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Appel à une opération vérité sur les budgets des universités - blog de Pascal Maillard, Mediapart, 2 octobre 2013

jeudi 3 octobre 2013, par Elisabeth Báthory

Ceci est à la fois un appel et une alerte. Alerte sur la situation dramatique des budgets des universités. Appel aux présidents et aux élus des conseils centraux pour une transparence totale sur les budgets. Contre le mensonge d’Etat qui fait croire à l’opinion publique que l’université et la recherche françaises auraient les moyens de leur fonctionnement, les citoyens ont le droit de savoir. Il est aujourd’hui vital que la réalité des budgets des universités éclate au grand jour. 

Depuis la loi LRU de 2007 et l’accession des universités aux très mal nommées « Responsabilités et compétences élargies » (RCE), tous les établissements publics de l’enseignement supérieur sont entrés dans un processus d’appauvrissement continu. Il débouche aujourd’hui sur la plus grave crise financière que nos universités aient jamais connue. Si la triste réalité de cette paupérisation est vécue au quotidien par les personnels et les étudiants, celle-ci fait l’objet d’un déni continu et systématique des ministres et des gouvernements successifs. Geneviève Fioraso, dont la politique poursuit et aggrave celle de ses funestes prédécesseurs, communique en cette rentrée sur un air trop entendu : « Tout va très bien, Madame la Marquise !  ». Les écuries et le château sont en feu, et la ministre voudrait éteindre l’incendie avec quelques « accompagnements » dans la gestion de la pénurie, mais sans aucun moyen financier supplémentaire susceptible d’endiguer le péril qui croît un peu plus chaque jour. Geneviève Fioraso se fait la gardienne des déficits. Mais si quelques présidents d’université chantent en cœur « Tout va très bien, Madame la Ministre », d’autres, de plus en plus nombreux, entonnent une autre chanson.

Les faits sont bien connus et de multiples témoignages et analyses les mettraient crûment en évidence. Plus de la moitié des universités ont un fond de roulement inférieur aux 30 jours réglementaires. 15 sont en déficit, soit autant qu’en 2012. La gestion de la masse salariale occasionne dans les établissements des surcoûts qui n’ont jamais été compensés par l’Etat. Tout comme l’Etat laisse à la charge des universités une part significative du coût du Glissement Vieillesse technicité (GVT). Tout comme l’Etat prélève 200 millions au nom d’une mystérieuse « contribution au redressement des comptes publics » qui a pour seule vertu de plomber un peu plus les finances des établissements « publics ». Quand l’Etat donne un euro d’une main, il en retire deux de l’autre main.

Dans le meilleur des cas, l’équilibre budgétaire n’est atteint qu’au prix de mesures d’économies drastiques : non renouvèlement de CDD, gels de centaines de postes (2000 emplois gelés depuis 2011 et 3000 supprimés depuis 2008, selon le SNESUP-FSU), suppressions de centaines de milliers d’heures d’enseignement, disparitions de formations, déconstruction des maquettes de diplôme, limitations des capacités d’accueil des étudiants (euphémisme pour désigner des mesures de quotats et des tirages au sort), crédits de recherche en baisse, sous-administration criante des services centraux, conditions d’exercice des missions dégradées, souffrance au travail, disparition programmée de sites. Et désormais, avec la nouvelle loi dite « Fioraso », disparition de petites universités par fusion ou absorption dans de gigantesques « communautés d’établissements ».

