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Versailles-Saint-Quentin, une université au bord de la faillite - Libie Cousteau, L’Express, 28 janvier 2014

vendredi 31 janvier 2014, par Elisabeth Báthory

Croissance débridée, erreurs de gestion : l’ambitieuse université des Yvelines affronte une grave crise financière. Elle a dégénéré en bras de fer avec la ministre de l’Enseignement supérieur. Récit d’une bataille qui illustre aussi les dérives et limites de l’autonomie.

Pour pénétrer au 55 de l’avenue de Paris, à Versailles, ce mardi 14 janvier, il faut montrer patte blanche. Des vigiles ont été convoqués. Le conseil d’administration de l’université de Versailles - Saint-Quentin (UVSQ) doit tenir une réunion cruciale. Le vote d’un budget pour 2014 doit permettre à cette fac de l’ouest de l’Ile-de-France de surmonter son impasse financière.

Un à un, les représentants prennent place, en silence, autour de la grande table rectangulaire. On attend le recteur, Pierre-Yves Duwoye, légèrement en retard. Durant toutes les vacances de Noël, les échanges n’ont pas cessé entre le ministère et les dirigeants de l’université pour trouver une sortie de crise.

Concentrés, les membres du conseil tentent, tant bien que mal, de décrypter les statistiques du PowerPoint, projetées sur l’écran. "Résultat d’exploitation, immobilisations, capacité d’autofinancement, partenariat public-privé...", autant de termes obscurs pour bon nombre de participants, professeurs de droit ou de chimie, praticiens hospitaliers ou maîtres de conférence. Le déficit annoncé est de 7,2 millions d’euros.

La discussion dure plus de trois heures, un véritable supplice. Après un imbroglio sur la nécessité d’un vote à bulletin secret, le budget est approuvé in extremis par 16 voix contre 8. Mais Pierre-Yves Duwoye utilise son veto et rejette la proposition. Sommée de trouver des économies, la direction doit revenir en février avec des prévisions de comptes... à l’équilibre.

Le cauchemar de Geneviève Fioraso

Geneviève Fioraso est exaspérée. Cette université, c’est son cauchemar, "Un cas d’école des nombreux dysfonctionnements liés au passage des universités à l’autonomie ", critique-t-elle. Et la ministre de l’Enseignement supérieur de décliner l’ampleur du désastre : "Du jour au lendemain, on a demandé à des gens qui n’y connaissaient rien de gérer des budgets dix fois plus importants qu’avant. Sans formation, sans création d’emplois, sans accompagnement financier."

En 2007, la loi d’autonomie des universités est l’une des premières mesures du candidat Sarkozy une fois élu. Elle leur donne la possibilité de gérer leur masse salariale et leur patrimoine. Pressée par l’Elysée, Valérie Pécresse, alors ministre de l’Enseignement supérieur, incite les établissements à passer au plus tôt au nouveau régime.

Trop vite, trop fort, trop loin ? En tout cas, aujourd’hui, 19 universités sur 76 sont, comme l’UVSQ, en déficit. Certaines, pour la deuxième année consécutive. Terrorisée à l’idée de les voir toutes défiler au ministère, rue Descartes, pour faire l’aumône, la ministre veut faire un exemple, frapper un grand coup, prévenir qu’elle ne jouera pas les pompiers. Elle engage donc un bras de fer avec l’équipe de Versailles.

En 2010, l’université des Yvelines est parmi les premières à choisir l’autonomie. Sa présidente, l’ambitieuse Sylvie Faucheux, se précipite : "Il faut y aller, sinon les universités vont [...] crever", déclare-t-elle. Véritable bulldozer, cette prof de sciences économiques mène une politique d’expansion tous azimuts, fait de l’UVSQ une université multisite - elle s’étend de Mantes à Rambouillet en passant par Versailles et Saint-Quentin-en-Yvelines - et multidisciplinaire, du droit à la médecine.

L’an dernier, l’établissement est classé première université française pour la réussite en licence. Certains de ses masters, comme celui spécialisé dans le droit d’arbitrage international, sont très courus. Et elle réussit à attirer des chercheurs réputés, tels que Jean Jouzel, colauréat du prix Nobel de la paix 2007, avec Al Gore. Exception au sein de la banlieue parisienne, elle est même parvenue, deux années d’affilée, à figurer dans le prestigieux classement de Shanghai.

Autant de motifs de fierté pour toute l’université. Mais l’appétit de Sylvie Faucheux a son revers. Les failles ne tardent pas à apparaître. Elles sont pointées par un rapport de l’Inspection générale de l’Education nationale réalisé en 2009, à la veille du passage à l’autonomie. L’Express s’est procuré, ce document : il fait longuement état des lacunes de gestion de l’UVSQ... "Nous n’étions peut-être pas tout à fait prêts à l’autonomie", souffle d’une voix rocailleuse de fumeur Jean-Luc Vayssière, vice-président de l’université à l’époque.

