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PES : qui seront les dindons de la farce ? - SNCS-HEBDO 10 n° 02 du 3 mars 2010

mercredi 3 mars 2010, par Elie

Pour lire ce texte sur le site du SNCS.

En imposant autoritairement la prime dite « d’excellence scientifique », le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur montre son ignorance du fonctionnement de la recherche. Cette prime est aussi génératrice de nombre d’embûches : comment passer au travers du décret qui impose aux chercheurs d’être « excellents » et médaillés ou d’être « excellents » et d’effectuer 64 h équivalent TD d’enseignement pour décrocher la timbale ?
Patrick Monfort, secrétaire général du SNCS-FSU

Le ministère a décidé d’aligner sur 4 ans les taux des promotions des chercheurs avec ceux, bien meilleurs, des enseignants-chercheurs. Si elle est appréciable, la mesure ne répond que pour partie à l’urgence de la situation, car les retards de carrière dans les organismes de recherche se sont accumulés depuis plus de 20 ans. Cette mesure ne s’applique pas aux ITA pour lesquels le ministère dit vouloir agir, mais ne fait rien dans les faits. Quant au faible niveau des traitements des jeunes recrutés, le ministère refuse de négocier la grille salariale. Il préfère la « prime d’excellence scientifique » (PES), traduction nouvelle de la prime au mérite.

Le SNCS n’est pas opposé à une certaine différenciation républicaine des carrières, telle qu’elle peut être réalisée par des promotions plus ou moins rapides selon les « qualités et les talents » de chacun. Il est en revanche totalement opposé à la mise en place d’un système de vedettariat passant par l’attribution subite de primes sans commune mesure avec les traitements des chercheurs. Cette individualisation à outrance est une négation du fonctionnement collectif de la recherche et ne se fonde que sur des préjugés politiques. Le milieu scientifique ne s’y est pas trompé et l’a montré par de nombreuses motions et par des refus tout à fait inédits d’attribution de médailles et d’autres récompenses, à partir du moment où, originalement de distinctions honorifiques, ces médailles et ces prix sont devenus prétextes à division du milieu. Les refus de percevoir la prime, la signature de la pétition mise en ligne par les organisations syndicales sont des signes forts du dégoût qu’inspire à la communauté une politique fondée sur l’exception favorable à une minorité et sur le mépris du plus grand nombre. Le SNCS apporte son soutien aux chercheurs qui ont d’ores et déjà refusé de recevoir la PES.

La PES est scientifiquement perverse. Elle est aussi techniquement absurde. Le ministère a aléatoirement fixé à 20 % le nombre de chercheurs susceptibles de la percevoir dans les 4 ans à venir. D’une part, la PES est attribuée aux chercheurs lauréats de prix scientifiques. D’autre part, la PES sera attribuée cette année par les organismes aux chercheurs « excellents » et qui enseignent ou s’engagent à le faire pour 64 h équivalent TD. Sur 11 700 chercheurs actuellement en poste au CNRS, 2 340 chercheurs pourraient donc percevoir la PES. Environ 400 chercheurs primés auraient reçu la PES automatiquement en 2009. Il reste donc à trouver environ 1 900 chercheurs excellents et effectuant ou s’engageant à effectuer une charge d’enseignement équivalent à un tiers de celle d’un enseignant-chercheur ! Cette situation se retrouve dans tous les EPST (Inserm, IRD, INRA...). Cette obligation d’enseigner montre bien l’objectif politique de la PES, qui est simultanément de détruire le statut des chercheurs et de limiter le recrutement des enseignants-chercheurs. Le ministère confirme la volonté politique d’imposer aux chercheurs une charge d’enseignement, alors qu’il est incapable d’évaluer leur actuelle participation à l’enseignement : car bien souvent en effet ces heures enseignées ne sont pas rémunérées, et donc invisibles !

Les directions des organismes de recherche ont bien compris la difficulté qu’il y a à trouver un nombre suffisant de chercheurs réunissant les deux conditions : excellence et charge d’enseignement. Même si, dans les 64 h équivalents TD, sont décomptées (ce qui n’est pas prévu dans le décret) des heures d’équivalence pour encadrement d’étudiants, il sera impossible d’atteindre une telle charge d’enseignement. Les organismes sont donc en train d’élaborer des procédures pour contourner cette deuxième condition, et ainsi attribuer la PES aux seuls « excellents », qu’ils enseignent ou non. De nouvelles frustrations vont naître. En effet, parmi les 80 % de chercheurs supposés « non excellents », ceux qui participent, souvent bénévolement, à l’enseignement ne percevront aucune prime. Cela est confirmé par le ministère. Ils verront primer certains de leurs collègues de la « bonne » catégorie moins investis qu’eux dans l’enseignement. Pour ne pas être les dindons de la farce, il leur restera par dépit à abandonner l’enseignement, ou bien à faire un recours au tribunal administratif pour demander l’application stricte du décret ministériel.

Il devient urgent d’arrêter ce processus destructeur de nos métiers de chercheur. Le SNCS appelle à continuer de signer la pétition disponible en ligne. Il appelle les instances scientifiques et les commissions d’évaluation des organismes (Comité national de la recherche scientifique, Commissions scientifiques spécialisées ou sectorielles) à ne pas cautionner la mise en place de la PES, en particulier en s’abstenant d’attribuer de nouvelles distinctions et à refuser de donner un quelconque avis sur les attributions de PES. Les directions des organismes doivent prendre leurs responsabilités : soit elles feront le constat de l’absurdité du système et, plutôt que de contourner le fond du décret, refuseront d’attribuer la PES, soit elles l’attribueront elles-mêmes sans la caution des élus dans les instances scientifiques, et prendront la responsabilité des conflits qui s’ensuivront. Il importe d’annoncer ici que le ministère a indiqué que si les organismes ne dépensaient pas la totalité du budget de la PES, le reliquat resterait à leur disposition et pourrait être affecté à une augmentation des promotions.

Le SNCS continuera à agir pour exiger de véritables négociations sur les rémunérations et les carrières :
- refonte de la grille salariale permettant une augmentation significative pour les jeunes recrutés chercheurs et ITA ;
- déblocage des fins de carrières chercheurs et ITA ;
- prise en compte des années travaillées à l’étranger avant le recrutement dans le calcul des retraites ;
- transformation de la ligne budgétaire de la PES en promotions.