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L’école de demain ? L’UMP la voit dans le laboratoire des Eclair - Lucie Delaporte, Mediapart, 14 novembre 2011

mardi 15 novembre 2011, par Elie

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La convention UMP l’a révélé mardi dernier. L’autonomie des établissements scolaires est le pilier de son programme pour l’école en 2012. Cette autonomie est déjà expérimentée depuis deux ans au travers du dispositif Eclair (Ecoles, collèges, lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite) généralisé dans les zones d’éducation prioritaire. « Je suis fier qu’il y ait 300 collèges (les Eclair) où il y a une autonomie de recrutement, où les chefs d’établissement ont choisi leur équipe pédagogique. Quelque part, c’est révolutionnaire ! Il faudra aller plus loin », s’est ainsi enflammé Luc Chatel, affirmant que le management mis en place dans ces établissements était bien l’aiguillon de sa politique. Un modèle à suivre d’urgence.

L’an passé, le programme avait quelque peu balbutié. La mesure phare, le recrutement par le chef d’établissement, a notamment eu du mal à se mettre en place compte tenu des délais impartis. Issu des états généraux de la sécurité à l’école, le dispositif semblait faire la part belle à la question du climat scolaire et au traitement de la violence. Depuis, sans être abandonnée, la question est un peu passée à l’arrière-plan au profit d’un net recentrage sur le management. Si l’éducation prioritaire marche mal, c’est désormais à cause d’une organisation peu efficace.

Depuis septembre, le dispositif Eclair est ainsi entré dans une nouvelle phase puisqu’il a été étendu à 300 collèges, et ce avant même qu’un premier bilan ne soit tiré de ces premières expérimentations. Plus encore qu’un énième dispositif sur l’éducation prioritaire, c’est véritablement le laboratoire de nouvelles politiques de gestion des ressources humaines dans l’éducation. Une politique tout droit issue du nouveau management public, comme l’ont analysé dans un ouvrage collectif Thomas Lamarche et Evelyne Rognon, Manager ou servir (édition Syllepses, 2011). « A la base du nouveau management public il y a l’idée qu’il faut rationaliser une dépense publique dont on ne sait pas très bien ce qu’elle produit. Il y a une volonté d’objectivation, de déterminer des outils, des méthodes pour permettre la comparabilité… Mais aussi, dans l’éducation, mieux contrôler une profession qui, historiquement, s’est toujours autorégulée », explique le sociologue Thomas Lamarche.

« Bonapartisme scolaire »

Au centre de cette nouvelle organisation que l’UMP a donc érigée en modèle, le chef d’établissement. Il devient le pivot de la nouvelle organisation. Parce qu’il peut, selonle Vademecum Eclair produit par le ministère, s’entourer d’une équipe « stable et motivée » qu’il aura pris soin de recruter lui-même, il devient un véritable patron. Le rôle du conseil d’administration a été singulièrement revu à la baisse pour lui laisser les mains plus libres. Le dispositif entraîne donc une petite révolution culturelle pour ces principaux et proviseurs appelés pour la première fois à rédiger des fiches de postes, conduire des entretiens d’embauche, mais aussi avec les enseignants, mener des entretiens d’évaluation. Comme dans le privé, ils disposent aussi d’une enveloppe pour rémunérer, au mérite, les profs référents ou les “préfets des études” qui ont donné satisfaction.

Pour l’historien de l’éducation Claude Lelièvre, « on retrouve bien là l’obsession du chef de ce gouvernement qui pense que la solution se trouve dans le management par un chef et surtout pas par un collectif. Une forme de bonapartisme scolaire en somme », s’amuse-t-il. « L’idée que le principal va recruter lui-même cela plaît beaucoup aux parents. Comme ça, se disent-ils, il aura vraiment les équipes à sa botte », affirme Emmanuel Deniaud, enseignant à Toulouse et représentant CGT.

Certains chefs d’établissement du réseau Eclair ont pris leur mission très à cœur. Trop parfois. Au collège Lenain de Tillemont de Montreuil, une grève suivie par 80% du personnel a ainsi éclaté jeudi dernier pour dénoncer « l’autoritarisme de la principale », un climat dégradé, voire un véritable « harcèlement ».

Leur autonomie tant vantée n’est d’ailleurs souvent qu’un leurre. Première déconvenue, à la rentrée, les postes ouverts au recrutement n’ont guère suscité l’enthousiasme et beaucoup sont restés vacants. Peu d’enseignants sont en réalité candidats à travailler dans ces établissements difficiles pour une prime mensuelle de 98 euros. Alors que les candidats devaient s’engager pour une durée de cinq ans, le Conseil d’Etat a retoqué la mesure le 14 octobre dernier, estimant qu’elle contrevenait au statut des enseignants. En guise d’équipe « stable et motivée », les chefs d’établissement ont dû souvent faire appel à des contractuels dont certains ont fait défection au bout de quinze jours. Par ailleurs, la modification de leur statut avec des contrats par objectif les soumet eux aussi à une pression qui les éloigne souvent de leur véritable métier.

