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Lettre ouverte à Madame Geneviève Fioraso, Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche - Quatorze présidents d’université, 12 novembre 2012. Réponse d’icelle le 16 novembre.

vendredi 16 novembre 2012, par Mariannick

« Si les universités continuent de se voir privées des moyens les plus élémentaires d’assumer leur fonction d’employeur, la conclusion s’impose : Madame la Ministre, reprenez la gestion de la masse salariale et des postes des personnels titulaires »

Mohamed Amara, président de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
Jacques Bahi, président de l’Université de Franche-Comté Besançon
Fabienne Blaise, présidente de l’Université Lille 3
Lise Dumasy, présidente de l’Université Stendhal-Grenoble 3
Rachid El Guerjouma, président de l’Université du Maine Le Mans – Laval
Anne Fraïsse, présidente de l’Université Montpellier 3
Philippe Houdy, président de l’Université d’Evry val d’Essonne
Yves Jean, président de l’Université de Poitiers
Yannick Lung, président de l’Université Montesquieu-Bordeaux IV
Jean-Michel Minovez, président de l’Université Toulouse 2 Le Mirail
Mohamed Ourak, président de l’Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis
Jean Peeters, président de l’Université de Bretagne-Sud
Pascal Reghem, président de l’Université du Havre
Danielle Tartakowsky, présidente de l’Université Paris 8

Madame la Ministre [1],

Vous avez lancé en juillet dernier les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche. Malgré les limites de l’exercice, nous avons travaillé dans nos établissements pour permettre à nos communautés de s’exprimer, dans les régions pour participer aux assises territoriales et, avec la Conférences des présidents d’université, pour proposer des pistes nouvelles visant à renforcer la réussite de tou.te.s les étudiantes, à consolider la recherche et à améliorer la gouvernance de nos établissements et des coopérations interuniversitaires. Toutes ces pistes n’ont aucun sens si les moyens ne suivent pas pour mettre en œuvre les réorientations nécessaires.

La conclusion de ces assises coïncide avec la préparation des budgets 2013 au sein de nos établissements et nous souhaitons vous alerter sur la situation dramatique que de nombreuses universités rencontrent déjà et qui va se généraliser très rapidement si rien ne change car la dégradation est brutale.

Dès l’été 2007, la nouvelle majorité élue au Parlement sous l’ère du président Sarkozy votait la loi Libertés et Responsabilités des Universités, consacrant l’autonomie financière des universités en leur transférant la gestion de la masse salariale des personnels titulaires. Cette perspective séduisait de nombreux présidents d’université désireux de disposer des outils pour mettre en œuvre une politique pour leur établissement. La masse salariale représentant environ 80% des dépenses des universités, il pouvait en effet paraître illusoire de définir une ambition stratégique quand il fallait alors pleurer chaque année auprès de l’administration centrale pour obtenir le moindre changement dans les postes de fonctionnaires, qu’il s’agisse de la transformation d’un poste ou d’un changement de discipline. A la même époque, le sous-financement des universités était reconnu et la LRU était accompagnée de la promesse d’une progression des crédits de l’ordre d’un milliard d’euros au cours de la mandature. L’ivresse de la liberté faisait tourner les têtes des présidents, investis de nouveaux pouvoirs, qui eurent l’illusion de croire qu’ils avaient enfin le pouvoir de consolider les formations dispensées aux étudiants et les recherches menées dans leurs établissement.

Puis la mise en place de nouvelles agences (AERES et ANR notamment), les Investissements d’avenir ont donné l’illusion qu’on dépassait le fonctionnement bureaucratique d’une administration pour passer à une démarche projet se plaçant au cœur du monde de l’enseignement et de la recherche. En fait, ce fut le temps de la bureaucratisation et de la hiérarchisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. La montée de l’ANR s’est faite au détriment des organismes de recherche (CNRS, INSERM, etc.) contraints de réduire les crédits de fonctionnement pour maintenir les postes. Les universitaires et chercheurs passent plus de temps à monter des projets, à se faire évaluer ou à évaluer leurs pairs qu’à faire de la recherche. Les Investissements d’avenir n’amènent pas de crédits nouveaux, mais transfèrent les crédits d’un bloc à l’autre en accentuant souvent les déséquilibres. La fracture que la définition des périmètres d’excellence génère dans nos communautés risque de laisser des traces durables. Aux modalités de contrôle des finances publiques, est venu s’ajouter le recours aux acteurs privés : cabinets pour monter des projets, commissaires aux comptes, etc., sans que les coûts induits soient pris en compte dans le financement des universités.

