieur sur un système universitaire et de recherche (français par exemple), de sorte qu’il tende à uniformiser arbitrairement des traditions nationales au prétexte de les “réformer” comme elles doivent souvent l’être (par exemple en France), alors l’autonomie n’est que la façade d’une ambition politique quelconque, non le moyen de la “société de la conaissance”.

- 1° ce que signifie l’autonomie :
L’autonomie signifie prioritairement que l’établissement assume l’entière responsabilité de son action en tant qu’établissement de formation et de recherche, parce qu’il possède un statut d’indépendance en matière politique, interne et externe. Cela implique de la part d’un établissement :

  • a/l’élaboration de sa politique de formation et de recherche
  • b/ l’élaboration de sa politique interne et externe de mise en oeuvre de cette politique.

Il suit de là qu’une autonomie bien conçue est structurée par quatre déterminations fondamentales :

  • démocratie universitaire
  • libertés académiques (formation / recherche)
  • efficacité de la prise de décision
  • suffisance des moyens matériels, financiers et humains

Une autonomie bien pensée doit donc être conçue à la rencontre de cinq facteurs :

  • les lois et règlements de la tutelle étatique (sauf s’il faut s’y opposer, précisément !)
  • étudiants
  • enseignants-chercheurs
  • organes représentatifs et de décision
  • société civile et société internationale

- 2° Ce que l’autonomie ne signifie pas :
Il y a lieu de distinguer l’“autonomie” de certains concepts tels que “autogestion”, “(auto)gouvernance”

  • “autogestion” renvoie à la seule gestion des ressources matérielles et “humaines”. En ce sens, un statut d’autonomie ne peut se réduire à la seule autogestion des ressources. L’autonomie étant d’abord et essentiellement autonomie politique, le vocable d’autogestion n’exprime ni la lettre ni l’esprit de l’autonomie : l’autonomie est indépendance politique.
  • “ (auto)gouvernance” renvoit à la pratique managériale de l’entreprise ou à la “bonne gestion” de la chose publique. Une autonomie placée sous le signe de la “gouvernance” fait de l’université une entreprise : les diplômes sont de facto compris comme étant des marchandises qu’il s’agit de vendre (sur le “marché du travail”) à la faveur d’une gestion rationnelle des coûts de production avec retour sur investissement.
  • La “gouvernance” renvoie à l’économie rationnelle de l’entreprise – publique ou privée. Si l’on considère que les diplômes sont des marchandises, alors n’y a rien de mal à concevoir l’autonomie en terme de “gouvernance”. En revanche, si les diplômes sont des titres de formation et de qualification, alors il ne peut s’agir de “gouvernance” de l’université. La notion de “gouvernance” exprime avec une grande clarté l’autonomie des universités en ce que celles-ci seraient présidées par un “grand patron”, doté de pleins pouvoirs législatifs et exécutifs (projet LRU-CPU).

- 3° Quelques principes d’autonomie :

  • Principe politique Les universités autonomes sont des établissements publics ; elles délivrent des titres nationaux. L’Etat est tutelle nationale ; régions, départements et municipalités peuvent être tutelles locales. Les universités définissent leur politique en matière de formation et de recherche. Elles définissent leur politique en matière de recrutement des personnels d’enseignement et de recherche sur la base de concours de la fonction publique à compétence nationale. Il en va de même pour les personnels administratifs et techniques. Elles appliquent démocratiquement les politiques selon les stratégies élaborées démocratiquement.
  • Principe démocratique Les universités fonctionnent sur le mode de la représentation de tous les personnels. [Par exemple : Parlement et Présidence sont les deux structures du gouvernement de l’université. Le Parlement est la réunion des quatre conseils : CA, CS, CEVU, CEVE (conseil de la vie étudiante). Des personnalités extérieures, du public et du privé, sont membres des Conseils. Chaque Conseil élit son président. La “Présidence” est composée du ou de la président-e élu/e par le Parlement de l’université, et du Bureau exécutif. Le Bureau exécutif est élu par le Parlement en son sein. Sont membres de droit du Bureau les présidents des quatre conseils. La présidence met en oeuvre la politique de l’établissement arrêtée par le CA sur rapport des autres conseils. La présidence est responsable devant le Parlement et n’est pas rééligible.]
  • Principe de liberté académique Les universités sont autonomes si et seulement si elles déterminent elles-mêmes leur politique de formation et de recherche, et les modalités de leur mise en oeuvre. La ou les tutelle(s) ne disposent d’aucun pouvoir de détermination des politiques d’établissement en dehors de contrats spécifiques que la ou les tutelle(s) passent avec les établissements. Le principe de liberté académique exprime l’essence même de l’université, depuis l’ancienne tradition médiévale de l’universitas, mais surtout depuis l’époque de la révolution française qui imprégna les établissements d’enseignement supérieur (pas seulement en France) de ce principe de liberté scientifique et pédagogique. L’application et le respect de ce principe sont au coeur de toute pratique de l’autonomie, et ont permis le développement des sciences expérimentales ou rationnelles ou de disciplines appartenant aux domaines relevant des humanités classiques et modernes.
  • Principe de l’autonomie financière Il est du ressort de chaque université publique autonome de décider de compléter son financement public par des financements privés. Cette décision relève alors du libre arbitre de la collectivité universitaire, lequel s’exprime dans les instances représentatives.