En 2012, c’est lui, un professeur de biologie, qui succède à Sylvie Faucheux, nommée rectrice à Dijon. A l’époque, l’UVSQ est encore bénéficiaire, même si elle a déjà puisé dans son fonds de roulement. A peine arrivé, Vayssière est informé des dépassements de budget et décide d’une réduction des dépenses de 20 %.

La dérive de la masse salariale n’a pas été repérée

Il n’a encore rien vu. Le 15 mars 2013, un vendredi, voici presque un an qu’il est aux manettes. Les comptes 2012 viennent d’être clos. La mine défaite, l’agent comptable pénètre dans le bureau du président. Elle a une mauvaise nouvelle : un trou de 5,2 millions d’euros. "J’étais estomaqué", rapporte Jean-Luc Vayssière.

Aussitôt, il planche sur un plan de retour à l’équilibre. Il découvre alors l’ampleur des dégâts : le cumul d’un passage à l’autonomie mal maîtrisé et d’une croissance débridée. Ainsi, la hausse mécanique des salaires due au vieillissement du personnel coûte 1 million d’euros, mais elle a été oubliée. Or Versailles fait partie des universités historiquement mal dotées par le ministère. Elle n’a aucune marge de manoeuvre.

De plus, la dérive de la masse salariale - 158 contractuels recrutés en trois ans - n’a pas été repérée, faute de comptabilité analytique et d’outil de gestion adéquat. "La seule autonomie que l’on ait récupérée, c’est la gestion des emmerdes", peste Thomas Clay, vice-président chargé de la stratégie, qui épaule Vayssière depuis des semaines.

Demandes de rendez-vous, courriers, le président lance l’alerte dès le printemps. Il espère une rallonge. L’administration, comme la ministre, fait la sourde oreille. Il est vrai que Vayssière plaide mal sa cause : blogueur et twitteur invétéré, il critique, en avril, sur les réseaux sociaux, le "manque d’ambition, d’inspiration et de courage" de la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche de Geneviève Fioraso

La ministre n’apprécie pas. En juillet 2013, elle envoie des inspecteurs réaliser un audit flash. Dans la presse, le président de l’UVSQ continue à cogner : "Cette année, nous avons eu un gel des dotations [...]. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on nous a tendu une échelle pour que l’on grimpe, et qu’on nous la retire." Le cabinet interprète ces propos comme une déclaration de guerre. Aussi le petit mot, glissé à la sortie d’un Conseil des ministres, par Michel Sapin - qui connaît l’un des vice-présidents de l’université - à Geneviève Fioraso, pour solliciter sa clémence, reste-t-il sans effet.

Au contraire, même... Au début de novembre, Simon Larger, directeur général des services de l’université, est convoqué au ministère : Bercy a donné l’ordre de ne plus engager aucune dépense courante. Voilà l’établissement comme interdit de chéquier ! "Du jour au lendemain, nous n’avons plus eu le droit d’acheter du papier, des cartouches d’encre...

Nous n’avons plus eu d’accès au logiciel pour rentrer les écritures comptables", raconte Sandrine Clavel, doyenne de la faculté de droit et de science politique. Parmi les 20000 étudiants, la rumeur d’une cessation de paiement commence à circuler. A la mi-novembre, Jean-Luc Vayssière confirme la menace dans un message interne. Le personnel, dit-il, pourrait ne pas être payé. Certains professeurs, au carnet d’adresses bien fourni, font passer des notes aux conseillers de l’Elysée et de Matignon.

Le ministère veut clouer le bec à ce mauvais élève trop bruyant

Rue Descartes, c’est l’affolement. Il faut calmer la grogne. Un rapport provisoire de la Cour des comptes fuite dans la presse. Il rajoute de l’acide sur les plaies. Jean-Luc Vayssière est atterré. Cheveux en broussaille, costume chiffonné, éreinté par des mois de lutte, il connaît les observations des auditeurs mais il n’y a pas encore répondu.

Explosion des dépenses de personnel et des heures complémentaires, surestimation des recettes, dégradation de la trésorerie, absence de fonds de roulement... c’est la bérézina. La cour pointe aussi les coûteux partenariats public-privé (PPP) signés par Sylvie Faucheux. Si l’université était une entreprise, elle serait au bord de la faillite.

