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A propos de l’évaluation des initiatives d’excellence, et pour commencer des Equipex - blog "Évaluation de la recherche en SHS", 28 janvier 2011

dimanche 30 janvier 2011, par Laurence

Cela fait maintenant quelques mois que Sylvain et Sylvette Sophie s’envoient des courriers l’un à l’autre, dont la teneur est qu’il faudrait, tout de même, faire un billet sur la série des -Ex qu’a généré le Grand Emprunt : Equipex, Labex, Idex. De cette série, bien des choses justes ont déjà été dites, et nous aurions pu les redire à notre manière :

1) La série des -ex ne relève pas tant d’une politique de promotion de l’ « excellence », que d’une politique d’aménagement du territoire. En effet, grâce à cette série, se met en place sur le territoire français la distinction que préconisait le rapport Belloc entre grosses universités de recherche et petites universités de proximité, éventuellement limitées à la licence.

2) Bien plus, la série des -ex permet de faire que cette mise en place se fasse très rapidement et sans douleur, puisque ce sont les enseignants-chercheurs eux-mêmes s’inscrivent volontairement (sinon « spontanément ») dans cette démarche. Hormis quelques rares cas de refus volontaire de participer à ces appels d’offre, la mise en compétition des projets mettait les chercheurs dans la situation impossible de passer pour un traître à son équipe. La solidarité avec le collectif imposait de contribuer, fût-ce en trainant des pieds. Sous l’invocation de l’autonomie, nous avons bien compris ces dernières années que le dessein général de ce gouvernement en matière scientifique vise à remettre très fortement la main sur le « pilotage » de la recherche. Avec les carottes du Grand Emprunt, c’est toute la population du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche qui s’est placée dans une situation d’asservissement volontaire.

3) Dans une période de restrictions budgétaires, la récompense de l’ « excellence » va de pair avec la pénalisation de la — dans la novlangue, c’est quoi d’ailleurs la « non-excellence » ? — disons de la « moindre performance ». Autrement dit, il s’agit d’un politique scientifique visant à renforcer ce que le sociologue des sciences Robert K. Merton avait proposé d’appeler, en référence à un verset de l’Evangile selon Saint Matthieu, « l’effet Matthieu ». Merton tentant en effet d’attirer l’attention sur les mécanismes par lesquels les chercheurs et les institutions ayant bénéficié à un moment ou à un autre d’une forme ou d’une autre de distinction en venaient à bénéficier d’avantages toujours plus considérables, et toujours plus disproportionnés par rapport à ce qui leur avait valu d’être initialement distingués, il introduisit la chose par ce verset bien connu : « À celui qui a, il sera beaucoup donné et il vivra dans l’abondance, mais à celui qui n’a rien, il sera tout pris, même ce qu’il possédait. » Philippe Büttgen a excellement résumé la chose dans une formule qu’il ne faut pas cesser de méditer : « L’excellence, c’est le plan social de la science « . Elle est le nom de la promotion des vainqueurs, qui légitime la liquidation des perdants. Le parallèle avec la désindustrialisation de notre pays dans les dernières décennies mérite qu’on y réfléchisse bien.

4) Les délais extrêmement brefs dans lesquels il a fallu répondre à ces appels d’offre participent bien sûr d’une tendance à travailler à flux tendu maintenant devenue usuelle à l’Université, mais dont il faut tout de même rappeler qu’elle va à l’encontre de ce qu’est le travail intellectuel. Il s’agissait d’inventer en quelques semaines, au coeur de l’été, un programme de travail innovant pour les dix prochaines années. Quelle que soit la discipline concernée, un horizon de dix ans relève davantage de la prospective que du plan d’action détaillé. Le propre de la science est d’affronter l’inconnu. Elle ne sait pas par avance ce qu’elle va découvrir. Demander des programmes précis à si longue échéance, détailler la liste des productions « livrables » année par année, cela revient à démonétiser l’inventivité et l’ouverture aux résultats inattendus en faveur de la production routinière de données standardisées. Nous aurions dû le comprendre instantanément : les projets d’excellence n’avaient de sens que pour des opérations lourdes, à tous les sens du terme.

5) Ces délais extrêmement brefs ont d’ailleurs eu des effets tout à fait immédiats dans toutes les institutions :
- Le plus souvent, le contenu scientifique des projets n’était pas satisfaisant, puisqu’il fallait bricoler dans l’urgence, avec des exigences contradictoires. Nous n’excluons pas qu’il y ait eu de bons projets, qu’ils aient été l’étape finale d’une réflexion de longue date ou qu’il y ait eu des ressources humaines suffisantes pour se mobiliser pour en mettre un grand coup. Mais simplement, dans la plupart des cas, ces conditions ne pouvaient pas être réunies.
- En tout état de cause, l’enseignant-chercheur de base n’a pas pu s’approprier ces projets, tout simplement parce qu’ils ont été en grande partie rédigés par les directeurs de laboratoire, vice-présidents d’université, etc. Bien sûr, il ne s’agit pas de blâmer ces derniers, qui ont fait ce qu’ils pouvaient, et on se dit que certains ont dû le faire à contre-coeur comme on dit. Mais il s’agit bien de constater que, là encore, c’est de la différence qui s’institue et qui s’enkyste : différence politique entre ceux qui décident et ceux qui, au mieux, suivent. Question de politique donc.

6) Finissons en avec la politique. Les structures mises en place, dans la mesure où elle seront trans-disciplinaires, trans-laboratoires, trans-toutes-les-structures-existantes, court-circuiteront bien entendu ces dernières. Et, comme il faut bien les « gouverner » ces nouvelles structures, une fois encore, contournement des quelques instances démocratiques existant encore dans l’université, pilotage par en haut dont on peut douter que, étant donné les pratiques de l’Université française, il procédera toujours du choix des meilleurs, etc., etc.

Bon. Tout cela était donc connu de tous, ou en tout cas de tous ceux qui veulent bien ne pas se bercer de l’illusion de leur excellence. Il nous fallait donc contribuer au débat par des considérations spécifiques concernant l’évaluation, et plus précisément les procédures d’évaluation de ces projets, plus précisément encore les procédures d’évaluation de ces projets en SHS. Mais quoi ?

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