Le budget 2014 de l’ESR ne trompe personne. En euros constants il baissera de 0,7%, si l’on tient compte d’une inflation de 1,2% en 2014. Les 1000 postes supplémentaires annoncés sont par avance promis à la glaciation. Les intérêts du Plan Campus financent essentiellement de nouvelles réalisations, parfois pharaoniques (dogme de la visibilité internationale), alors qu’au moins un tiers du parc immobilier des universités est hors sécurité et que les chercheurs travaillent dans des laboratoires toujours aussi dégradés et mal équipés. Les millions de la politique d’excellence arrosent les plus « excellents », les plus grands et les plus gros, au détriment de nombreux laboratoires qui sont voués à la disparition ou à la fusion. Et la ministre fait aujourd’hui de la révolution numérique et des MOOCs le levier le plus puissant et le plus pervers d’une réduction massive des coûts de l’enseignement ainsi que l’accompagnement programmé du dégraissage de la masse salariale des universités.

 

La coupe de l’excellence est pleine, Madame la Ministre, et les caisses des universités sont vides !

 

Mais puisque la ministre ne veut rien voir, ni savoir, opposons-lui les faits. Ils sont têtus. Ci-dessous quelques exemples documentés des conséquences de son excellente politique qui poursuit le massacre néo-libéral et applique les directives européennes qui obligent à la fusion des opérateurs publics à des fins d’économies. La liste n’est pas exhaustive et l’on pourra la compléter utilement par les 63 chroniques du blog de Pierre Dubois sur les budgets des universités ou par les analyses bien informées de Yann Bisiou.

- 11 millions de déficit à Aix-Marseille Université, récemment fusionnée : le gigantisme a son prix ! Les méga-universités, comme Strasbourg, Bordeaux ou les grandes parisiennes ne sont pas épargnées par les restrictions budgétaires, malgré la manne du Grand Emprunt qui sert de plus en plus à boucher les trous des crédits récurrents.

- Paris 1 est sous tutelle du rectorat, Paris 6 dans les limbes, et Paris 13 en enfer.

- L’Université de Lorraine, jeune colosse aux pieds d’argile, a décidé de geler 180 postes sur trois ans pour pouvoir commencer à investir. Comme si – terrible ironie - les « Investissements d’avenir » avaient pour vocation et pour seul effet de tuer l’emploi !

- L’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines qui a les meilleurs résultats de France dans la progression des étudiants en Licence, supprime des parcours pour réduire son déficit de 5,2 millions. Elle supprime, bien sûr, des parcours de licence.

- Le site universitaire de Béziers est sacrifié sur l’autel de l’austérité, dans un acte de protestation, aussi courageux que désespéré, de la présidente de Montpellier 3.

- Nous apprenons ce jour que les personnels de la toute nouvelle Ecole du professorat et de l’éducation (Espé) de Toulouse, sous-dotée, ont été en grève, alors que les enseignants de l’Espé de Rouen s’apprêtent à faire cours dans des préfabriqués. Comme les moyens des ex-IUFM ont été massivement redéployés ces dernières années vers les composantes des universités, il est manifeste que les Espé(s) vont souffrir de dotations financières particulièrement fragiles. Aucun moyen n’est prévu pour les soutenir, au moment même où les inscriptions en master « Métiers de l’enseignement » augmentent de façon significative.

- Le Conseil académique de l’Université du Maine, dans une motion forte et exemplaire « demande à l’Etat d’assumer ses responsabilités vis à vis des Universités » et « à la direction de l’Université de poser clairement au gouvernement et dans les instances telles que la CPU, la question du financement du service public d’enseignement supérieur et de recherche avant que les esprits ne soient bientôt résignés à accepter l’augmentation massive des droits universitaires comme la seule solution aux problèmes de financement des universités. »

 

Alors, Messieurs les présidents d’université – je m’adresse surtout à eux car les présidentes sont plus courageuses -, quand donc allez-vous défendre vraiment l’intérêt de vos personnels, de vos étudiants, de vos établissements ? Quand la CPU adoptera-elle unanimement une position aussi déterminée que celle de la présidente de Montpellier 3 ? Quand donc cesserez-vous d’être la courroie de transmission de la politique « austéritaire » ? Cessez de vous comporter comme des notables et des rentiers ! Mesdames et Messieurs les présidents, osez la vérité sur vos budgets ! Vous rendrez enfin un immense service à la collectivité.

