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Education : les inspecteurs à leur tour en grève - Lucie Delaporte, Mediapart, 10 février 2011

vendredi 11 février 2011, par M. Homais

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Les magistrats ne sont pas les seuls, cette semaine, à exprimer leur colère. Autre profession d’ordinaire très discrète, les inspecteurs de l’éducation nationale, intermédiaires entre le ministère et les enseignants, vivent de plus en plus mal l’autisme de leur hiérarchie face à la dégradation des conditions d’enseignement. Très visibles dans les cortèges lors des manifestations du 22 janvier, un certain nombre d’entre eux devraient, cette fois encore, participer à la journée de grève organisée jeudi 10 février dans toute la France pour dénoncer la casse de l’école. « Le mécontentement est grand », confirme Michel Gonnet, secrétaire général du SNPI-FSU.

C’est une petite phrase de Luc Chatel, lâchée la semaine dernière, qui a remis de l’huile sur le feu : « Il faut revoir le fonctionnement du corps de l’inspection et créer des entretiens d’évaluation avec des personnalités indépendantes », a annoncé le ministre de l’éducation lors d’un petit-déjeuner avec des sympatisants UMP du cercle Concorde. Sans aucune concertation, les inspecteurs ont donc appris que l’une de leurs principales missions pourrait leur être retirée sans que le ministère ait pour l’instant précisé qui pourraient être ces « personnalités indépendantes ».

Rouage essentiel de la mécanique éducative, les quelque trois mille inspecteurs chargés tout à la fois de faire appliquer les réformes, d’évaluer les enseignants et de participer à la recherche pédagogique, ne cachent plus aujourd’hui leur malaise. Témoins quotidiens de la paupérisation de l’école, des difficultés croissantes des enseignants – corps dont ils sont majoritairement issus après avoir passé des concours –, ils vivent de plus en plus mal leur impuissance devant les suppressions massives de postes (16.000 cette année) ou la réforme bâclée de la formation des enseignants.

Au sujet de la réforme de la formation des enseignants, parce que leurs préventions déplaisaient sans doute, ils ont l’impression que le ministère a décidé de se passer de leur expertise. Le chaos causé par l’arrivée des jeunes enseignants stagiaires sans aucune formation pratique ? Ils l’avaient annoncé les premiers, avec force, sans être entendus. Ils n’ont ensuite eu d’autre choix que de faire appliquer la réforme quitte à partir à la chasse aux tuteurs, ces enseignants « volontaires » pour encadrer les nouveaux arrivants. Chantage, menaces, pressions, tous les moyens ont été utilisés pour réquisitionner ces bonnes âmes. Ce qui a parfois durablement déterioré leurs relations avec les enseignants très remontés contre cette réforme.

« Etre là pour étouffer les problèmes »

« Il y a aujourd’hui une forme de souffrance au travail des enseignants. Mais quand on fait remonter les difficultés des jeunes stagiaires à notre recteur à Lille, il nous affirme que, selon ses statistiques, il n’y a pas plus de démissions qu’avant... donc que tout va bien ! », rapporte Michel Volckrickc du SI.EN Unsa, principal syndicat des inspecteurs. « Alors que notre rôle est d’être l’interface entre le ministère et les enseignants, on se retrouve dans une position de tampon, avec le sentiment d’être là pour étouffer les problèmes du terrain. »

C’est un diagnostic que partage Patrick Roumagnac, secrétaire général du SI.EN : « Une coupure s’est établie au sein de la chaîne pédagogique. Nous devrions être les relais entre les échelons décisionnels et la mise en place sur le terrain. Or, sur le terrain, cela n’arrive plus à passer. Quand un recteur nous dit, avec les suppressions postes, ne vous inquiétez pas cela va très bien se passer, si on tient ce discours auprès des enseignants, on se disqualifie complètement ! »

Autre signe qu’on ne les écoute plus, quand le ministre, lors de la présentation de son plan sciences, encourage les enseignants à faire faire quinze minutes de calcul mental par jour : les syndicats des inspecteurs s’étranglent et rappellent poliment qu’une circulaire impose cette pratique depuis plus de trois ans ! Tout comme existent aussi, de longue date, les inspecteurs chargés des mathématiques.

« Les exigences sur l’inspection portent aujourd’hui plus que jamais sur le contrôle de l’application des textes, par exemple la mise en place de l’aide individuelle, avec l’objectif de faire remonter des chiffres positifs – 94% des enseignants l’ont initiée. Mais peu importe ce qu’ils y font d’ailleurs, seuls les chiffres comptent », affirme l’inspecteur Pierre Frackowiak. Selon lui, les inspecteurs subissent de plus en plus de pressions pour devenir « des contrôleurs, voire des adjudants de service ».

Au quotidien, leur mission d’accompagnement pédagogique des enseignants passe à l’arrière-plan au profit de tâches qu’ils jugent souvent secondaires, voire superficielles. Beaucoup racontent crouler sous les charges administratives ou des enquêtes de terrain à rendre en urgence : enquête sur les langues, sur les rythmes scolaires, sur le service minimum d’accueil... « On nous fait juste comprendre que les chiffres doivent être bons, c’est important pour la carrière et la prime du recteur ! », persifle l’un d’eux.

« Un inspecteur, ce n’est pas seulement cela, c’est aussi un expert disciplinaire. En tant qu’expert, on est là pour apporter une évaluation rigoureuse et neutre, ce qui demande une certaine indépendance intellectuelle, prévient Dominique Momiron de la FSU. Aujourd’hui, on nous demande d’être les VRP de choix politiques qui ne sont pas discutés. Et si l’on fait part de nos réserves ou de nos doutes, on nous renvoie à notre devoir de loyauté. »

Pour Michel Gonnet, secrétaire général du SNPI-FSU, l’exigence de loyauté ne saurait entamer leur liberté d’expression qui est « pleine et entière. Il y en a beaucoup qui n’en usaient pas mais qui ont, aujourd’hui, décidé de ne plus se taire ».