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La pénurie d’enseignants touche pour la première fois le primaire - Lucie Delaporte, Médiapart, 12 juillet 2013

lundi 15 juillet 2013, par Clèves, princesse(s)

Les résultats aux concours d’enseignement du second degré, qui viennent d’être publiés, révèlent que la crise du recrutement est loin d’être terminée. Pour la première fois, selon nos informations, le primaire est également touché et la situation serait critique dans plusieurs académies.

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On savait le pari difficile. Au-delà des obstacles budgétaires, la promesse de François Hollande de recréer 60 000 postes dans l’éducation sur cinq ans risquait de se heurter à une crise des recrutements déjà marquée ces dernières années. Au vu des résultats des concours d’enseignement qui viennent presque intégralement d’être publiés pour le second degré et des chiffres collectés par Mediapart pour le primaire, il est désormais clair que l’objectif sera très difficilement atteint. Signe que la situation connaît un nouveau palier, pour la première fois, dans le premier degré – jusque-là épargné – tous les postes ne pourront être pourvus.

Il est vrai que le ministère avait mis cette année la barre très haut. Quand le gouvernement précédent peinait à recruter près de trois fois moins d’enseignants – sur 16 000 postes l’an dernier 706 étaient restés vacants –, 43 500 postes ont été cette fois ouverts, au travers de deux concours. Le premier s’est, comme les années précédentes, déroulé de l’automne à juin. Pour le second, exceptionnel, les épreuves d’admissibilité viennent de s’achever et les admissions définitives n’auront lieu qu’en juin prochain.

Dans le second degré, pour le premier concours – le ministère n’a pas encore publié les résultats d’admissibilité au deuxième concours – les chiffres sont alarmants. Au Capes d’anglais, 25 % des postes offerts ne sont pas pourvus (sur 1 050 postes, 271 restent vacants). Au Capes d’allemand, 74 postes sur les 270 offerts ne sont pas pourvus, soit 27 %. À l’agrégation de maths, pour 391 postes, malgré un taux d’admission record, 68 postes sont restés vacants, soit 17 %.

Dans certaines disciplines, la situation est encore plus critique. En lettres classiques, au Capes externe, pour 200 postes proposés au concours, seuls 61 candidats ont été admis, soit 69,5 % de postes qui restent vacants. À l’agrégation externe de musique, 50 % des postes n’ont pas été pourvus. Pour certains concours spécifiques, comme le Capet (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement technique) c’est la bérézina. En « SII architecture », 13 candidats ont ainsi finalement été admis pour 70 postes offerts ! Au total, rien que pour le second degré, ce sont donc plus de 1 000 postes non pourvus sur les 12 100 postes ouverts.

La nouveauté cette année est que le primaire, priorité des priorités pour le ministre, est donc également touché. Pour la première fois, certaines académies sont déficitaires, selon les chiffres remontés au SNUipp, le syndicat majoritaire. La situation serait critique à Créteil, Paris et Versailles, les académies les plus importantes en termes d’effectifs, mais aussi en Guyane et à la Réunion. « C’est une nouvelle tendance que nous observons, le nombre de candidats baisse », constate Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp. À Créteil, pour le premier concours, où 1 055 postes étaient ouverts seuls 1 296 candidats se sont présentés et le jury n’a admis que 879 candidats. Au bout du compte, dans cette académie qui manquait déjà cruellement de professeurs des écoles, ce sont – toujours selon le SNUipp – quelque 76 postes qui ne seront pas pourvus. À Paris et à Versailles, ce sont respectivement 28 et 34 postes qui restent vacants.

Si on ne connaît toujours pas le nombre d’admissibles au deuxième concours, il y a fort à parier que ces chiffres n’inverseront pas cette tendance de fond. À l’issue d’une campagne « Ambition enseigner » vantant le métier de professeur, le ministère avait amplement communiqué cet hiver sur la très forte augmentation du nombre de candidats à cette session exceptionnelle : +46 %. Sans toujours préciser qu’elle était, pour une très large part, due au fait que le concours était ouvert désormais aux étudiants bac+4, soit un vivier beaucoup plus important que ceux à bac +5, et qu’une partie de ces nouveaux inscrits étaient en fait les mêmes que ceux du premier concours, réinscrits par précaution.

Certains s’inquiètent aussi du niveau de ces concours. « Dans certaines disciplines, on voit des jurys, qui subissent une énorme pression, descendre jusqu’à 6 de moyenne le seuil de l’admission », rapporte Caroline Lechevallier, secrétaire nationale du Snes, responsable du secteur formation initiale et continue.

Après une décennie de baisse continue des postes offerts aux concours, entraînant presque mécaniquement une baisse du nombre de candidats s’y présentant, la rue de Grenelle découvre qu’il n’est donc pas si facile d’inverser la tendance. D’autant que les causes profondes de l’actuelle crise n’ont pas disparu. « Les concours restent difficiles pour un métier dont l’image dans la société s’est dégradée. La question des rémunérations joue aussi : les débuts de carrière se font désormais à 1,1 Smic », rappelle Caroline Lechevallier.

Le dispositif d’emploi d’avenir professeur, qui proposait cette année une aide financière aux étudiants boursiers se destinant à l’enseignement, a péniblement démarré et n’a en tout cas pas permis un élargissement significatif du vivier.

Au ministère, où les chiffres définitifs doivent être annoncés mardi, on veut croire à une année de transition, mais on ne doute pas non plus que des questions telles que les conditions de travail ou les rémunérations puissent être encore longtemps écartées.