Accueil > Revue de presse > À l’étranger > Le printemps érable : "200 000 fois « entendez-nous ! », 23 mars 2012", Le (...)

Le printemps érable : "200 000 fois « entendez-nous ! », 23 mars 2012", Le devoir.com, 23 mars 2012

lundi 26 mars 2012

Une marée humaine. Parents, professeurs et étudiants participent à l’une des plus importantes manifestations qu’a connues Montréal

Pour lire cet article sur le site du Devoir

Des appuis de profs, de parents et d’élèves du secondaire, et une journée de chaleur presque miraculeuse dans un printemps d’exception. Les étudiants ne pouvaient espérer mieux pour leur grande manifestation nationale, l’une des plus importantes qu’a connues Montréal, qui s’est déroulée hier après-midi de façon exemplaire. Dans cet immense appel à se faire entendre, ils ont été 200 000 à crier non à la hausse des droits de scolarité. « Cette fermeté du gouvernement explique que le débat se tient dans la rue », a lancé une représentante de Profs contre la hausse, à une foule survoltée lors des discours d’avant-marche.

Mais alors que le mouvement a atteint les 300 000 étudiants en grève, perturbé la circulation, bloqué le port, réalisé une multitude d’actions artistiques et, surtout, une manifestation monstre qui passera à l’histoire, que peut-il y avoir de plus porteur encore ? Le mouvement semble pourtant refuser de s’essouffler.

« Ce-n’est-qu’un-dé-but, conti-nuons-le-com-bat ! » Scandé par les étudiants gonflés à bloc, le slogan a résonné longuement sur les murs de pierre et le béton du Vieux-Port, au terme de la protestation. « La grève commence aujourd’hui », pouvait-on lire sur une gigantesque banderole.

L’absence de révision du budget Bachand semble avoir ravivé la colère de plusieurs. « Je pense que c’est un début, surtout après la sortie du budget qui a totalement ignoré les étudiants. C’est pire qu’une insulte », a dit Marie-Frédérique Gagnon, étudiante au certificat en philosophie de l’Université Laval. « Mais c’est sûr qu’on sent que ça se polarise. »

« On ne connaît pas l’avenir, mais ça n’a pas l’air parti pour diminuer », a renchéri son camarade, Isabeau Legendre. Il rappelle que plusieurs associations ont déjà reconduit leur vote de grève

jusqu’au 3 avril. Plusieurs associations notamment de l’UQAM ont également adopté une résolution qui fera en sorte que le prochain vote de reconduction de la grève ne se tiendra que si la ministre de l’Éducation dépose une offre satisfaisante.

« Certains sont restés à la maison depuis le début et trouvent le temps long. C’est sûr qu’on aimerait retourner en cours », a reconnu Perrine Leblan, étudiante en création littéraire et en cinéma. « Mais on va probablement proposer de reconduire la grève jusqu’à ce que le gouvernement accepte de nous écouter. »

Contre la hausse, ils l’étaient tous, oui. Mais le message porté était plus vaste, une sorte de ras-le-bol généralisé. « On est ici par solidarité contre le gouvernement libéral et contre le gouvernement Harper. Ça fait des mois, des années qu’on attend cette manifestation ! » s’est écrié Michel Lopez, en disant exprimer une exaspération au-delà des revendications étudiantes.

Selon le porte-parole de Québec solidaire Amir Khadir, le gouvernement Charest ne pourra plus tenir longtemps. « Je les ai sentis préoccupés. Ils ne vont pas l’afficher... mais ils sont dans le pétrin. Politiquement, je ne vois pas comment ils peuvent regarder les caméras et dire que tout va bien. C’est 200 000 personnes dans la rue, du soutien venu de toutes parts », a-t-il souligné.

Une manifestation exemplaire

Vers midi, des élèves des écoles secondaires ont commencé à affluer au square Philips. Une à une, les délégations étaient accueillies en triomphe par des applaudissements et des cris de liesse. Certains ont même bravé leur direction d’école et ont risqué la retenue pour être de la protestation. « On s’est fait stopper. C’était interdit de venir », a confirmé Arnaud Valade, élève de l’école Jean-XXIII. « On ira en retenue avec les autres, par solidarité », a-t-il assuré. Marie-Hélène Vallière était « excitée » d’être de la partie. « Dans ma famille, on est cinq enfants et on est quatre qui vont aller à l’Université. Ça revient vraiment cher pour mes parents », a souligné la jeune fille de 16 ans qui fréquente l’école Pierre-Laporte.

Peu après, vers 13h, forte des passagers de 90 autobus en provenance des régions et de milliers d’universitaires, de cégépiens et des autres manifestants venus en appui, la place du Canada était noire — plutôt rouge — de monde. La foule a mis du temps avant de se mettre en branle. Alors que les manifestants à la tête de la marche déambulaient dans la rue Berri, certains attendaient encore à la place du Canada.

De quoi impressionner le député du NPD de Rosemont-Petite-Patrie, Alexandre Boulerice, croisé en début de parcours. « C’est dans les grandes manifs que j’ai vues, a-t-il souligné en évoquant celle de 2003 contre la guerre en Irak. C’est le peuple de gauche qui se lève. »

Pétrie d’enthousiasme, cette vague humaine a déferlé pendant plus de quatre heures et s’est échouée dans le Vieux-Montréal. Les manifestants se sont dispersés dans le calme, sans qu’il y ait le moindre soubresaut de violence. On craignait que la manifestation se scinde en deux, mais à part des groupuscules qui ont tenté momentanément de s’écarter du trajet principal, il n’en fut rien. Le seul mouvement de perturbation d’hier a été le blocage du port de Montréal, en matinée.

Toutefois, sous les apparences, on a senti que les trois grands regroupements étudiants, soit la Fédération étudiante collégiale (FECQ), la Fédération étudiante universitaire (FEUQ) et la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), ne filaient pas le parfait bonheur. « Bloquons la récupération. La FECQ et la FEUQ ne nous représentent pas », pouvait-on lire sur une immense banderole aperçue au détour d’une rue. En coulisse, de vives discussions ont éclaté entre les membres des deux fédérations et ceux de la CLASSE, qui voulaient être les seuls à avoir le mot de la fin. Combien de temps tiendra l’unité ?

Pour l’instant, les étudiants rappellent que l’heure est à l’action. On promet des perturbations économiques et dans les circonscriptions libérales. « Étudiants, syndicats et partis de l’opposition vont travailler en étroite collaboration au cours des prochaines semaines pour mettre la pression qu’il faudra sur le gouvernement Charest afin de trouver une issue à cette grève », a promis Léo Bureau-Blouin, président de la FECQ. Et aussi longtemps possible, faire durer le printemps.

***

Avec la collaboration de Mélissa Guillemette et Louis Chaput-Richard

***

Quelques grandes dates

1969 : McGill français : 10 000 personnes
1988 : Loi 101 : 25 000 personnes
1989 : Loi 101 : 60 000 personnes
1990 : Fête nationale : 200 000 personnes
2001 : Sommet des Amériques : 50 000 à 65 000 manifestants
2003 : 200 000 personnes manifestent contre la guerre en Irak
2005 : Grève étudiante : 80 000 personnes
2012 : Grève étudiante : 200 000 personnes

— Source : Dave Noël - Le Devoir