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Labex, masse critique et autres futilités - Olivier Bouba-Olga, blog "obouba", 2 avril 2011

mercredi 6 avril 2011, par Elie

Pour lire cet article sur le blog "Obouba".

Dans la continuité de la publication de la liste des Labex et plus généralement de la politique de la recherche et de l’enseignement supérieur menée en France, voici une tribune co-écrite avec des collègues toulousains spécialistes de sociologie et de géographie des sciences.

Nous avions rédigé cette tribune en réaction aux propos de Jean-François Dhainaut, directeur de l’AERES, dans les Echos. Nous l’avions logiquement proposée aux Echos, qui avaient accepté de la publier sans pouvoir nous dire quand. Comme elle n’a toujours pas été mise en ligne, (no comment) je la publie ici.

L’agence d’évaluation de la recherche et la géographie des sciences

Michel Grossetti, Directeur de recherches au CNRS
Béatrice Milard, Maître de Conférences
Denis Eckert, Directeur de recherches au CNRS
Olivier Bouba-Olga, Maître de Conférences

L’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) vient de publier « une cartographie de toutes les universités françaises, en formation comme en recherche » (Jean-François Dhainaut, directeur de l’agence, cité par Les Echos.fr, 11.01.11). Si l’on en croît ledirecteur de l’agence, cette cartographie fait apparaître des disparités en ce qui concerne le nombre de chercheurs appartenant à des laboratoires que l’AERES a classés en « A+ ». Il en conclut selon l’article cité que « Pour un certain nombre de régions hors des grandes métropoles, des collaborations serrées seront indispensables pour atteindre la masse critique qui leur permettra de travailler à armes égales ».

On retrouve dans ce discours une idée très répandue dans les instances de pilotage de la recherche et que l’on peut baptiser « la théorie de la masse critique ». L’expression « masse critique » fait référence de façon métaphorique à la masse de matériau radioactif à partir de laquelle se déclenche une réaction nucléaire. Appliquée à des activités de recherche, cette métaphore consiste à dire qu’il faut une densité suffisante de chercheurs dans une institution, une métropole ou une région pour que la qualité de la recherche soit bonne, les chercheurs étant censés avoir besoin de nombreux collègues à proximité pour échanger des idées et être stimulés dans leur travail. Toutefois, s’il est possible en physique de calculer avec précision la masse critique, ce n’est nullement le cas dans les activités sociales, celles de recherche comme les autres. Quelques tentatives ont été effectuées pour établir un lien entre le nombre de chercheurs rassemblés dans une même ville ou région et le nombre moyen d’articles publiés par chercheur [1]. Elles n’ont pas pu établir ce lien et tout semble indiquer que la masse critique en matière de recherche n’est rien d’autre qu’une idée reçue, sans fondement empirique. Le nombre de publications d’une ville ou d’une région est en général quasiment une fonction linéaire du nombre de chercheurs, lequel résulte des évolutions de l’enseignement supérieur et des politiques conduites à l’échelle nationale ou locale. Ainsi dans le cas français, la concentration des chercheurs dans la région parisienne ne s’explique nullement par le climat du bassin parisien, les bienfaits de l’urbanisme haussmannien ou les politiques actuelles du Conseil Régional d’Île de France, mais par une très longue histoire du système scientifique d’un pays très centralisé, où les gouvernements ont choisi de concentrer les moyens dans la capitale depuis les grandes écoles du XVIIIe siècle, l’Université Impériale de 1808 ou le CNRS de 1939. Dans le discours du directeur de l’AERES, la « masse critique » semble être fixée à 500chercheurs relevant de laboratoires classés A+, mais il ne précise nulle part comment ce seuil a été calculé et à quelle équation il correspond. Le rapport de l’AERES que le directeur présente [2] est une simple compilation par académie des rapports de l’Agence qui ne comporte aucune analyse spatiale qui mettrait en rapport de façon systématique des éléments d’évaluation avec des caractéristiques locales. L’expression « masse critique » y apparaît 9 fois dans les contextes les plus divers pour évoquer la taille d’écoles doctorales, d’universités, d’UFR, de laboratoires, etc. Il y atout lieu de penser que le seuil de masse critique évoqué par son directeur dans l’article cité est parfaitement arbitraire et ne correspond à rien d’autre qu’à l’imaginaire de celui qui le mentionne.

Pour lire la suite.


[1Voir par exemple l’article suivant : Bonnacorsi A. et Daraio C., 2005, « Exploring sizeand agglomeration effects on public research productivity”, Scientometrics, Vol. 63, n°1, pp.87-120.