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Réforme du lycée : les disciplines montent au créneau - Louise Fessard, Médiapart, 8 décembre 2009

mardi 8 décembre 2009, par Laurence

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Luc Chatel, ministre de l’éducation, doit présenter les textes réglementaires de la réforme du lycée jeudi 10 décembre devant le Conseil supérieur de l’éducation, instance consultative. Dans cette dernière ligne droite, les divers lobbies disciplinaires montent au créneau pour défendre leurs horaires, sérieusement rabotés par la réforme. Les délégations se succèdent au cabinet du ministre de l’éducation. A ce jeu du « C’est qui qui criera le plus fort ? », les professeurs d’histoire-géographie s’en tirent bien. La pétition, dans laquelle vingt universitaires de renom s’insurgent contre la disparition prévue des cours obligatoires d’histoire-géographie en terminale S, a monopolisé depuis sa publication le 6 décembre tout le débat sur la réforme du lycée.

Mais le 2 décembre, un millier de professeurs de sciences économiques et sociales ont également manifesté contre une réforme qui réduit selon eux l’importance de l’enseignement de leur discipline. Les professeurs de sciences ne sont pas en reste, qui pétitionnent contre une réduction de 4h30 de l’enseignement scientifique (SVT, physique-chimie, mathématiques) en première S et mettent en avant le potentiel d’emploi dans leur domaine. Un prospectus [doc joint et logo] a même été envoyé aux conseillers régionaux pour leur annoncer que leurs investissements dans des salles de travaux pratiques (TP) risquaient de tomber à l’eau faute d’horaires suffisants pour effectuer ces TP. Sans parler de la voie technologique dont l’enseignement en seconde est réduit à 1h30 au lieu de 3 voir 6 heures actuellement.

« On avait dit au gouvernement :Si vous touchez aux disciplines, vous ouvrez la boîte de pandore”, se souvient Bernard Kuntz, président du Snalc (Syndicat national des lycées et collèges). Il est parfaitement logique que les disciplines se mettent à hurler quand on leur passe à la trappe autant d’heures. » Premier coupable désigné : la mise en place d’un accompagnement personnalisé pour tous les lycéens. Deux heures hebdomadaires de soutien et de méthodologie, plébiscitées par les parents et les élèves, et que Luc Chatel a prises sur les horaires de cours pour ne pas alourdir l’emploi du temps déjà chargé des lycéens français (28h30 en seconde).


« Une foire d’empoigne dans les lycées »

« Toutes les disciplines trinquent pour une logique de remédiation qui va échouer », fulmine Bernard Kuntz. Quant au principal syndicat enseignant, le Snes, il aurait préféré que ces deux heures se fassent en plus, et non à la place, des heures de cours et s’adressent à un public plus restreint. « Ce qui est discriminant au lycée est ce qui se passe après les cours, explique Valérie Sipahimalani, secrétaire nationale du Snes. Les élèves doivent pouvoir rester plus longtemps dans des CDI ou en étude surveillée. On va avoir un lycée à plusieurs vitesses : à Henri IV on fera de l’approfondissement pendant ces deux heures d’accompagnement personnalisé, et dans un lycée de banlieue uniquement de la remédiation. »

Deuxième sujet controversé : la plus grande autonomie donnée aux établissements dans les projets de textes pour gérer les heures dites « de dédoublement » qui permettent un travail en petit groupe. Auparavant réparties par discipline au niveau national, ces heures (10h30 en moyenne en seconde) seront désormais à la libre disposition des établissements. Mais les syndicats craignent l’arbitraire des recteurs, qui pourront moduler ces heures selon les établissements, et des chefs d’établissements, qui auront le dernier mot sur leur répartition entre les matières.

Au cœur du débat : le mode de désignation du conseil pédagogique, l’organe composé de professeurs qui sera chargé de proposer une répartition de ces heures à effectif réduit au Conseil d’administration, qui tranchera. « Le chef d’établissement a la mainmise sur le conseil pédagogique puisqu’il nomme ses membres et fixe le rythme de ses réunions et son ordre du jour, estime Valérie Sipahimalani. En fait d’autonomie des établissements, il s’agit d’une autonomie du chef d’établissement. » Chaque enseignant risque maintenant d’essayer de récupérer en heures à effectif restreint les heures perdues par sa discipline dans la réforme. « Ça va être une foire d’empoigne dans les lycées », prévoit Jean Ulysse, secrétaire général sortant de l’association des professeurs de biologie et géologie (APBG).


Un débat « corporatiste »

Une montée des revendications disciplinaires qui rappelle furieusement celle à laquelle s’était heurté en 2008 Xavier Darcos, qui avait alors dû reporter sa réforme du lycée d’un an. « J’ai l’impression qu’il y a des mécontentements qui commencent à se fédérer », remarque Sylvain David, président de l’association des professeurs de sciences économiques et sociales (Apses), reçu mardi matin au cabinet du ministre de l’éducation. « Mais le ministère est dans la même position, droit dans ses bottes, que l’an dernier à peu près à la même époque. Ils font le gros dos en se disant que tant que les parents et les élèves ne bougent pas, ça ira », conclut-il. Huit syndicats de l’éducation nationale, dont le Snes, ont appelé à manifester jeudi 10 décembre pour rappeler leur opposition à la réforme du lycée.

L’Union nationale des lycéens (UNL) refuse pour sa part de rentrer dans ce débat disciplinaire, jugée « contre-productif et corporatiste » par son secrétaire général, Antoine Evennou. « Qu’on ait 18 heures d’enseignement d’histoire-géographie par semaine, qu’on nous gave comme des oies, ça ne changera rien si les professeurs ne sont pas bien formés, dit-il. Si les enseignants sont formés à la pédagogie, à des méthodes d’apprentissage autres que le cours magistral, alors je parie qu’en un peu moins d’heures on peut apprendre beaucoup plus. » Mais la réforme actuelle de la formation des enseignants, centrée sur les savoirs disciplinaires, n’en prend pas le chemin...