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Dispositif transitoire de recrutement et découverte de l’entreprise et des métiers dès la 6ème : entretien de V. Peillon avec Les Echos, 2 octobre 2010

mercredi 3 octobre 2012

Pour lire cet entretien sur le site des Echos

Le ministre de l’Education nationale veut que « les entreprises se mobilisent davantage » pour que « les jeunes soient mieux informés des débouchés ». Sur la réforme des rythmes scolaires, « si la question des vacances d’été doit bloquer les autres avancées », Vincent Peillon se dit prêt à « ne pas y toucher ». Interview.

Par Marie-Christine Corbier, Stéphane Dupont et Elsa Freyssenet

Vous avez annoncé le recrutement de 43.000 enseignants l’an prochain. Comment comptez-vous faire pour les recruter, alors que les derniers concours n’ont pas fait le plein ?

Il y aura deux concours cette année. Le concours normal se déroule actuellement et s’adresse à des étudiants en deuxième année de master qui prendront leurs fonctions en septembre 2013. Hormis certaines disciplines anciennement déficitaires comme les mathématiques qui supposeront un travail de plus long terme, nous n’aurons pas de difficultés -nous avons même un peu plus d’inscrits que les années précédentes, autour de 100.000, ce qui est l’effet des premières mesures que nous avons prises en juillet.
De façon transitoire, un deuxième concours aura lieu en juin, pour recruter des professeurs qui seront, eux, en poste à la rentrée 2014. Ce concours s’adressera à un vivier plus large : les étudiants qui sont en première année de master et qui sont beaucoup plus nombreux qu’en deuxième année.
Dès la rentrée 2013, ces étudiants seront payés -c’est une nouveauté -à mi-temps pour entrer dans leur futur métier, et ils effectueront 6 heures de cours par semaine (un tiers temps) devant les élèves. Il y a là des éléments positifs que les étudiants vont prendre en considération dans leur choix d’orientation professionnelle.

Ce dispositif transitoire de recrutement en première année de master est-il destiné à devenir définitif ?

Je n’ai pas de position figée et la discussion doit avoir lieu sans à priori. Mais, il ne faut pas se focaliser uniquement sur la place du concours.
Je pose trois exigences : définir un trajet d’entrée progressive dans le métier d’enseignant, assumer la professionnalisation et veiller à avoir une cohérence entre l’entrée progressive, la professionnalisation et la nature du concours. L’enjeu est de définir les connaissances et les compétences dont a besoin un enseignant du XXIe siècle pour remplir au mieux sa mission.

Une revalorisation des salaires avait été entreprise par le précédent gouvernement. Allez-vous payer davantage les enseignants ?

Les mesures limitées prises par mon prédécesseur, Luc Chatel, n’ont concerné que très peu d’enseignants et n’ont eu aucun effet sur la crise du recrutement. La situation des finances publiques ne permet pas aujourd’hui d’améliorer de façon substantielle et indiciaire les carrières des professeurs, même si nous sommes tout à fait conscients qu’ils le méritent.

Mais il y a un choix de priorités et des urgences : la première responsabilité pour notre pays, c’est de mettre des professeurs formés devant nos enfants et de leur donner les moyens de faire réussir leurs élèves. Les priorités sont partagées par les professeurs qui mesurent pleinement le sens de la priorité, y compris budgétaire, accordée à l’école.

Une revalorisation est-elle envisageable à plus long terme ?

Tout dépendra de l’état des finances publiques. Les faiblesses de la France par rapport aux autres pays de l’OCDE se situent surtout sur les débuts de carrières. Aujourd’hui les jeunes connaissent un contexte de chômage élevé. Quand nous recrutons 6.000 emplois d’avenir dès janvier, que nous offrons des bourses de service public et une année de stage, c’est autant de moyens matériels et moraux donnés à notre jeunesse !

Quand nous remettons en place une année de formation payée, c’est aussi une revalorisation, y compris financière. On pourra aussi réfléchir aux problèmes de logement et de transports que peuvent rencontrer les stagiaires affectés loin de chez eux.

Des études de l’OCDE montrent aussi que lorsque les professeurs sont mieux payés, les résultats sont meilleurs...

Le traitement des enseignants est une des composantes évidentes de la valorisation de ce métier comme de tous les métiers. Mais c’est plus complexe que cela. Les pays qui payent le mieux leurs enseignants sont avant tout des pays qui les forment bien et qui les respectent dans leur mission d’instruction et d’éducation. C’est ce que la France ne faisait plus. C’est ce que nous faisons à nouveau.

Vous avez reçu la semaine dernière des chefs d’entreprise. Quelles sont vos intentions ?

