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La normalisation de l’Université. Un article sur le site de Poolp par Annie Vinokur
jeudi 1er août 2013, par
La normalisation de l’Université par Annie Vinokur, professeur émérite de sciences économiques, Université de Paris-Ouest-Nanterre, 7 juillet 2013.
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Si la norme est un critère auquel se réfère, implicitement ou explicitement, un jugement de valeur ou une action, le monde de l’université et de la recherche est un vaste et vénérable producteur de normes : de validation de la recherche, de vérité des savoirs à enseigner, de notation des élèves, de progression dans les cursus, de collation des grades, de recrutement, etc. Historiquement structurée sur un modèle corporatif [1], pour défendre sa liberté académique contre les pouvoirs d’Église et d’État, l’université a coutume de produire ses normes collégialement (jugement par les pairs) à l’occasion de débats contradictoires : jurys d’examens et de recrutements, comités de rédaction des revues, jurys de prix scientifiques, etc. Ces normes sont évolutives et souvent implicites eu égard à la multiplicité et à la complexité des critères de jugement auxquels il est fait appel, mais aussi à leur ancienne fonction. Jusqu’au XXe siècle, les titres que l’université délivre sont principalement des « cartes d’entrée » dans des professions organisées : l’université elle-même et les professions libérales (médecins, avocats,…). Les enseignants sont le plus souvent aussi des praticiens de leur domaine disciplinaire, et chaque profession contrôle non seulement la qualité mais aussi l’effectif de ses membres. Condition nécessaire et suffisante d’accès à l’emploi, le titre universitaire circule alors dans un espace professionnel limité mais qui peut géographiquement dépasser largement les frontières nationales [2].
« Normaliser » l’université consiste à déplacer hors de ses murs le pouvoir de définir et d’imposer ces normes : extériorisation de leur production, explicitation formelle des critères, mise en œuvre de moyens d’amener les universitaires à les adopter sinon à les intérioriser. Ce mouvement commence au XXe siècle avec l’extension du salariat aux métiers qui nécessitent une formation supérieure. Les nations industrialisées se dotent de systèmes (publics comme en France ou privés comme aux États-Unis [3]) d’habilitation des établissements et de reconnaissance des diplômes, désormais conditions nécessaires mais non suffisantes d’accès à l’emploi salarié. Le besoin est double : d’une part de protection et d’information des consommateurs qui ne peuvent juger par eux-mêmes de la qualité du service d’enseignement, d’autre part de normalisation de la qualité de la force de travail dans les négociations collectives sur les marchés du travail. Dans tous les cas, l’espace de ces régulations administrées est celui des marchés nationaux du travail. Ces normes officielles sont alors à la fois des outils de circulation à l’intérieur de chacun de ces espaces, et de protection contre l’extérieur.
Les enjeux de la normalisation changent avec la montée en puissance, à partir des années 1980, du nouveau régime d’accumulation dominé par la finance :
libérés des obstacles nationaux à leur mobilité, les capitaux concentrés déploient dans l’espace des stratégies d’implantation d’emblée globales qui supposent de disposer d’outils de mesure de la qualité des gisements de main d’oeuvre. Les marchés du travail qualifié s’internationalisent, faisant apparaître les diplômes nationaux comme des « obstacles non tarifaires » à la circulation des travailleurs. Libérés également de l’étanchéité des frontières entre public et privé, les capitaux pénètrent dans le secteur jusque là essentiellement socialisé de l’instruction, présenté comme « le marché du siècle ». Le commerce des services d’enseignement se transnationalise.
les territoires et leurs facteurs immobiles entrent en compétition pour attirer les capitaux par l’offre simultanée d’avantages fiscaux et d’une main d’oeuvre peu coûteuse, compétente et immédiatement productive. La « contrainte budgétaire », au moment où l’ « économie de la connaissance » acquiert le statut de fer de lance de la compétitivité internationale, justifie des efforts pour rationaliser la production des services publics d’enseignement supérieur.
La normalisation de l’université relève donc de deux logiques liées. La première, marchande, répond au besoin d’équiper les nouveaux marchés internationaux – du travail et des services d’enseignement – en standards (stand hard) stables pour faciliter les échanges. La seconde, managériale, répond au besoin de piloter par des normes prescriptives la rationalisation du secteur non marchand des services d’enseignement supérieur, ouvrant la voie à la pénétration des capitaux dans le cœur même de la production du service. Cette transition étant en voie d’achèvement, se dessine depuis les années 2010 la perspective d’une industrialisation de l’enseignement supérieur qui pose à nouveaux frais la question de la standardisation.
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