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Des enseignants : la crise des lycées n’est pas liée aux violences, par Jihane Bergaoui, Mediapart, 19 février 2010

vendredi 19 février 2010, par Mathieu

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« Supprimer 16.000 postes, ça c’est violent ! » Lu sur la pancarte d’une manifestante, ce message témoigne de l’exaspération qui bouillonne actuellement. Rassemblés devant le Luxembourg, les enseignants en grève des académies de Créteil, Paris et Versailles se sont dirigés, jeudi 18 février, vers la rue de Grenelle, qui abrite le ministère de l’éducation nationale. Ils étaient quelques milliers, des dizaines de délégations portant des messages de luttes ou de colère, deux jours avant les vacances scolaires de la zone C. Des collégiens et des lycéens étaient venus soutenir le mouvement. « Abrogation des décrets Chatel », « Réforme bidon » ou « Rendez-nous nos heures, nos postes, nos surveillants ! ». Si la violence à l’école cristallise actuellement les débats, c’est un malaise plus large qui s’est exprimé hier.

La violence, un vrai/faux débat ?

Les motifs de mécontentement s’accumulent. Il y a bien sûr les récentes affaires de violence à l’école dans l’académie de Créteil. Les incidents se sont multipliés depuis l’agression d’un adolescent de 14 ans au lycée Adolphe-Chérioux de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Au lendemain de l’attaque au cutter d’un élève de 17 ans à Thiais (94), 90% des Français estiment que la violence scolaire a augmenté ces dix dernières années, selon un sondage Harris paru le 17 février. En réponse à ce climat de violence, Luc Chatel, le ministre de l’éducation nationale, propose de tenir en avril des « états généraux de la sécurité à l’école ».

Pourtant cette violence n’était pas vraiment le sujet de la manifestation d’hier. « Les médias montent en épingle ces cas épisodiques de violence, alors que les vrais problèmes sont ailleurs », explique Claire Olinet, jeune professeur de mathématiques dans le collège Jean-Lurçat de Saint-Denis. « C’est de la poudre aux yeux », dénonce de son côté Géraldine Duriez, conseillère d’orientation-psychologue (COP) au Centre d’information et d’orientation d’Epinay-sur-Seine (93). « Des états généraux, il y en a pour tout et n’importe quoi ! Ça n’est pas la violence qui est la cause du malaise. Ça fait du bien d’en parler, mais clairement, elle masque le débat sur les problèmes de fond ! » poursuit-elle.

Si l’académie de Créteil est généralement réputée pour être une zone difficile, les professeurs qui y exercent disent pourtant ne pas être confrontés quotidiennement à de telles violences. « Je ne veux pas sous-estimer ce que vivent certains collègues », explique Jean-Christophe, professeur de français depuis un an au collège « ambition réussite » Robert-Doisneau, à Clichy-sous-Bois (93). C’est dans ce collège qu’étudiaient Zyed et Bouna, les deux jeunes décédés dans un transformateur électrique en 2005. « Mais il ne faut pas diaboliser les élèves. S’il y a des problèmes de violence ordinaire, c’est parce qu’il manque du personnel encadrant ! » poursuit-il.

Un avis qui fait écho aux paroles de Karine Walzer, la documentaliste du lycée professionnel Alfred-Costes à Bobigny. « La violence du quotidien, celle dans les couloirs, elle se règle en interne, grâce à du personnel encadrant qui s’investit. Pas en mettant des caméras ou des policiers ! » « Et puis, s’il y a de la violence, c’est par manque de moyens ! », rajoute-t-elle, exaspérée.

« On n’est pas malheureux mais on n’est pas contents ! »

Mobilisés, les professeurs le sont donc surtout pour réclamer des moyens. Des moyens humains. « Plus que la violence physique, il y a la violence institutionnelle », explique Géraldine Duriez, la COP d’Epinay-sur-Seine. « La violence institutionnelle, c’est quand on retire du personnel formé pour le remplacer par des contractuels sans compétences ! » insiste-t-elle. Un thème qu’abordent tour à tour ces jeunes professeurs. « Dans mon lycée, on n’est pas dans le créneau violence. On n’est pas malheureux mais on ne peut pas enseigner dans de bonnes conditions », témoigne Clarie Giraud, professeur de sciences économiques et sociales (SES), au lycée Utrillo de Stains (93).

De « bonnes conditions », voilà donc leur revendication principale. « On veut plus de moyens, en particulier la récupération des 50.000 postes supprimés depuis trois ans », dit Fabien Vite, 25 ans, professeur de sciences de la vie et de la terre (SVT) au collège/lycée Jean-Renoir de Bondy, depuis trois ans. Une revendication évoquée également par Julie, une jeune enseignante de lettres classiques. Il y a trois ans, elle est devenue – sans en être avertie – TZR, c’est-à-dire « remplaçante », changeant plusieurs fois par an d’établissement au sein de l’académie de Paris.

