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Réponse de SLU ! à Madame Maud Olivier, députée de l’Essonne - 15 janvier 2013

mercredi 16 janvier 2013

Le 29 novembre dernier, SLU a reçu un courrier de Madame Maud Olivier, Députée de l’Essonne, consultant l’association sur la CST (culture scientifique et technique) ainsi qu’une série de rapports attachés.
Voici la réponse que nous lui adressons ce jour.

Paris, le 15 janvier 2013

Madame la Députée,

Dans votre lettre du 29 novembre 2012, vous nous faites l’honneur de nous associer aux syndicats de l’ESR et de nous demander les réflexions que nous inspirent les rapports joints et les questions posées.

Voici tout d’abord quelques réflexions générales :

Dans ces rapports, le terme « scientifique » de l’acronyme CST est le plus souvent restreint aux seules sciences dites naturelles (physique, chimie, astronomie, sciences de la terre, sciences du vivant [1]) ; aucune mention n’y est faite des sciences humaines et sociales.

La démarche scientifique en tant que telle n’est jamais évoquée. La science y apparaît uniquement via les innovations technologiques qu’elle permet. La culture scientifique et technique ne devrait-elle pas aussi faire connaître la démarche critique, le doute scientifique, le questionnement des connaissances ?
Un certain nombre de données sont posées comme des faits scientifiques hors de tout contexte et hors de toute étude sérieuse qui en rendrait compte : crise des vocations scientifiques, développement de l’obscurantisme dans le public, assimilation de la question du réchauffement climatique aux grandes peurs entretenues par les médias…
Le présupposé selon lequel nos sociétés ne peuvent se développer que grâce à l’innovation technologique permanente constitue une sorte de socle implicite présenté comme inéluctable et idéologiquement neutre : «  Dans notre société de la connaissance, le manque d’engouement pour les métiers de la recherche menace la croissance et la compétitivité de notre économie [2] ».

Enfin, la crise du dialogue entre science et société est posée d’emblée comme relevant exclusivement d’un problème venant de la société. Le fonctionnement actuel de la science n’est jamais questionné ni dans le fonctionnement des institutions scientifiques, ni dans l’établissement des priorités nationales de la recherche, ni dans les différentes commissions d’éthique.

S’il y a bien pourtant un rejet de certaines innovations technologiques, celui-ci n’est pas lié à un manque de culture scientifique du public. Les mises en cause des nouvelles technologies émergent le plus souvent des publics les plus formés scientifiquement et techniquement, y compris des milieux scientifiques et techniques eux-mêmes.
Il est navrant de lire que «  les dernières années ont été marquées par la poussée, abondamment relayée par les médias, de grandes peurs : clonage, OGM, changement climatique, virus informatique… L’exemple de la vache folle témoigne d’une dérive classique : un problème de mauvaise gestion industrielle débouche de manière insidieuse sur des attaques contre la science. [3] » Le clonage n’est pas une « grande peur » mais une réalité très lucrative pour certains laboratoires. La crise de la vache folle n’est pas une « grande peur », mais découle d’une dérive industrielle liée à la volonté permanente d’augmenter les profits qui a débouché sur un véritable problème sanitaire. Le réchauffement climatique, n’est pas une « grande peur », mais une réalité dont les fondements scientifiques sont beaucoup plus étayés que ceux utilisés pour justifier la culture en plein champs, et à grande échelle, de plantes génétiquement modifiées.

La place prise par l’innovation technologique dans nos sociétés ne résulte pas seulement du progrès des connaissances, mais d’un choix idéologique qui restreint l’idée de progrès au seul progrès technique et promeut la croissance permanente du développement industriel comme unique mode de développement possible.

Voici à présent quelques réponses détaillées aux questions posées dans votre lettre :

1. Les institutions chargées de diffuser la CST vous semblent-elles efficacement jouer leur rôle dans la poursuite des deux objectifs généralement assignés à la CST : démocratisation de l’accès au savoir et encouragement des vocations de chercheurs et d’ingénieurs ?
Ces institutions sont : d’une part, le système éducatif universitaire et, d’autre part : les collectivités territoriales, les associations de culture populaire, les centre de culture scientifique, technique et industrielle (CSSTI), les grands organismes de recherche nationaux (CNRS, CEA, INRA, INERIS, INRIA, INSERM, Muséum national d’histoire naturelle, conservatoire national des arts et métiers, CNES, IFREMER et institut Pasteur), agences sanitaires, entreprises et médias, ainsi que les mécanismes du débat public (commission nationale du débat public, Assises de l’enseignement supérieur, Assises de la Bioéthique)
.

