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Article 2 de la LRU2 encourageant les cours en anglais : éléments de langage - MàJ 30 mai 2013

jeudi 30 mai 2013, par Wilde, Oscar

Où l’on apprend que faire des cours en globish est bon pour la francophonie. Yes !
Et que Le Monde a choisi son camp.

L’anglais à l’université et les anxiétés françaises

B. Floc’h, Le Monde, 28 mai (abonnés)

La tradition, cette fois encore, a été respectée. La langue est un sujet si sensible en France que toute tentative d’y toucher vire à l’âcre vinaigre. Dès qu’il est apparu, début mars, que le projet de loi sur l’enseignement supérieur, qui sera adopté définitivement en juillet, faciliterait l’usage des langues étrangères, et donc de l’anglais, à l’université, les lames sont sorties des fourreaux.

L’Académie française, le Collège de France, les philosophes, les linguistes, les responsables politiques... Bref, tout ce que le pays compte de sommités intellectuelles est entré dans la bataille. "Pour un historien de la langue, j’ai vu venir cette polémique avec satisfaction : on est vraiment en France...", sourit Bernard Cerquiglini, recteur de l’Agence universitaire de la francophonie.

L’histoire regorge de ces éruptions linguistiques. Le gouvernement Jospin décide-t-il de féminiser les noms de métiers en 1997 ? La querelle s’embrase. On se souvient également des combats homériques auxquels la simplification de la langue, en 1990, a donné lieu. Il ne s’agissait pourtant que de quatre cents mots. Et l’Académie française était d’accord...

Ces combats ne datent pas d’hier. En 1542, le premier livre consacré au français écrit en français est un pamphlet. Dans son Traité touchant le commun usage de l’escriture françoise, Louis Meigret propose une réforme de l’orthographe. Tout le monde lui tombe dessus. Échec. En 1677, les Anciens s’opposent aux Modernes : pour chanter les louanges de Louis XIV, faut-il recourir à des inscriptions en latin ou en français ? Les modernes l’emportent : les monuments du règne seront gravés en français.

Querelle décisive dans le combat séculaire des Anciens et des Modernes, l’épisode est politiquement très symbolique. Si le français l’emporte en 1677, c’est parce que c’est la langue du roi. C’est l’une des raisons fondamentales de la sensibilité de cette question. Depuis 1539, et l’ordonnance de Villers-Cotterêts signée par François Ier, le français est la langue de l’Etat et il devient une arme politique, notamment pour unir le territoire et fortifier la royauté.

Utiliser la langue comme une arme politique, les Etats-Unis, la Chine ou le Kurdistan l’ont fait. Mais la France est sans doute la première à avoir adopté la méthode. L’héritage de la monarchie a été scrupuleusement repris par la République, et l’action de l’Etat fut d’une efficacité redoutable. L’identification linguistique et nationale est très profonde.

Aux États-Unis, sous la poussée démographique des Latinos, l’espagnol est en train de devenir une véritable langue officielle. Même si l’Etat fédéral n’en reconnaît formellement aucune. On peine à imaginer qu’une telle situation se produise jamais en France, qui refuse toujours de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, pourtant adoptée en... 1992.

La langue est une religion

Dans ce pays où le roi fut longtemps de droit divin, la langue est une religion. Si le livre de chevet des Américains est la Bible, celui des Français est le dictionnaire. "La question du français est sensible, car la France est une idée, et cette idée s’exprime avec des mots", ajoute l’écrivain et académicien Jean-Marie Rouart. La vocation universelle du pays y a trouvé un allié de poids, faisant porter par sa langue des textes aussi forts que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Aujourd’hui, une influence de façade perdure. Le français est toujours langue officielle du Canada ou de la République démocratique du Congo, des Nations unies ou de l’Organisation de la coopération islamique... La francophonie lui offre également un porte-voix. La réalité est moins glorieuse. La France a davantage de peine à se faire entendre. Et la mondialisation ne s’embarrasse guère de fausses pudeurs ou d’encombrantes vieilleries. Elle jette une lumière crue sur le reflux de l’influence française.

A cet égard, la polémique sur l’utilisation de l’anglais dans l’université est lumineuse. L’enseignement supérieur promet d’être redoutablement stratégique au XXIe siècle. Berceau du savoir, terreau d’idées nouvelles et d’innovations, il procurera croissance et influence aux nations qui le choieront.

