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"Le ministère surévalue ses évaluations", V. Soulé, Libération, 7 avril 2012

mardi 10 avril 2012

Primaire. Les résultats des tests en CE1 et CM2 sont un argument de campagne pour le gouvernement.

Par VÉRONIQUE SOULÉ

« Nos réformes dans l’éducation font merveille. La preuve, le niveau des élèves monte grâce aux nouveaux programmes que nous avons introduits en primaire en 2008 ! » A l’heure du bilan, c’est en résumé ce que le gouvernement clame, brandissant tel un trophée les résultats des évaluations de CE1 et de CM2. Ces tests nationaux, introduits en 2008, restent pourtant très contestés et plusieurs candidats, notamment à gauche, promettent de revenir sur ces évaluations souvent jugées trop politiques pour être honnêtes.

Quels objectifs ont été assignés à ces tests ?

Officiellement, ces évaluations ont deux buts. D’abord, elles doivent servir aux enseignants pour repérer les faiblesses de leurs élèves et éventuellement réajuster le tir, mais aussi pour voir les points du programme qu’ils ont eu du mal à faire passer. Le problème est que ces tests - une batterie d’exercices de français et de maths - se déroulent la dernière semaine de mai, ce qui est tard pour mettre en place un dispositif pour les plus faibles. L’enseignant peut aussi transmettre ses observations à son collègue de la classe supérieure, ainsi qu’aux parents. Mais ces tests stressent les familles et il lui faudra ne pas les angoisser davantage.

Ensuite, ces évaluations doivent aider au « pilotage national du système éducatif » pour reprendre le jargon ambiant. Au vu des « performances », le ministère peut décider de mettre l’accent l’année suivante sur tel point faible - la compréhension de l’écrit, le calcul mental, etc. Les rectorats, eux, se comparent les uns aux autres et repèrent les régions en retard où il faudra faire porter les efforts. Localement enfin, les inspecteurs identifient les écoles, voire les enseignants ayant les plus mauvais scores et qui sont invités à faire mieux.

Ces évaluations sont-elles fiables ?

C’est la grande critique. Chaque enseignant fait passer les tests à sa classe - certains les boycottent, dénonçant une « évaluationnite » stérile. Mais pour s’assurer de leur fiabilité, qui peut garantir que les conditions de déroulement sont les mêmes partout ? Soucieux de ne pas mettre leurs élèves en échec, certains profs sont tentés de les aider, explicitant les consignes ou donnant plus de temps. « Dans la Nièvre, où j’enseigne, explique Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp (principal syndicat du primaire), un inspecteur a demandé aux profs de CE1 et de CM2 d’entraîner leurs élèves aux tests parce que les résultats avaient été mauvais en 2011 et qu’ils devaient s’améliorer en 2012. On cherche à faire du chiffre. »

Des statisticiens, qui dénoncent la « politisation » des études publiées au gré des besoins de la com ministérielle, mettent en doute les résultats. En 2010, le ministère avait corrigé in extremis à la hausse les résultats en maths de CM2, les exercices ayant été jugés trop difficiles. En 2011, pour les mêmes raisons, les « bornes » ont été changées pour les CE1 : en 2010, un élève « ayant des acquis très solides » en français devait avoir plus de 41 bonnes réponses, contre plus de 39 en 2011. En un an, ces très bons élèves sont passés de 44% à 51%. « Les exercices ont changé d’une année à l’autre et nous avons mesuré par une méthode scientifique l’écart de difficulté. D’où le changement des bornes », explique Michel Quéré, responsable de la direction des études au ministère (la Depp).

Y a-t-il des alternatives ?

Pour les opposants, il faut choisir. Soit on veut mesurer le niveau global des élèves et il vaut mieux alors suivre un échantillon représentatif qui passera des tests dans des conditions strictement identiques - la méthode de l’enquête internationale Pisa sur les élèves de 15 ans. Soit on veut aider les enseignants dans leurs classes et, dans ce cas, les tests doivent être organisés en début d’année et ne pas être brandis comme des vérités scientifiques pour justifier une politique à l’approche des élections.