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Enseignement privé : les étudiants étrangers écartés - L. Delaporte, Mediapart, 23 septembre 2013

lundi 23 septembre 2013, par Mariannick

Un décret retire la possibilité aux étudiants étrangers de se présenter aux concours de l’enseignement privé. Simple ajustement technique pour le ministère. Mais certains n’hésitent pas à parler de xénophobie latente dans l’enseignement catholique privé.

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Le décret, publié dans la moiteur du mois d’août, fixe les nouvelles conditions de recrutement et de formation initiale dans l’enseignement privé. A priori, rien de bouleversant. Une simple adaptation aux nouveaux concours version Peillon, avec pour l’enseignement privé, quelques petites avancées : création d’une liste complémentaire de candidats, modalités de formation similaires au public… Les syndicats majoritaires du secteur ont d’ailleurs, dans l’ensemble, salué un texte qui rapproche les concours de l’enseignement privé de ceux du public.

Sauf que l’article 3 du décret 2013-767 n’a, lui, rien d’anodin. Il enlève la possibilité pour les étudiants étrangers non communautaires de passer les concours. Jusque-là, ces étudiants, sous réserve d’avoir les diplômes requis, pouvaient passer tous les concours de l’enseignement privé : Cafep pour les concours externes, Caer pour les concours internes.

Ces jours-ci, les étudiants étrangers qui s’étaient inscrits en juin dernier dans les masters d’enseignement pour passer les concours découvrent au moment de faire les inscriptions informatiques pour les prochaines sessions qu’ils ne peuvent plus être candidats. « Nous avons six étudiants sur vingt-quatre qui sont exclus par ce décret dans la premier année du master enseignement. Dans certaines disciplines, comme en chinois, ils sont près du quart de l’effectif. Qu’est-ce qu’on fait avec eux ? Qu’est-ce qu’on leur dit ? » s’énerve une enseignante-chercheuse de Paris 7. «  Humainement, vous imaginez ? Il y a quelques jours nous avons dû expliquer la situation à l’une de nos étudiantes qui n’était toujours pas au courant, elle s’est décomposée », raconte-t-elle. Pour cette enseignante qui vient, comme beaucoup, de découvrir la mesure, ce changement de cap est incompréhensible.

La décision du ministère de l’éducation nationale paraît d’autant plus surprenante que le gouvernement a multiplié les signes de rupture avec le quinquennat précédent sur la question des étudiants étrangers. À peine arrivée à son poste, la ministre de l’enseignement supérieur Geneviève Fioraso a ainsi abrogé la circulaire Guéant qui restreignait leurs conditions d’accès à l’emploi. Elle a aussi annoncé – conjointement avec Manuel Valls – la généralisation du titre de séjour pluriannuel pour ces étudiants, jusque-là contraints chaque année à d’interminables démarches.

Par ailleurs, et plus prosaïquement, restreindre l’accès au concours d’enseignement quand on connaît la situation de pénurie actuelle – au Capes de mathématiques, par exemple, un quart des postes sont restés vacants – paraît pour le moins étrange.

Pourquoi, alors, un tel revirement ?

Après deux jours de flottement, le ministère fait savoir qu’il s’agit en réalité d’une simple adaptation technique. Le décret mettrait juste en conformité les règles de recrutement de l’enseignement privé avec celles du public. Jusque-là les dérogations réglementaires étaient ainsi des anomalies et « pour que le décret ne soit pas entaché d’illégalité, et retoqué par le Conseil d’État, il a donc fallu se mettre en conformité avec la loi qui applique cette règle à tous les concours de la fonction publique », explique-t-on au cabinet de Vincent Peillon, où l’on semblait découvrir la mesure.

Une explication assez peu convaincante compte tenu du fait que le décret ne change en rien le statut des enseignants contractuels du privé. Aucune raison a priori de soudainement appliquer aux candidats du privé des règles qui concernent des fonctionnaires d’État.