Pour le sociologue Thomas Lamarche, « les chefs d’établissement sont en réalité jugés sur leurs capacités procédurales. Ils doivent faire du reporting, penser prévention des risques, bien répondre aux directives ». Et s’aperçoivent alors, croulant sous la paperasse des nouveaux indicateurs et autres tableaux de bord, qu’ils ne sont que les maillons d’une nouvelle bureaucratie. «  Cela a paralysé les équipes. Notre proviseur a peur de son ombre, confirme une enseignante. Nous avions un projet pour revaloriser les filières L et ES, trop souvent boudées par les élèves. Il s’agissait de présenter, deux heures tous les quinze jours et en fonction de la demande des élèves, les débouchés possibles au sortir de ces filières… Notre proviseur n’a pas su où ranger ce module donc, à la rentrée, le projet n’a pas été retenu sans autre explication. »

Les contremaîtres de l’Education nationale

Autre clé de voûte du dispositif que l’UMP tient pour l’étalon des réformes à venir : le renforcement du contrôle à tous les niveaux. Avec une idée simple, il faut mettre au pas une profession encore trop autonome. Pour cela, de nouveaux postes ont été spécialement “profilés”.

Enseignants référents, coordinateur inter-degré, préfets des études : avec les meilleures intentions pédagogiques du monde, ils conjuguent de façon surprenante leurs missions de coordination pédagogique avec celles de contrôle et d’évaluation des enseignants. Ils sont d’ailleurs, avec toute l’ambiguïté qui en découle, intégrés à l’équipe de direction. « Le principal a eu le plus grand mal à trouver des candidats pour être préfet des études. Il n’y a aucune décharge horaire et vis-à-vis des collègues, la position est très inconfortable », raconte une prof de Seine-Saint-Denis.

“Préfets des études” : derrière cette appellation qui fleure bon la caporalisation –le terme est en réalité emprunté à l’enseignement des Jésuites–, les missions sont très larges et par conséquent très floues. Sorte de super CPE (conseiller principal d’éducation), assistante sociale, professeur principal, relais de la police à l’occasion, leur rôle est souvent très mal perçu. « Quelle est leur légitimité pour participer à la notation de leurs collègues ? » s’interroge un prof parisien. Ironiquement, certains les appellent les “contremaîtres” de l’Education nationale. « Ils jouent un rôle de surveillance et de pression en salle des professeurs, raconte Emmanuel Deniaud de la CGT éduc’action de Toulouse rattaché au collège Eclair Bellefontaine. « Un conflit assez violent a par exemple opposé l’an dernier les collègues du collège Bellefontaine aux préfets des études qui souhaitaient continuer à participer aux heures d’information syndicale auxquelles ils avaient en effet le droit d’assister en tant que salariés, mais pour lesquelles leur position dans l’équipe de direction rendait toute discussion libre difficile pour les autres collègues. »

« On fait de la gesticulation »

« Chez nous, les volontaires pour être prof référent (censé mettre en place des projets pédagogiques, assurer le lien entre la direction et les enseignants), ce sont souvent des gens lassés de l’enseignement, attirés par la décharge de neuf heures », souligne Julie, enseignante de français en collège Eclair de Seine-Saint-Denis. A part ce rôle de surveillance et de contrôle, leur mission est parfois bien floue : « Ils brassent de l’air, mais on voit bien qu’ils n’ont pas grand-chose à faire », estime l’un deux. « Cela crée beaucoup de tension dans les équipes, renchérit Julie. C’est évidemment assez dur pour ceux qui continuent d’assurer devant les élèves, dans des conditions parfois très difficiles, de voir leurs collègues cumuler décharges et heures sup. » Beaucoup ont d’ailleurs pris leur fonction sans lettre de mission.

Du coup, certains improvisent. Là, une enseignante propose à ses collègues de faire les photocopies quand une autre, pour justifier son nouveau poste de liaison CM2-6e, fait du zèle et met en place un fichage des élèves de 6e… Le système, à n’en pas douter, tâtonne encore. Reste que ce nouveau mode de management a déjà des conséquences sur la façon de travailler des enseignants en Eclair. « On fait de la gesticulation », concède un prof, « la concurrence entre nous commence à se faire sentir. Il faut à tout prix faire sa com’ », reconnaît l’un d’eux. « Clairement, on est encouragé à faire des papiers avec des jolis camemberts, à faire de la visibilité à tout prix », renchérit un autre enseignant.

Censées stimuler les équipes, ces techniques de management mises en place depuis des années en Grande-Bretagne ont déjà montré leurs limites. Qu’importe. A entendre le ministre Luc Chatel lors de la convention UMP sur l’éducation, la France semble bien décidée à confier son avenir scolaire à ces principes. Avec la foi du converti.