La réunion du 19 novembre au cabinet de Geneviève Fioraso est plus que tendue. Un article du Parisien vient d’évoquer un rendez-vous de Jean-Luc Vayssière à Bercy. A tort, mais la ministre est hors d’elle. Le président dément la rencontre et réclame une avance de trésorerie pour payer le personnel. "Avant de commencer à discuter, je vous enjoins de recouvrer vos factures impayées", lui répond Emmanuel Giannesini, directeur adjoint du cabinet. Simone Bonnafous, la redoutée directrice du ministère, achève Vayssière : "C’est facile d’avoir de bons résultats quand on ne respecte pas les budgets."

Le lendemain, le ministère continue à mitrailler. Un communiqué de presse dénonce les erreurs de gestion successives de l’UVSQ. Lors d’un point presse, le 25 novembre, Geneviève Fioraso attaque encore sur le thème des recettes surévaluées : elle veut clouer le bec à ce mauvais élève trop bruyant, et surtout, éviter la contagion.

Jean-Luc Vayssière, lui, fait la tournée des amphis pour expliquer la situation aux étudiants. "Ils étaient inquiets et très excités", explique-t-il. D’un côté, le président cherche à calmer les troupes, de l’autre, il ne peut s’empêcher de riposter. Le 27 novembre, sur son blog, à propos de la surestimation des recettes, il écrit : "Comme si cela n’arrivait pas au budget de l’Etat lui-même" Et d’incriminer les injonctions contradictoires que le système lui adresse : "Dans les mêmes semaines où le coût de nos enseignements était dénoncé, nous recevions l’ordre d’ouvrir des places supplémentaires. "

25 élus de tous bords signent un texte de soutien

En décembre, la préparation du budget 2014 s’accélère. Les services de l’université donnent des gages : 2 millions d’euros de factures sont recouvrés. Et l’un des deux PPP est entièrement renégocié. Mais le ministère refuse de relâcher les cordons de la bourse. Tandis que le rectorat travaille sur l’hypothèse d’un budget en déficit, le cabinet prévient à la dernière minute qu’il n’est pas question d’accepter ce choix.

Le 17 décembre, le conseil d’administration de l’université est envahi par les syndicalistes et la réunion est reportée. Dans la cacophonie, l’adjointe du recteur prend la parole et critique "les volte-face incessantes du ministère". Un rectorat contre sa hiérarchie, c’est rare ! Un communiqué de l’université brandit alors l’arme atomique - l’éventualité d’une fermeture dès le mois de février. Jean-Luc Vayssière est aussitôt convoqué Rue Descartes. "La ministre souhaite vous voir."

Accompagné de sa garde rapprochée, il se rend au rendez-vous, mais Geneviève Fioraso ne daigne pas se montrer. Emmanuel Giannesini se charge de rabrouer le président : "Vous ne mesurez pas ce qu’il se passe en ce moment. Si l’on commence à donner de l’argent aux universités, on peut sortir des critères de Maastricht. Vous devez cesser de dire que vous êtes sous-doté", assène cet énarque, conseiller référendaire à la Cour des comptes.

"Je suis à la tête d’une université en détresse", plaide son dirigeant, abattu. Ce soir-là, le ministère marque des points et obtient la reddition du soldat Vayssière. Qui publie un communiqué lapidaire, où il évoque "un dialogue renforcé avec le cabinet". Une paix armée. Quelques jours plus tard, 25 élus franciliens de droite comme de gauche, menés par Valérie Pécresse, députée UMP des Yvelines, signent un texte de soutien à Vayssière. Ce qui lui vaut un long tête-à-tête avec l’ancienne ministre, mais... une avoinée de l’actuelle locataire de la Rue Descartes.

Les vacances de Noël sont les bienvenues. Au début de janvier, Fioraso reprend sa vindicte contre l’UVSQ dans les médias, sur iTélé, puis dans une interview au site Educpros. A Versailles, Vayssière, entre deux cérémonies de voeux, enchaîne les réunions avec ses vice-présidents et les fonctionnaires de l’administration pour tenter l’impossible : construire un budget à l’équilibre. En veut-il à Sylvie Faucheux, qui, selon la Cour des comptes, a une lourde responsabilité dans la situation actuelle ?

Construction d’un observatoire scientifique, d’une fac de médecine ; création d’une somptueuse bibliothèque ; incitation à l’ouverture de nouveaux masters et aux recrutements ; généreuse politique de distribution de primes, dont elle et son mari ne sont pas oubliés : selon nos informations, à eux deux, ils ont encaissé 65000 euros rien qu’en 2011 !

"Tout cela était approuvé et contractualisé par l’Etat et la tutelle", justifie Jean-Luc Vayssière, avant d’ajouter : "Avec l’autonomie, on a changé de paradigme. Aujourd’hui, être président d’université, c’est comme diriger une entreprise." Et, à l’heure de la crise...

A lire sur le site de l’Express.