Qui plus est, l’Etat a transféré aux universités la gestion des personnels titulaires sans l’accompagner d’une dotation budgétaire correspondant aux charges : GVT non compensé, CAS pension non assumé, aujourd’hui titularisation induite par la loi Sauvadet, etc. Très vite, plusieurs des premiers établissements passés aux Responsabilités et Compétences Elargies ont connu des difficultés financières avec des déficits de leurs budgets de fonctionnement. Gels de postes, réductions des crédits affectés aux composantes et aux services, sans parler des coupes sombres effectuées dans la vie de campus deviennent le quotidien des universités. Plus d’une vingtaine seront en déficit en 2012 et tous les autres établissements savent que leur échéance se rapproche : ce sera en 2013 ou en 2014. Les fonds de roulement censés nous permettre de financer des investissements (les universités ne peuvent pas emprunter) se réduisent comme peau de chagrin : on attend le premier établissement en cessation de paiement.

Nous n’avons pas été élu.e.s pour réduire les postes, diminuer les crédits consacrés à la formation, la recherche ou la documentation quand l’avenir économique et social de notre pays et de l’Europe suppose que la Nation investisse pour amener 50% d’une classe d’âge au niveau bac+3 et pour produire de nouvelles connaissances.

Aujourd’hui le transfert de la masse salariale, sans les crédits correspondants, n’est plus une aide mais un handicap car il nous fait réduire les financements déjà trop faibles pour nos missions fondamentales. Si le budget global de l’enseignement supérieur et de la recherche augmente de 2,2% en 2013, il est de notre devoir d’informer la communauté universitaire et le pays que, dans la réalité, les moyens vont baisser dans de nombreuses universités puisqu’on nous a transféré des charges sans y associer les moyens. Même les 1000 postes annoncés pour l’année prochaine (5000 pour la mandature) ne suffiront pas à rétablir la situation.

Comme les collectivités territoriales, qui ont, un temps, pallié les défaillances de l’Etat, n’ont plus les moyens de nous aider, s’il n’y a pas de sursaut de la part des pouvoirs publics, les esprits seront bientôt prêts à accepter l’augmentation des droits universitaires qui apparaîtra comme la seule solution. Nous ne voulons pas être les alibis de cette évolution, convaincu.e.s que nous sommes de la nécessité de maintenir un service public d’enseignement supérieur de qualité et accessible au plus grand nombre.

Au terme de cette analyse, si les universités continuent de se voir privées des moyens les plus élémentaires d’assumer leur fonction d’employeur, la conclusion s’impose : Madame la Ministre, reprenez la gestion de la masse salariale et des postes des personnels titulaires. Plutôt que de dépenser temps et énergie à chercher désespérément quelle ligne budgétaire ou quels postes supprimer pour pouvoir assurer la rémunération de nos collègues et le fonctionnement minimal de notre université, nous ferons notre métier : accueillir les étudiants pour les amener au plus haut niveau de formation et les accompagner dans leur insertion professionnelle ; travailler dans nos équipes pour découvrir de nouveaux résultats et de nouvelles pistes de recherche ; construire avec nos partenaires, étudiants et chercheurs internationaux, l’Europe et le monde de demain.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de nos sentiments respectueux.

Mohamed Amara, président de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
Jacques Bahi, président de l’Université de Franche-Comté Besançon
Fabienne Blaise, présidente de l’Université Lille 3
Lise Dumasy, présidente de l’Université Stendhal-Grenoble 3
Rachid El Guerjouma, président de l’Université du Maine Le Mans – Laval
Anne Fraïsse, présidente de l’Université Montpellier 3
Philippe Houdy, président de l’Université d’Evry val d’Essonne
Yves Jean, président de l’Université de Poitiers
Yannick Lung, président de l’Université Montesquieu-Bordeaux IV
Jean-Michel Minovez, président de l’Université Toulouse 2 Le Mirail
Mohamed Ourak, président de l’Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis
Jean Peeters, président de l’Université de Bretagne-Sud
Pascal Reghem, président de l’Université du Havre
Danielle Tartakowsky, présidente de l’Université Paris 8

Lire aussi : « Le CA de l’université de Rouen prépare son budget et s’adresse au MESR - 13 novembre 2012 »

Et encore « La démocratisation de l’enseignement supérieur et le développement de la recherche ne se feront pas sans une revalorisation des LLASHS » - Lettre des présidents de 17 Universités à la Ministre de l’ESR - 26 octobre 2012.

9 des 14 ont signé la lettre des 17, saurez-vous les trouver ?


[1Réponse en pièce jointe