 

La courageuse présidente de l’Université Paul Valéry-Montpellier 3 s’est donc engagée dans un bras de fer avec la ministre. Elle montre la voie. Que la forme de la dénonciation et de la résistance soit aujourd’hui, à l’initiative du CA de cette université, celle de la publicisation volontaire d’une mutilation, voilà un événement qui nous donne à réfléchir.

Alors que les présidences d’université, avec le concours des Directeurs généraux des services et des rectorats, font depuis les années Pécresse-Sarkozy une gymnastique invraisemblable pour répartir la pénurie afin qu’elle soit la moins visible et la plus acceptable possible (budgets souvent insincères et économies à tous les postes), voilà qu’une présidente et son CA choisissent, parmi dix autres mesures d’économies contraintes, d’amputer un membre précieux : le site universitaire de Béziers. Effet immédiat : l’opinion publique est touchée, la presse nationale relaie, les personnels et les étudiants se mobilisent.

La "méthode Anne Fraïsse" a donc simplement consisté à mettre à nu et à porter au grand jour la violence de l’Etat en la concrétisant par une coupe inacceptable. La seconde force de cet acte inédit est de l’avoir communiqué largement, à tous les personnels, à tous les étudiants, et d’avoir mené la lutte sur le terrain des médias, y compris en répondant immédiatement aux accusations de la ministre et en apportant les preuves de la gestion inepte et du cynisme de l’Etat. 

Dans une nouvelle lettre du 1er octobre publiée par Libération (voir pièce jointe), Anne Fraïsse ne lâche rien et enfonce le clou. S’adressant à la ministre qui lui envoie le secours empoisonné d’un audit financier afin de démontrer sa mauvaise gestion, la présidente fustige avec force et raison « la « procédure d’accompagnement par le ministère », mise en place par vos soins, système discret pour soigner la maladie honteuse que deux gouvernements successifs ont inoculée à nos établissements pour multiplier, sous couvert de traitement, des saignées dans la masse salariale qui rétablissent peut-être nos budgets mais nous laissent exsangues ».

Anne Fraïsse ne doit pas, ne peut pas être isolée. Montpellier 3 mérite le soutien de toute la communauté d’enseignement et de recherche. Toutes les universités en difficulté méritent le soutien de l’Etat. Mais face à un gouvernement autiste, ce soutien ne pourra être obtenu qu’au moyen d’une grande opération vérité sur les budgets des universités.

 

Présidents, administrateurs et élus des conseils des universités françaises, unissez-vous ! Suivez l’exemple de la présidente de Montpellier 3 et des membres de son CA, osez la force de la motion du Conseil académique de l’Université du Maine ! Il est aujourd’hui de votre responsabilité d’élus de dire la vérité à vos concitoyens. Informez les personnels et les étudiants de vos établissements, adoptez des motions dans vos conseils, organisez des conférences de presse, rendez publics les comptes de vos établissements et toutes les conséquences de l’austérité qui vous est imposée. Et, si vous l’estimez utile, demandez aux présidents des Chambres régionales des comptes des rapports circonstanciés et détaillés sur l’état des finances de votre université. La transparence doit être faite. La vérité doit être dite. Mettons l’Etat devant ses responsabilités.

 

Pascal Maillard

Le 1er octobre 2013, après lecture de la lettre [1] d’Anne Fraïsse

 

PS : Pour information l’Association des sociologues enseignant(e)s du supérieur (ASES), qui conduit depuis un an une enquête sur les budgets et les conditions de travail dans les universités, organise le 12 octobre prochain une « Journée de réflexion et de débats sur les comptes des universités autonomes » (à partir de 14h, Université Paris 7, bâtiment Olympe de Gouges, entrée rue Albert Einstein, 2ème étage, Amphi 1)

 

A lire sur le site de Mediapart


[1À lire in extenso ici