Le deuxième objectif que vous assignez à la CST – encourager les vocations de chercheurs et d’ingénieurs (dans les sciences naturelles) – est pour le moins ambigu. En effet, la plupart des docteurs formés dans les universités sont actuellement en recherche d’emploi ou en emploi précaire parce qu’une partie des grands groupes industriels licencie ses chercheurs et que la recherche académique n’embauche que très peu de jeunes. Le système proposé montre bien ses limites et ses contradictions : la promotion de l’innovation ne sert ni l’emploi (ce qu’elle est pourtant censée faire), ni le bien être des populations : le bilan détaillé de la Stratégie de Lisbonne 2010 montre que les innovations technologiques dans le domaine de la santé n’ont que peu d’effet sur la morbidité générale de la population, mais qu’elles instaurent en revanche une médecine à deux vitesses, augmentant les inégalités de manière dramatique. Selon une enquête de l’OMS (2008) l’écart d’espérance de vie entre deux enfants nés dans les quartiers riches ou les quartiers pauvres de Glasgow (Écosse) atteignait vingt-huit ans !
Par ailleurs la promotion des métiers scientifiques et techniques ne prend sens qu’à condition d’admettre le postulat dénoncé plus haut, à savoir que l’innovation technologique constitue le seul et unique moyen d’envisager le développement de nos sociétés.

La démocratisation de l’accès au savoir impliquerait de développer non seulement les connaissances scientifiques et techniques mais aussi la méthode scientifique, y compris la culture de la critique et du doute, ainsi que les sciences humaines, les sciences sociales, l’art, etc.

Vous citez en premier lieu comme parties prenantes de la culture scientifique et technique, l’université et les grands organismes de recherche. La mission de l’université, n’est pas simplement de « transmettre la culture scientifique et technique » mais de transmettre la culture scientifique par l’association étroite entre les processus d’acquisition de nouveaux savoirs et leur transmission, c’est-à-dire de transmettre des savoirs et d’instruire sur les méthodes qui permettent leur critique et leur enrichissement, voire leur remise en cause. Notons que les orientations prises par le gouvernement actuel comme par ses prédécesseurs au sujet de la licence (grand cycle lycée-licence, enseignements confiés à des enseignants du second degré et non à des enseignants-chercheurs, affaiblissement des contenus disciplinaires) ne peuvent qu’accroître le découplage entre production et transmission des savoirs dans la plupart des universités. La mission des grands organismes de recherche est aussi de questionner les savoirs existants, de déterminer leur limites de validité, même si l’on tend à leur demander de plus en plus de produire de l’innovation technologique (importance croissante de la prise de brevet).
Les entreprises ne pourront participer à la culture scientifique et technique tant qu’elles refuseront que l’on juge la publicité mensongère comme un délit. Il faut arrêter de croire que les milieux scientifiques seraient exemptés, comme par miracle, de la loi générale du conflit d’intérêt ; l’actualité l’a montré à maintes reprises, en ce qui concerne le milieu de la pharmacie, notamment. Tant que les agences sanitaires n’imposeront pas à leurs membres des règles drastiques concernant les conflits d’intérêts, celles-ci ne seront pas plus crédibles que les entreprises pour promouvoir la culture scientifique et technique.

Notons aussi que l’évolution des institutions scientifiques et de l’évaluation des personnels scientifiques qui valorisent la prise de brevet et le développement des innovations technologiques allant jusqu’à leur mise en œuvre industrielle tend à augmenter de manière inconsidérée les risques de conflits d’intérêts des spécialistes des différents domaines.

3. L’échec des débats sur les OGM et les nanotechnologies confirme-t-il l’idée suggérée par certains sociologues et scientifiques selon laquelle l’acquisition par le public de connaissances accrues ne renforce pas nécessairement sa confiance envers les scientifiques et les nouvelles technologies ? Ou encore cette défiance persistante ne reflète-t-elle pas l’impossibilité de construire une culture du débat public ?

Le paradoxe de la formulation de cette question montre l’idéologie qui la porte : si les OGM et les nanotechnologies sont encore contestés par une large fraction du public, c’est que les débats à leurs sujets auraient échoué ! La pirouette utilisée au moment du référendum sur le traité européen – bien peu compatible avec la culture scientifique – refait surface ; si le peuple vote contre un traité qui doit être mis en place parce qu’il impose que la libre concurrence figure au même plan que l’égalité des individus (transformation d’un parti pris économique en qualité morale) dans l’organisation des États, c’est que le débat a été un échec ou que la culture du débat public est impossible ! De telles assertions, qui transforment les orientations politiques et idéologiques en évidences pseudo-scientifiques et qui postulent que toute opposition résulte d’un « manque de pédagogie », ne sont que des dénis de la démocratie ; adopter une telle position conduit inéluctablement à substituer à la démocratie une « technocratie » prétendument éclairée, ce qui, accessoirement, rend caduc le premier objectif de développer la culture scientifique et technique.