« Certes, il y a des aspects positifs, on voit plein de choses différentes mais c’est aussi très fatigant, je ne me vois pas faire ça toute ma carrière », explique-t-elle. Pourtant Julie n’est pas certaine de récupérer un poste de titulaire. « En plus des suppressions de postes, la réforme du lycée donne davantage d’heures aux stagiaires en formation, lâchés devant des lycéens parfois difficiles. C’est autant d’heures qui diminueront le nombre de postes à temps plein », ajoute-t-elle. Un état de fait qu’attaque également Jean-Christophe : « Avec la masterisation, on voit arriver du personnel moins formé. L’éducation nationale a recours à des contractuels qui viennent fragiliser les équipes pédagogiques. »

Géraldine Duriez s’inquiète, pour sa part, de « la dématérialisation de notre service. On nous demande de conseiller via des plates-formes multimédias. On n’est plus face à des élèves mais devant un ordinateur. Pour des questions aussi importantes que l’orientation scolaire, on a besoin d’une proximité ! »

De cette réforme du lycée, les enseignants dénoncent également la disparition de « l’aide individualisée », ou « la concurrence introduite entre collègues au niveau de la répartition de certaines heures en classe dédoublée », explique Fabien Vite. Les critiques fusent. « A chaque fois, les réformes sont mises en place à marche forcée, sans concertation avec les professeurs ou les lycéens », dénonce excédée, Julie. Notamment en ce qui concerne le contenu des manuels scolaires, à l’instar des « SES ».

« Les programmes ont été considérablement modifiés par un groupe d’experts, qui donnent une image plus valorisante de l’entreprise. Ils tronquent grandement l’aspect sociologique et laissent peu de place aux grands débats économiques actuels – comme le chômage – alors que c’est ce qui plaît le plus aux élèves », dénonce Clarie Giraud.

Une réforme qui touche à tout, mais qui ne règle rien ? Le constat est identique du côté de l’enseignement professionnel. « Dans les lycées pro, on connaît un vrai malaise parce qu’on traite la merde sociale. Les gamins sont orientés n’importe comment. Notre boulot, c’est de leur donner des billes pour leur vie, et pas forcément un diplôme de qualité. On leur apporte de la sociabilité, de la culture, de la citoyenneté. Mais en supprimant le CAP, qui permettait d’accueillir des élèves en grandes difficultés, comment on fait ? Ces jeunes risquent de sortir du système scolaire », explique la dynamique Karine Walzer.

Un désarroi que ces jeunes professeurs partagent. Aucune tentative du ministère de l’éducation nationale ne semble les satisfaire. « Avec ces réformes successives, on continue d’aller dans de mauvaises directions pour l’avenir de l’école », explique ainsi Jean-Christophe.


A Créteil, la solidarité du corps professoral

Un malaise, un mécontentement mais surtout une lassitude... C’est le cas de Claire Olinet : « On est lassés de devoir faire grève continuellement pour garder nos moyens. » Un dialogue de sourds entre enseignants et ministère ? En tout cas, un fossé, comme en témoigne Géraldine Duriez. « On nous demande sans cesse d’appliquer des textes, mais ces textes ne prennent jamais la mesure de ce qui est fait ou faisable sur le terrain... »

Une lassitude qui pousse certains professeurs à quitter l’académie au bout de leurs cinq années d’affectation. « On est une équipe très jeune au collège Robert-Doisneau, notamment parce qu’on est un lycée de première affectation. Mais surtout parce qu’il y a une rotation très forte », explique Jean-Christophe. Ce turn-over a d’ailleurs poussé le ministère à mettre en place une aide spécifique au logement en 2009, à destination des jeunes professeurs venant s’installer dans quatre villes de Seine-Saint-Denis. Une prime de 6000 euros, sur trois ans, est censée favoriser la stabilisation des équipes pédagogiques. « Mais si ces enseignants ne viennent que pour la prime, c’est encore de la poudre aux yeux », regrette Géraldine Duriez.

Le tableau n’est pourtant pas si noir. Nombre de professeurs ne veulent pas quitter l’académie. Comme Claire, qui n’a « pas du tout envie de partir, parce qu’il est assez gratifiant d’enseigner à ces élèves ». Originaire de Limoges, Claire Olinet entame sa cinquième année dans l’académie de Créteil. Ce qu’elle apprécie particulièrement ici, c’est la « solidarité et le soutien des équipes enseignantes », explique-t-elle bras dessus bras dessous avec l’une de ses collègues.

Ces enseignants ne perdent donc pas espoir. Notamment Fabien Vite. « Malgré tout, je ne suis pas démotivé parce que je pense qu’on fait un beau métier ! » Ce que souligne à sa manière Karine Walzer : « Enseigner, c’est pas seulement faire de la garderie, mettre des notes et avoir de longues vacances. Les professeurs qui le deviennent pour de mauvaises raisons déchantent vite ! »