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Université : enfin une réforme démocratique et nul n’en parle... - Blog de Robert Chaudenson, Mediapart, 7 octobre 2013

jeudi 17 octobre 2013, par Elisabeth Báthory

Grande nouvelle en ce jeudi 3 octobre 2013, sur tous les médias. Geneviève Fioraso, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche (sans oublier l’espace) a présenté son projet France Université Numérique, dont l’objectif est de mettre, d’ici 2017, 20 % des cours universitaires en ligne.

Notre ministre, qui prêche pourtant si bien en faveur de la place de l’anglais dans nos universités, n’a sans doute pas pris garde que l’acronyme choisi pour France Université Numérique qui est FUN, est parfaitement adapté au comique de cette prétendue innovation, mais risque d’entraîner de fort mauvais jeu de mots dans le monde anglophone qui ne manquera pas, lui, de trouver ce projet "funny" (à l’intention du cabinet de la ministre = drôle, comique, curieux) !

Son argumentaire fait état du retard que nous avons dans ce domaine, alors qu’aux États-Unis près de huit universités sur dix, y compris les plus prestigieuses comme Harvard, Stanford ou le MIT offre « ce service gratuit aux étudiants ou à des auditeurs libres partout dans le monde ». C’est bien plus que du retard comme on va le voir et surtout on n’a pas compris grand chose au système !

Pour lancer ce mouvement en France, la ministre va créer une plate-forme nationale dotée de 12 millions d’euros qui proposera dans un premier temps une vingtaine de cours accessibles dès janvier avec la collaboration de diverses universités aux grandes écoles. Soit !

Il est fâcheux que ce qui est une grande nouvelle pour les penseurs du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’espace soit, aux yeux d’un pauvre diable comme moi, une vieillerie. J’ai entendu parler aux États-Unis de tels projets depuis une bonne grosse douzaine d’années ; je n’ai pas fait de recherche particulière sur la question mais, sauf erreur de ma part et à en croire mes souvenirs, c’est le Massachusetts Institute of Technology, le MIT qui, dès 2001, en tout cas, a été la première université américaine à offrir un nombre important de ses cours, même si, déjà auparavant, le MIT avait commencé ce type d’offre. et proposait une partie de ses enseignements en ligne

L’opération Open Course Ware (OCW) a été lancée en 2001, en tout cas, avec la mise en ligne de 50 cours ; une grande majorité des 940 professeurs du MIT a accepté le principe (et a participé au projet, sans rémunération supplémentaire) de partager dans un tel cadre, recherche, pédagogie et connaissance. Depuis 2006, plus de 1500 cours sont disponibles en ligne et le site reçoit 1,5 millions de visites mensuelles du monde entier, dont 60 % sont des consultations extérieures aux États-Unis. La majorité des cours est en PDF, mais on trouve aussi des fichiers audio et des cours en vidéo.

C’est là où nous touchons le point le plus important de cette affaire qui, comme toujours, est totalement ignoré de nos organes d’information et dont nul n’a parlé.

Au moment où j’ai appris l’existence de ce système (j’étais alors aux États-Unis et c’était il y a une bonne douzaine d’années), je me suis étonné de la générosité peu courante de cette université américaine qui allait fatalement en entraîner beaucoup d’autres derrière elle.

On m’a rapidement fait comprendre mon erreur ; si tous ces cours sont disponibles sur Internet, gratuitement et sans aucune limitation, les études récentes sur leur public montrent qu’il est très rare que suivre ces cours conduise à se voir délivrer un diplôme ! L’astuce consiste en effet à mettre ces cours gratuitement sur Internet, mais à continuer, en quelque sorte, à les FAIRE PAYER aux candidats éventuels à travers la délivrance d’un diplôme, qui suppose naturellement une inscription à l’université qui, pour les cours suivis par des étudiants du MIT, se situe, "à la louche" aux environs de 25.000 € pour une année.

Le MIT lui-même signale ce détail, sans le souligner toutefois dans une perspective trop mercantile, en précisant que l’OCW n’a, en aucun cas, pour but de remplacer les études universitaires classiques, mais de « fournir du matériel gratuit pour les enseignants, les étudiants et les autodidactes du monde entier ». Ben voyons ! On ajoute même, en prenant une pause avantageuse, que la « principale valeur [au MIT], c’est l’expérience humaine ». On s’en doutait !

Je n’insisterai pas davantage sur le caractère quelque peu désopilant ("funny" non ?) de cette tardive mais soudaine découverte faite par notre MRES, ni sur le choix douteux de l’acronyme qui désigne cette opération inspirée par les USA !

En réalité, dans certains secteurs universitaires, l’expérience a même commencé, en douce, faute de mieux et par nécessité. Avec L-J Calvet, j’ai proposé, à Aix-en-Provence, il y a près de quinze ans, un "cyber -enseignement" (qui n’était pas un simple télé-enseignement) pour un DESS de "Coopération linguistique et éducative", en parallèle avec un enseignement présentiel du même diplôme. Selon certains bruits qui me reviennent, en première année de médecine, à Tours par exemple, les cours en amphi ont été remplacés par des mises à disposition, en vidéo ou sur Internet, dans la mesure où les étudiants recalés l’année précédente, venaient perturber les cours donnés en amphi ; on a choisi cette solution pour éviter les chahuts qui étaient régulièrement organisés. Ce détail concerne les premières années, mais, dans les années suivantes, à Marseille par exemple, dans les mêmes enseignements de médecine, les étudiants choisissent souvent de ne pas assister aux cours, puisque ils sont souvent rendus accessibles en DVD sous leur forme la plus littérale

Je ne vais pas une fois de plus tirer sur les ambulances, mais fournir, bien au contraire des "éléments de langage" à un ministère qui en semble singulièrement dépourvu.

On pourrait en effet souligner toute la différence avec le système américain au lieu d’en faire sans cesse un modèle. Ce système américain, que j’ai illustré par le cas du MIT, n’est en rien démocratique et ouvert puisque, en fait, si on veut un diplôme, il faut payer, et même très cher, l’enseignement sur Internet, comme on le payerait en enseignement présentiel et surtout au même tarif. En France, au contraire, il y a une vraie perspective, de gauche si l’on veut, avec une vraie démocratisation par cette voie.

L’enseignement universitaire est, en effet, en France, pratiquement gratuit, vu la modicité des coûts réels d’inscription aux cours comme aux examens, qui ne s’élèvent guère au-delà de 200 € par an ! Mieux même ; beaucoup d’étudiants qui travaillent (à condition que ce ne soit pas "au noir" comme c’est souvent malheureusement le cas) sont même déjà affiliés à la sécurité sociale et un tel enseignement leur évitera même de prendre une nouvelle inscription à la sécu étudiante, et ils pourront travailler sans souci des horaires, dimanche ou pas !

A la différence du MIT et des autres universités américaines, la France est donc susceptible d’être un lieu d’expérience en ce domaine véritablement unique et innovant, par la gratuité totale des enseignements comme de la délivrance des diplômes.

Chère Madame Fioraso c’est sur ce point qu’il faudrait insister plutôt que sur le caractère prétendument novateur de cette nouvelle diffusion de l’enseignement universitaire.

Qu’est ce qu’on dit au monsieur ?

Post Scriptum : Je suis allé voir la présentation du programme de l’université numérique française. Je me suis trompé ; ce n’est pas FUNNY ! C’est CONSTERNANT. J’y reviendrai .

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