Depuis 2003, avec l’apparition du classement de Shanghaï (qui compare les universités du monde), contestable mais très symbolique, l’internationalisation du secteur est une évidence. Et, en 2003, les Français ont pris une claque : leurs universités ne sont peut-être pas aussi brillantes qu’ils le croyaient. Sur un sujet aussi décisif pour la mondialisation que le supérieur, la crispation autour de la langue montre de manière éclatante combien le pays est mal à l’aise. Pour 56 % des Français, la France est "mal adaptée" à la mondialisation (CSA, fin 2012) et 50 % voient celle-ci comme une menace (TNS Sofres, fin 2011).

Fragilisée par de multiples crises, bousculée par la mondialisation, la France est anxieuse. Certains sont désireux de lui faire prendre toute sa part dans la compétition internationale – et elle ne manque pas d’atouts pour cela –, d’autres s’en alarment et serrent les coudes autour de "l’idée France". Dans la polémique sur l’utilisation de l’anglais, c’est de cela qu’il s’agit. A un niveau hautement exacerbé.


La loi Fioraso, nouvelle bataille d’Hernani.

Éditorial du Monde du 11 mai 2013 (abonnés)

Toujours recommencée, la bataille des Anciens et des Modernes prend des allures de guerre de religion - ou d’affaire d’État - quand il s’agit de la langue française.

Pour les uns, la défense du français est une cause sacrée, tant la langue est l’âme d’un peuple, de son identité, de son histoire, de sa culture. Pour les autres, cette défense intransigeante relève trop souvent du combat d’arrière-garde et prive le pays des armes nécessaires pour affronter la compétition mondiale, à l’œuvre dans tous les domaines.

On le constate, de nouveau, depuis peu. Une modeste disposition du projet de loi sur l’enseignement supérieur, qui sera défendu par la ministre Geneviève Fioraso à partir du 22 mai, à l’Assemblée nationale, a mis le feu aux poudres.

En effet, l’article 2 de ce texte prévoit de nouvelles exceptions au principe, fixé par la loi Toubon de 1994, selon lequel " la langue de l’enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d’enseignement est le français ". En clair, il s’agit d’élargir la possibilité donnée aux universités françaises d’assurer des enseignements dans une langue étrangère, en anglais notamment.

Enfer et damnation ! L’Académie française a dénoncé " les dangers d’une mesure qui favorise la marginalisation de notre langue ". L’éminent linguiste et professeur honoraire au Collège de France Claude Hagège est parti " en guerre " contre " un projet suicidaire ". Le philosophe Michel Serres a fustigé un comportement de " pays colonisé, dont la langue ne peut plus tout dire ", abandonnant sa souveraineté linguistique face à l’impérialisme anglo-américain.

" Querelle déconcertante " et réaction d’un autre siècle, ont répliqué, dans ces colonnes, de non moins éminents scientifiques. Pour les Prix Nobel Françoise Barré-Sinoussi et Serge Haroche, pour Cédric Villani, médaille Fields, ou pour le président du CNRS, Alain Fuchs, " les voix qui s’élèvent au nom de la défense de la langue française paraissent totalement décalées par rapport à la réalité universitaire contemporaine et gravement contre-productives pour ce qui concerne les intérêts de la France et de la francophonie ".

Ils ont évidemment raison. Dès lors que l’anglais est la langue véhiculaire des scientifiques du monde entier et de l’immense majorité des publications et conférences scientifiques, ne pas y préparer sérieusement les étudiants et jeunes chercheurs français les prive d’atouts indispensables. Sans se préoccuper de la loi Toubon, les grandes écoles de commerce et d’ingénieurs, ainsi que des centaines de masters universitaires l’ont parfaitement compris et ont, depuis des années, développé des enseignements en anglais.

De même, élargir les enseignements en anglais - notamment pour les masters - permettra de convaincre davantage d’étudiants étrangers de poursuivre études ou recherches en France et, au passage, d’apprendre et de pratiquer notre langue. Il s’agit donc d’un levier puissant pour contribuer à l’attractivité internationale de l’enseignement supérieur français.

Le Monde, c’est l’évidence, ne saurait négliger son rôle dans la défense de la francophonie et de notre singularité linguistique. Mais il ne saurait le faire à reculons. Comme le disait Maurice Druon, avocat s’il en fût du français : " Chaque langue est unique, toutes les langues sont complémentaires. " On ne saurait mieux dire.


Tribune de C. Lequesnes dans Libération, 6 mai 2013

L’enseignement en anglais, c’est fromage et dessert

Résumé : "bon sens contre village gaulois"


Grand dossier sur France-Info

9 mai 2013, to listen here

Avec interviouzes de Bruno Sire (Président de Toulouse 2 Capitole) ; de l’Unsa éducation, syndicat majoritaire dans l’enseignement supérieur [1] : « il était temps que l’Education nationale franchisse le pas. » ; et last, but not least, en vedette américaine : Ginette Furioso, ministre.