L’éducation nationale doit assumer pleinement son rôle qui n’est pas seulement de former des citoyens mais aussi de préparer les jeunes à un emploi. Les deux sont liés. Or, en orientant mal, nous poussons les jeunes dans des difficultés qui produisent échecs et exclusions, nous fabriquons des décrocheurs.

Nous avons des réponses à apporter, avec les chefs d’entreprise et les régions, à l’orientation de nos élèves. Le service public territorialisé de l’orientation est l’un des éléments les plus importants de la refondation de l’école. Quand on oriente quelqu’un en comptabilité parce qu’il y a de la place dans cette filière, alors que son souhait est de devenir électro-mécanicien, l’orientation produit de l’échec.

Pour réussir l’orientation, il faut non seulement que l’éducation nationale assume sa part de responsabilité, mais aussi que les entreprises se mobilisent davantage. Le stage de troisième est insuffisant. Il faut créer des véritables parcours d’information et d’orientation, pour faire découvrir l’entreprise et les métiers dès la sixième et cela jusqu’à l’université.

Plus précisément ?

Tout n’est pas arrêté mais il faudrait que les entreprises fassent mieux connaître leurs métiers dans les classes afin que les jeunes soient mieux informés des débouchés. Il faut aussi que les enseignants aient, au cours de leur formation, un contact avec le monde de l’entreprise. L’investissement éducatif doit être un des moyens de redressement productif et de la lutte contre le chômage.

Pour réhabiliter l’image de l’entreprise chez les jeunes ?

Réhabiliter, mais aussi faire en sorte qu’ils la connaissent mieux et s’orientent mieux. Nous avons 600.000 offres d’emploi qui ne sont pas pourvues ! Nous avons besoin d’un lieu où l’on puisse discuter sereinement des prospectives et des besoins en emplois. Je veux que l’on puisse ajuster les préoccupations des entreprises et les nôtres pour donner la meilleure formation possible et la plus utile aux jeunes. L’éducation nationale est capable de changer le contenu de ses diplômes et de ses formations pour répondre rapidement aux besoins de l’économie et des entreprises ; elle est mobile. La co-éducation, c’est aussi cela.

C’est un sujet sensible, notamment à gauche...

L’école appartient à la Nation, et c’est la dignité de l’école que d’être au service du pays. Il ne s’agit pas de répondre à la demande d’une entreprise qui demanderait des chaudronniers pour l’an prochain et qui finirait par délocaliser, mais de regarder, avec les régions et les entreprises, les besoins durables, d’avenir, des territoires.

Nous réfléchissons aussi à un continuum formation-emploi en formant les jeunes qui ont décroché sur telle ou telle filière déficitaire en recrutements avec, à la clef, un contrat d’embauche. Dans notre dialogue avec les entreprises, il y aussi d’autres éléments et d’autres préoccupations partagées.

Lesquels ?

Nous avons, dans notre enseignement professionnel, vingt-cinq centres d’excellence dans le monde. Le groupe Accor, par exemple, utilise l’expertise de l’éducation nationale en hôtellerie ou en restauration en accueillant nos professeurs sur places afin de former les emplois dont ils ont besoin. D’autres entreprises comme Renault ou EADS sont engagées dans ces centres.
L’idée est au moins d’en doubler le nombre et de développer vers la rive sud de la Méditerranée, où nous sommes très absents, alors que les enjeux démocratiques, économiques et géostratégiques y sont tout à fait déterminants.

Notre savoir faire éducatif est aussi un instrument de notre compétitivité, y compris à l’international.

Etes-vous toujours aussi déterminé à raccourcir les vacances scolaires d’été ?

Il faut davantage de jours de classe, plus et mieux de temps scolaire. C’est tout l’enjeu de la semaine de 4 jours et demi. Nos enfants ont moins de jours de classes que ceux des autres pays développés et des journées d’école trop remplies. Ce n’est pas satisfaisant. Il faut trouver des solutions. Concentrer l’enseignement sur 144 jours et 36 semaines est un attentat contre notre jeunesse et contre notre avenir.

Vous pouvez compter sur ma détermination pour faire bouger les choses. Mais je suis aussi pragmatique. L’équation est complexe, et elle implique beaucoup de partenaires, à commencer par les collectivités locales. Passer en force est toujours contreproductif. Il faut arriver à convaincre tous les acteurs du bien-fondé des réformes que nous devons conduire.

Si la question des vacances d’été doit bloquer toutes les autres avancées, je proposerai au Premier ministre de ne pas y toucher. Mon souci est d’aller le plus loin possible dans la réforme du système éducatif. Cela suppose aussi de construire les convergences nécessaires. L’école doit rassembler les Français.