Par ailleurs, l’argumentaire du décret, présenté au Conseil supérieur de l’éducation, avance une tout autre explication. Il indique ainsi que recruter des étudiants étrangers est « générateur de difficultés lourdes (incertitude quant à l’obtention d’un titre de séjour ; durée limitée du titre de séjour détenu) ».

Pour des membres du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) contactés par Mediapart, cette modification des conditions d’accès aux concours du privé serait en fait le résultat d’un lobbying de l’enseignement catholique. « Les responsables de l’enseignement catholique disent qu’ils ne veulent pas de problèmes avec ces histoires de papiers – alors qu’il n’y a eu à ma connaissance qu’un cas l’an dernier où une enseignante a tardé à recevoir ses papiers et n’était pas en règle le jour de la rentrée », rapporte Michèle Dupré, représentant la CGT au CSE et qui, avec Sud, a voté contre le texte. L’enseignante d’origine algérienne, après une mobilisation locale, a fini par recevoir son titre de séjour et tout est rentré dans l’ordre. Serait-ce pour un cas comme celui-là que le ministère a voulu modifier les règles de recrutement dans le privé ?

«  Je ne sais pas si l’on peut dire qu’il s’agit d’une revendication de l’enseignement catholique. En tout cas, il est certain que nous n’y sommes pas opposés », admet Yann Diraison, délégué général en charge des ressources humaines de l’enseignement catholique. « Au-delà du problème social que cela peut poser – je le reconnais –, je suis pour l’absolu parallélisme des formes de recrutements entre le privé et le public », précise-t-il. Et comme les concours de l’enseignement public ne sont pas ouverts aux étrangers, aucune raison que ceux du privé le soient, à moins de considérer qu’ils sont de « second ordre »... Du côté de la FEP-CFDT, qui a voté pour le décret, le secrétaire national Francis Moreau estime que «  faire capoter le texte uniquement sur ce point, c’était disproportionné », la mesure concernant de surcroît, selon lui, très peu d’étudiants.

Très peu ? Interrogé sur ce point le ministère répond que l’article 3 du décret concernerait « entre zéro et un » étudiant par an. Une estimation qui laisse plutôt songeur au regard des seuls chiffres de deux disciplines de Paris 7…

Enfin, si l’enseignement privé ne voulait plus d’incertitude administrative avec ces candidats étrangers – le fait d’avoir réussi un concours en France n’ouvrant pas automatiquement droit à une régulation –, rien de l’empêchait de militer pour un traitement plus favorable de l’administration pour ces lauréats. Ce qui n’a, semble-t-il, effleuré personne… Pour Michèle Dupré, élue CGT, c’est que la raison de cette revendication est en fait bien moins avouable. « L’enseignement catholique ne veut pas de candidats étrangers », assure-t-elle. Un arrière-plan xénophobe, pour répondre à une demande tacite des familles, n’étant peut-être pas étranger à cette mesure...

Une lettre ouverte à Vincent Peillon écrite par un enseignant vacataire étranger de lettres modernes, à chaque fois recalé à l’oral du Cafep, laissait récemment entendre que les jurys du concours auraient la fâcheuse tendance de systématiquement écarter à l’oral les étrangers non communautaires. « J’apprends que je suis encore admissible à la session exceptionnelle 2014 (et donc pour la troisième fois successive) et sais d’avance que je ne serai jamais admis tant que je suis métèque », explique avec amertume cet enseignant qui rappelle son impressionnant parcours universitaire et sa longue expérience d’enseignement. «  Plusieurs sont ceux qui, comme moi, tous doctorants ou docteurs, ont été trois à quatre fois recalés, en raison de leur statut d’étrangers non européens. Et ce, alors qu’ils ont été à chaque fois, et successivement, admissibles aux écrits du concours. »

La sous-direction de l’enseignement privé au sein du ministère, qu’on dit très proche du SGEC (secrétariat général de l’enseignement catholique), aurait ainsi trouvé une parade technique pour définitivement écarter ces étudiants « générateurs de difficultés lourdes ». Rien de politique là-dedans, évidemment.