Le Monde, 8 mai 2013, tribune signée d’un collectif.

Facultés : les cours en anglais sont une chance et une réalité

Parmi ses missions fondamentales, le service public de l’enseignement supérieur développe des coopérations internationales et participe notamment à la construction de l’espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les universités développent des échanges scientifiques internationaux et accueillent de nombreux étudiants étrangers. Elles envoient également les étudiants français effectuer des semestres ou des années d’études dans d’autres pays.

Ces échanges internationaux de chercheurs, d’étudiants - sont indispensables pour que notre recherche et notre innovation se maintiennent au meilleur niveau mondial et dynamisent notre économie. Ils renforcent également l’image et le rôle de la France dans le monde. L’étudiant étranger conserve pendant toute sa vie de l’affection pour le pays qui l’a accueilli pendant une partie de sa jeunesse.

La loi sur l’enseignement supérieur et la recherche en passe d’être examinée par l’Assemblée nationale est pourtant l’occasion d’une querelle déconcertante. La loi propose d’autoriser l’enseignement dans une langue étrangère dans les universités, ce qui est, en principe, toujours impossible aujourd’hui, depuis la loi Toubon qui date du siècle dernier (1994). Les universitaires ont, pour nombre d’entre eux, oublié cette interdiction et l’anglais s’est déjà de facto introduit dans les salles de cours.

On recense ainsi plusieurs centaines de masters en France dans lesquels on enseigne en anglais. Les voix qui s’élèvent au nom de la défense de la langue française nous paraissent donc totalement décalées par rapport à la réalité universitaire contemporaine, mais aussi gravement contre-productives pour ce qui concerne les intérêts de la France et de la francophonie.

Sauf dans des disciplines très particulières, les scientifiques du monde entier utilisent l’anglais pour communiquer. L’anglais est choisi pour l’immense majorité des publications scientifiques et des conférences internationales. En conséquence les étudiants en thèse dans les laboratoires doivent très vite maîtriser l’écriture scientifique, l’expression orale dans cette langue et sa compréhension. C’est pourquoi la plupart des principales universités à travers le monde, y compris dans des pays non anglophones, proposent des cours ou des cursus complets de master en anglais. Cette offre leur permet d’accueillir facilement les étudiants du monde entier - en particulier français -, de les préparer à l’anglais dans leur spécialité - ou plus exactement au " global english " ou " globish " de leur science - et de mieux les insérer dans leur futur travail de jeune chercheur.

Au-delà de l’intérêt scientifique, l’enseignement en anglais permet d’attirer des étudiants étrangers en provenance de pays dont les jeunes s’orientent majoritairement vers des pays anglophones. Si l’enseignement supérieur français conserve une attractivité internationale importante - avec près de 300 000 étudiants étrangers, la France est cinquième derrière les Etats Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et l’Allemagne -, cette attractivité se révèle très hétérogène et extrêmement faible pour certaines nationalités (la Corée, l’Inde ou le Brésil, par exemple).

La raison principale est la barrière de la langue dans nos cursus, et davantage de cours en anglais permettraient de les convaincre. Quel dommage que la France se prive de ces étudiants ! Ajoutons qu’ils auraient pour la plupart eu à coeur d’apprendre le français en vivant dans notre pays, par exemple en suivant des cours de français langue étrangère que leur offrent par ailleurs nos universités. Le " global english " dont il est question ici n’est qu’une langue véhiculaire, qui, partout où on la parle, ne fait que se rajouter aux autres langues sans s’y substituer.

Il n’est pas ici question de contraindre les enseignants qui ne le souhaitent pas à enseigner en anglais. Le projet de loi n’entravera aucun enseignant. Dans le respect du principe d’indépendance des enseignants-chercheurs, il rend davantage de choses possibles, il dynamise leur recherche, il favorise l’insertion de la France dans le monde en renforçant son attractivité. Il renforce la France et, avec elle, la francophonie.

Collectif

Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine ;
Vincent Berger, président de l’université Paris-Diderot ; Alain Fuchs, président du CNRS ;
Serge Haroche, Prix Nobel de physique et administrateur du Collège de France ;
Antoine Petit, directeur général adjoint d’Inria ;
Cédric Villani, médaille Fields


[1Mais troisième chez les enseignants, tout de même !