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A Antibes, un collège teste les manuels numériques - Louise Fessard, Mediapart, 9 février 2010

mercredi 10 février 2010, par Elie

Cet article est la deuxième partie de l’enquête de Mediapart consacrée à "L’école à l’ère du numérique". Pour le lire sur le site de Mediapart.

Pour lire la première partie, pour lire la troisième partie, la quatrième partie et la cinquième partie.

Poisson pilote de l’académie de Nice, le collège Bertone d’Antibes a adopté depuis 2004 l’environnement numérique de travail (ENT) un ensemble de services en ligne accessibles aux enseignants, élèves et parents. Depuis la rentrée 2009, il fait également partie des 64 collèges français qui testent les manuels numériques en classe de sixième. Paradoxalement dans ce collège, le numérique est entré non via l’ordinateur – seulement deux salles et le Centre de documentation et d’information (CDI) sont équipés pour les élèves – mais via le tableau numérique interactif (TNI), un tableau blanc tactile relié à un ordinateur qui remplace le bon vieux tableau noir.

« On a choisi une entrée sans violence, raconte Simone Bertrand, principale du collège. On a d’abord mis les notes sur l’ENT, puis les absences, les punitions, les emplois du temps, avant de passer à des choses plus sophistiquées comme les cours. » Dans ce collège de 657 élèves, les cahiers de texte et d’appel avaient la fâcheuse habitude de disparaître, d’être brûlés ou de se retrouver dans les faux plafonds. Aujourd’hui, les enseignants font l’appel directement sur l’ordinateur dont ont été équipées toutes les salles, et le service de la vie scolaire envoie « en temps réel » un SMS aux parents en cas d’absence injustifiée.

Grâce à un mot de passe et un identifiant unique, tous les membres de la communauté éducative, parents y compris, ont par exemple accès à l’agenda du collège avec des notes explicatives sur le rôle du comité d’hygiène et de sécurité ou encore ce que fait le Conseil d’administration. Sans bouleverser non plus complètement les relations avec les parents. « Les profs craignaient que les parents leur écrivent pour dénoncer tel cours ou autre », explique Simone Bertrand. « Mais l’ENT n’a pas entraîné de malveillance. »

Des cours interactifs

« Il y a des parents qui aiment suivre au jour le jour les notes, les devoirs, la progression, matière par matière, sur l’ENT, estime Jean-Claude Scaglia, père d’une élève de cinquième et représentant FCPE. Moi je ne suis pas fana d’ordi et je fais confiance à ma fille. Et si je veux m’adresser aux professeurs, un contact téléphonique, un mot, ça peut être efficace aussi. » L’initiative de mettre des ordinateurs à disposition des parents dans le CDI ayant eu peu de succès – « on a eu zéro parent », dit Simone Bertrand –, le collège travaille désormais avec une association qui équipe les familles pour 70 euros.

Entrés dans l’ENT par le côté administratif, les enseignants du collège en découvrent peu à peu les intérêts pédagogiques. Ce lundi 14 décembre, une vingtaine d’entre eux apprennent à intégrer des animations flash, à capter des images, à respecter les droits d’auteur pour créer leurs propres cours interactifs et les mettre à disposition des élèves sur l’ENT. Certains arrivent de loin. « On a commencé par les fichiers Word car tous ne les maîtrisaient pas », explique Juliette Lasalle, formatrice TICE (technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement), qui assure la formation avec son collègue de technologie, Pascal Leyssieux. Cette professeur d’histoire-géographie a appris sur le tas, au fur et à mesure des expérimentations du collège.

La nouveauté de la rentrée 2009 est le manuel scolaire numérique testé dans les classes de sixième de l’établissement. Le ministère de l’éducation a débloqué 430.000 euros pour l’acquisition de licences des manuels numériques valables quatre ans. Démonstration sur l’un des 13 tableaux numériques interactifs (TNI) du collège (pour une quarantaine de salles) : le manuel d’histoire-géographie propose un film sur l’Acropole d’Athènes, des gros plans de l’Acropole, une carte interactive où se dessine progressivement l’itinéraire de la flotte de Xerxès (si, si, un roi perse qui lança une offensive militaire contre la Grèce au Ve siècle avant Jésus-Christ), un résumé audio de la séquence ainsi qu’un quiz. Petit hic, les éditeurs ayant pris du retard, seuls les enseignants disposent pour l’instant de cette version interactive, les élèves n’ont accès sur l’ENT qu’à un simple scan du manuel papier. « Pour les élèves, l’intérêt est un peu limité », reconnaît Juliette Lasalle.

Sac moins chargé

Si 92% des élèves du collège Bertone ont un ordinateur chez eux, tous n’ont pas accès à l’Internet et à l’ENT. Aussi les élèves de 6e conservent-ils un manuel classique chez eux. Seule une classe d’anglais a fait le choix du zéro papier – et encore leur enseignante fait parfois des photocopies « car cela rassure les élèves d’avoir une trace écrite ». Plus besoin d’apporter le manuel en cours où sa version numérique est projetée sur le TNI. « C’est mieux, le sac est plus léger », apprécie Vincent, 11 ans. Quant à Eléonore et Sodana, même âge, elles sont fans du TNI. « C’est cool, il y a plus de possibilités ! », s’enthousiasme Eléonore. « C’est nul la craie », tranche la seconde. « Pour les gamins, l’informatique c’est leur vie, dit Simone Bertrand. On voit déjà le décalage entre ceux qui entrent en sixième et les troisièmes qui ont moins baigné dans cet environnement. »

En cours de français, les élèves se succèdent ainsi au TNI pour corriger des exercices de grammaire avec le stylo numérique, changeant les couleurs selon les fonctions des mots. Un logiciel de reconnaissance redresse les écritures un peu bancales. La configuration du cours reste très classique, l’enseignante au tableau et les élèves soulignant soigneusement en rouge le complément d’objet direct sur leur cahier.

Capter l’attention

Trinidad Angelis, professeur d’anglais, voit surtout dans le TNI « un petit côté ludique qui permet de capter l’attention des élèves plus longtemps ». Et la prof de langue « qui se balade d’habitude dans les couloirs avec son poste audio » apprécie d’avoir un outil qui « remplace le rétroprojecteur, la télévision et le poste audio. »

Juliette Lasalle y voit elle un moyen de « déporter l’attention des enfants du professeur au tableau » pour pouvoir circuler plus facilement dans les rangs et rendre les élèves acteurs du cours. « Ça permet de valoriser les enfants en difficulté qui sont à l’aise au tableau, dit-elle. Ils adorent par exemple expliquer au prof, lui pas très à l’aise, comment ça marche. Et l’ENT permet de personnaliser les parcours, les élèves gagnent en autonomie pour gérer eux-mêmes leur apprentissage. » « Ça prend plus de temps au départ mais c’est autant de gagné ensuite car les cours sont réutilisables, dit une enseignante de français en formation. Et je commence même à faire des économies de papier. »

Reste toujours la possibilité du bête problème technique. Vous vous souvenez du regard angoissé de votre professeur d’anglais devant le magnétoscope qui refuse obstinément d’avaler la cassette ? « Ça peut arriver, répond Juliette Lasalle. Même avec le tableau interactif, il faut toujours avoir un plan B. »