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Bac 2011 : Platon contre la RGPP - Libération, Christophe Miqueu, Professeur de philosophie, membre du bureau national du Parti de Gauche, 20 juillet 2011

jeudi 21 juillet 2011, par Mariannick

On a beaucoup parlé de la fuite sur Internet de l’exercice de mathématiques du baccalauréat. Rien de mieux ne pouvait sans doute arriver pour les libéraux qui tous les jours vilipendent le plus célèbre des examens français : quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Mais un autre fait, bien plus symptomatique, s’est déroulé au cours de ce baccalauréat 2011. Trois mille copies de l’épreuve de philosophie ont été à la recherche de correcteurs dans les trois académies de la région parisienne. Situation inconcevable, renversante, et apparemment aux antipodes de la précédente : ce n’est pas ici un manque de vigilance que l’on rencontre, mais la décrédibilisation méthodique d’un examen national.

Outre le risque que cela a engendré en termes de correction (temps, qualité, etc.), qu’est-ce que cette situation nous révèle ? Rien de moins qu’un système généralisé de la pénurie dans l’Éducation nationale ! L’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public a fait entendre son indignation et mis en exergue que plus de 50 postes ont été supprimés en deux ans dans la discipline sur ces académies. Mais suffit-il de rappeler cela ? Ces suppressions de postes touchent toutes les disciplines, tous les établissements et donc tous les élèves. On pourrait aussi parler de la précarisation grandissante des enseignants comme de l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale, des enseignants qui ne trouvent pas de remplaçants, des services répartis sur plusieurs établissements sans la moindre cohérence en termes d’emploi du temps ou encore des classes surchargées. On pourrait évoquer les pressions exercées, notamment sur les plus vulnérables (les personnels non titulaires), la gestion de plus en plus « managériale » d’établissements qui deviennent autonomes, la mise en concurrence entre établissements, entre enseignants et entre élèves, et, bien sûr, la disparition de l’année de formation post-concours entraînant l’envoi immédiat de jeunes lauréats des divers concours devant des classes sans accompagnement préalable.

La pénurie est le fruit de la rationalisation à tous crins orchestrée par la Réforme générale des politiques publiques (RGPP). La désorganisation qui en résulte est le meilleur moyen pour que le système affaibli soit aussitôt accusé de tous les maux, et en particulier d’être incapable de surmonter ses faiblesses. Nous avons, par cet exemple de l’épreuve de philosophie, l’illustration des ravages de la RGPP sur l’école de la République : le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux et les dizaines de milliers de postes qui disparaissent de l’Éducation nationale sont en train de l’achever.

Ce qui vaut pour la philosophie vaut pour l’Éducation nationale dans sa globalité et, au-delà, pour l’ensemble des services publics. Ayons en tête la Poste ou l’hôpital public. Partout, la logique est la même : une fois les postes supprimés et la pénurie devenue mode de fonctionnement ordinaire, alors le pourrissement interne en vue d’une décrédibilisation externe ne peut plus être stoppé. Et toujours les fossoyeurs des biens publics de la nation se parent de la bonne conscience de ceux qui ne cherchent qu’à améliorer le système, « pour qu’il marche mieux », osent-ils dire ! « On marche sur la tête », s’emporterait à juste titre Marx !

Platon et nombre de ses successeurs philosophes dans l’histoire n’auraient jamais accepté, comme le savent tous nos bacheliers, que le juste soit ainsi réduit à ce qui est utile. Tant que la rentabilité à court terme prévaudra sur l’intérêt général, on continuera à marcher sur la tête, puisqu’on ira à l’encontre des principes fondamentaux qui soutiennent depuis la Révolution française notre conception émancipatrice de l’école.