4. L’idée de complexité (certains diraient incommunicabilité) de la science serait-elle responsable du faible attrait de l’enseignement des sciences et des carrières scientifiques auprès des jeunes et en particulier des jeunes filles ? Serait-elle l’obstacle difficilement franchissable à une meilleure diffusion de la CST ? Peut-il y être remédié ?

L’idée de complexité de la science découle des limites rencontrées par les tenants de l’école positiviste (scientiste), qui ont cru que la rationalité scientifique permettrait de résoudre efficacement les problèmes sociaux : « Organiser scientifiquement l’humanité tel est donc le dernier mot de la science moderne, telle est son audacieuse, mais légitime prétention » [4]. Au XXe siècle, la science a montré les limites des connaissances scientifiques dans de nombreux domaines. Cette vision déterministe, notre compréhension même des mécanismes se sont enrayées parallèlement au développement de prouesses techniques (clonage du vivant sans compréhension du mécanisme de la vie, conquête de l’espace sans compréhension de l’évolution de l’univers, etc.). Si la science moderne permet de poser des questions comme celle du réchauffement climatique, elle n’a pour autant aucune réponse claire et univoque (scientifiquement établie) à y apporter – si ce n’est d’en minimiser les causes probables !

Il est curieux d’associer l’idée de complexité à un supposé faible attrait des sciences et des carrières scientifiques auprès des jeunes et particulièrement des jeunes filles. Les faits montrent que le nombre d’ingénieurs diplômés par an a presque doublé en vingt ans (rapport IGAENR) ! La véritable question est de savoir pourquoi la majorité des ingénieurs diplômés s’oriente vers les métiers de la finance, du commerce et de l’encadrement plutôt que vers les emplois scientifiques et techniques.
Ce qui est donc en recul, ce sont les carrières offertes aux jeunes scientifiques : précarité jusqu’à 35–40 ans pour les docteurs, absence de débouché dans l’ESR, faibles salaires de débuts de carrière, métiers dévalorisés dans le public comme dans le privé…

Quant au moindre nombre de filles dans ces carrières, il ne saurait être envisagé par rapport à une nature complexe en soi de la science, du scientifique et des carrières, mais il relève des conditions socialement construites de la répartition professionnelle entre les sexes. Naturaliser un problème politique et social ne peut être une façon d’y répondre.

Enfin, il convient de rappeler que le taux d’accès à l’enseignement supérieur recule en France depuis une dizaine d’années, tout particulièrement au détriment des catégories sociales les plus défavorisées.

5. Quel peut-être le concours à la diffusion de la CST de l’Union européenne dans le cadre du programme de recherche et de technologie horizon 2020 pour les années 2013 à 2020 ? Par exemple, l’Europe peut-elle se doter d’une revue scientifique qui rivalise avec Science ou Nature ? Ne faudrait-il pas instituer une Conférence annuelle de la science européenne qui ait une renommée équivalente au Sommet économique de Davos ou à la Conférence sur la sécurité qui se tient chaque année à Munich ?

La question des publications scientifiques est une vaste question qui ne peut se résumer à la création d’une nouvelle revue européenne. Notons au passage que la revue Nature est une revue britannique, et est donc européenne par… nature. Notons aussi que l’audience d’une revue ne se décrète pas au moment de la création.
L’abandon de la publication scientifique au secteur marchand, hors du contrôle du monde académique – sauf en ce qui concerne l’activité de relecture critique – a conduit au désastre actuel de l’ensemble du secteur : scandale des coûts de lecture de ces publications pour les chercheurs et pour le public (quand celui-ci finance les recherches …) et des coûts de publications, scandale de l’INIST qui revend aux chercheurs leurs propres articles...

Veuillez agréer, Madame la Députée, l’assurance de notre attachement républicain à la recherche et à l’enseignement publics.

Christine Noille, Présidente, et Hélène Conjeaud, Vice présidente,
pour Sauvons l’Université !


Ci-dessous, la lettre de Madame Maud Olivier, rapporteure avec M. Jean-Pierre Leleux, sénateur des Alpes-maritime de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques)


[1Rapport de l’académie des sciences

[2Rapport de C. Haigneré sur universcience-2012. Cette phrase évoque celle prononcée par V. Pécresse dans le rapport final de la SNRI (2009) : « La recherche et l’innovation ne sont pas des solutions d’avenir parmi d’autres. Ce sont les principaux et même parfois les seuls outils dont nos sociétés disposent pour construire le monde de demain »

[3Extrait de « Développement de la CST. Un enjeu national » par E. Hamelin, député de Lyon 2003

[4Ernest Renan, L’avenir de la science, 1890