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La Maison de l’histoire de France ne doit pas s’ériger au détriment des Archives nationales - Point de vue publié dans Le Monde, 1er mars 2011

mardi 1er mars 2011, par Elie

Pour lire cet article sur le site du Monde.

En 2001, des archivistes, historiens, généalogistes créaient une association, une cité pour les Archives nationales. Ils partaient d’un constat : les Archives nationales, institution chargée des papiers de l’Etat du Moyen Age à nos jours et ouverte à tous, se trouvaient dans une situation catastrophique : bâtiments vétustes et saturés, désaffection des autorités de tutelle, moyens dérisoires. Ils fixaient un objectif : "Remettre les Archives au coeur de la cité", comme l’avait écrit Philippe Bélaval.

L’association souhaitait qu’un nouveau bâtiment fût construit. Elle ne se battait pas seulement pour obtenir l’espace indispensable pour archiver, classer, communiquer et exposer. Elle savait que la construction du bâtiment permettrait une véritable refondation de l’institution.

Dix ans ont passé. Au combat ont succédé la construction et l’élaboration du projet. Celui-ci a été porté par deux femmes auxquelles il est en quelque sorte identifié : Martine de Boisdeffre, directrice des Archives de France de 2001 à 2010 ; Isabelle Neuschwander, secrétaire générale de l’association Une cité pour les Archives nationales, puis responsable du projet auprès de Martine de Boisdeffre, et enfin directrice des Archives nationales à partir de 2007.

Ce projet n’a jamais été un projet corporatiste, confiné dans le pré carré des archivistes, destiné aux seuls historiens. Il est ouvert sur la société. Cette ouverture se manifeste par l’organisation d’expositions, par l’accueil des scolaires, par une entreprise considérable pour offrir en ligne les centaines de catalogues et inventaires élaborés depuis deux siècles et les documents les plus sollicités.

Le projet des Archives nationales est fondé sur un équilibre entre le site historique du Marais et le nouveau bâtiment situé à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Tout cela s’est fait dans la discrétion, le sens du service public, la maîtrise des délais et des coûts, le dialogue avec les usagers et les représentants des collectivités territoriales, la recherche du consensus dans le monde politique.

L’annonce de l’installation de la Maison de l’histoire de France sur le site parisien des Archives nationales le 12 septembre 2010, sans aucune consultation préalable des responsables des Archives, est venue mettre en péril ce projet. Cet acte brutal a été la cause d’un conflit entre le personnel des Archives nationales et son autorité de tutelle.

Notons toutefois que le personnel n’a jamais entravé la bonne marche du service au public : les expositions, les salles de lecture ont toujours été ouvertes. Alors que le conflit semblait en voie d’apaisement, une deuxième décision violente vient d’intervenir : le limogeage d’Isabelle Neuschwander. Elle incarnait le projet. C’est lui qui en est atteint.

Disons d’abord que ces méthodes nous choquent par leur brutalité à l’égard d’une personne dont chacun reconnaît la compétence et le désintéressement. Surtout, alors que le projet entame sa dernière ligne droite (le bâtiment de Pierrefitte sera livré dans moins d’un an pour une ouverture au public en janvier 2013), l’institution est déstabilisée, la personne qui pilotait un projet dont elle maîtrisait toute la complexité ainsi que les enjeux disparaissent sans que soit prévue une indispensable transition.

Dans l’intérêt de tous, il est urgent de témoigner de nouveau au personnel et aux usagers des Archives nationales la considération qu’ils méritent.

Il serait paradoxal que la Maison de l’histoire de France s’édifie au détriment, voire au mépris, des Archives nationales, comme le laissent craindre les procédés à l’oeuvre depuis près de six mois. Il est urgent d’engager une réflexion sereine sur ce chantier d’intérêt national.

Jean-Louis Beaucarnot, généalogiste ;
Eric Deroo, documentariste ;
Philippe Joutard, historien ;
Catherine Martin-Zay, libraire ;
Hélène Mouchard-Zay, chercheur au Centre d’étude et de recherche des camps du Loiret ;
Mona Ozouf, Benjamin Stora, Laurent Theis, Pierre Nora, Annette Wieviorka, Michel Winock, Jean-Pierre Azéma, historiens.