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L’AURDIP interpelle les PDG de l’INRA et du CIRAD sur la coopération avec Israël - 16 avril 2014

samedi 3 mai 2014, par Elisabeth Báthory

Lettre de l’AURDIP au PDG de l’INRA

Monsieur François Houllier

Président Directeur Général de l’INRA

Monsieur le Président Directeur Général,

L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine a appris que l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA) entendait poursuivre et même approfondir sa coopération avec différents instituts et laboratoires israéliens dans le domaine agricole et en particulier sur les thèmes de la gestion de l’eau, de l’irrigation et du génie génétique. D’après les propos que vous avez tenus lors d’une visite en Israël en mars 2014, propos relayés dans la presse, l’INRA envisagerait le développement d’accords bipartites avec les autorités israéliennes notamment dans des secteurs liés au changement climatique et à la sécurité alimentaire. Il a été indiqué à cette occasion que la coopération envisagée se ferait avec ou sous l’égide de deux ministères israéliens, celui de l’agriculture et du développement rural et celui des sciences, de la technologie et de l’espace.

Notre association rappelle à l’INRA, Etablissement public à caractère scientifique et technologique, sous la double tutelle du ministère chargé de la Recherche et du ministère chargé de l’Agriculture, ses obligations en matière de respect du droit international, obligations qui pèsent sur les pouvoirs publics français :

1) Le 9 juillet 2004, la Cour internationale de Justice de La Haye a rendu, à la demande de l’Assemblée générale des Nations Unies, un Avis sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé. Cet Avis déclare illégaux au regard du droit international tant le mur de séparation que les colonies de peuplement israélien construits en territoire palestinien occupé. La Cour indique, en outre, qu’il appartient à l’Etat d’Israël de démanteler le mur de séparation et les colonies de peuplement.

Cet Avis indique également (§154 à §160) qu’il est de la responsabilité de chaque Etat membre de la communauté internationale mais également des organisations internationales de « faire respecter » le droit international par l’Etat d’Israël. La Cour précise bien qu’il s’agit d’un devoir qui pèse sur chaque Etat membre de la communauté internationale et non seulement une faculté. Cette obligation implique d’exercer toutes les formes nécessaires de pression et de sanctions, dans le respect du droit international et de la Charte des Nations Unies, contre l’Etat d’Israël pour qu’il se conforme à l’Avis de la Cour. A l’heure où la colonisation israélienne en Cisjordanie et la construction du mur de séparation se poursuivent, nous regrettons que l’INRA - établissement public sous la tutelle de l’Etat - ne respecte pas cette obligation, qui devrait le conduire à cesser ou au moins à réduire toute collaboration scientifique avec toutes les institutions israéliennes - et a fortiori avec les ministères israéliens mentionnés plus haut - tant que le droit international n’est pas respecté par l’Etat d’Israël. L’approfondissement envisagé, alors que l’Avis de la Cour recommande une démarche inverse de pression et de sanction, est particulièrement inapproprié.

Cette obligation fixée par la Cour internationale de justice est d’autant plus impérative pour l’INRA que, comme vous le savez, les politiques agricoles et de gestion de l’eau conduites par l’Etat d’Israël sont discriminatoires et contribuent à la colonisation israélienne en Cisjordanie. Des sociétés agricoles et de gestion de l’eau, mais également des instituts et laboratoires israéliens, contribuent de manière active et délibérée à la colonisation conduite par les pouvoirs publics israéliens en Cisjordanie. Elles participent à ces politiques agricoles et de gestion de l’eau qui consistent, pour les agriculteurs palestiniens, en des expropriations et des expulsions, des démolitions de fermes, des destructions d’arbres, de terres ou de puits, des restrictions d’accès à la terre et à l’eau. Ces politiques constituent, en outre, comme l’a indiqué la Cour internationale de justice, des violations flagrantes des droits reconnus par les conventions internationales des droits de l’homme : droit au développement, droit à l’accès aux ressources naturelles, droit à un niveau de vie suffisant, droit au travail, liberté de circulation etc. Rappelons en outre que les colons israéliens - dont certains gèrent des colonies agricoles - consomment autant d’eau que l’ensemble de la population palestinienne de Cisjordanie, dont différentes rapports de l’ONU estiment que la moitié ne dispose même pas du minimum journalier fixé par les normes de l’Organisation Mondiale de la Santé. Un rapport parlementaire français du 13 décembre 2011 intitulé « La géopolitique de l’eau » a également mis en exergue ces pratiques qui s’apparentent à de l’apartheid.

2) La politique de colonisation conduite par l’Etat d’Israël en Cisjordanie constitue un crime de guerre tant en droit international (art. 49§6 de la IVème Convention de Genève de 1949 ; art. 85§4 (a) du Protocole I additionnel de 1977 ; art. 8, 2.b.viii, du Statut de la Cour pénale internationale de 1998) qu’en droit français (art. 461-26 du code pénal). Par conséquent, toute aide ou assistance, même par la simple fourniture de moyens - en ce compris dans le domaine de la coopération scientifique -, à cette politique constitue un acte de complicité de crime de guerre, punissable de la réclusion criminelle à perpétuité.

3) Notre association souhaite également vous rappeler l’adoption le 19 juillet 2013 des « lignes directrices relatives à l’éligibilité des entités israéliennes établies dans les territoires occupés par Israël depuis juin 1967 et des activités qu’elles y déploient aux subventions, prix et instruments financiers financés par l’UE à partir de 2014 » (2013/C 205/05 ; JOUE du 19.7.2009 C 205/9 à C 205/11). En résumé, ces lignes directrices de l’Union européenne (UE), entrées en vigueur le 1er janvier 2014, interdisent les subventions, bourses et instruments financés par l’UE à toute entité israélienne établie dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis juin 1967, y compris Jérusalem-Est, mais également à toute activité israélienne qui y a lieu. Compte tenu de l’intensification de la colonisation (plus de 600.000 colons en 2014) et dans la mesure où l’Etat israélien et les personnes publiques israéliennes apportent un soutien massif à l’établissement, au maintien et à l’extension des colonies, les laboratoires et instituts de recherche israéliens ainsi que leurs activités sont tous potentiellement concernées par ces interdictions posées par les lignes directrices de l’Union européenne.

Dans ce contexte, il n’est pas envisageable pour l’INRA d’engager ou d’approfondir une coopération avec un laboratoire ou un institut de recherche israélien sans un examen ou un réexamen profond de ses modalités. Il est de votre devoir de vous assurer que tout partenariat conclu et toutes les actions de coopération conduites (qu’elles aient ou non une implication financière) s’inscrivent dans le respect des lignes directrices de l’Union européenne. Ce respect implique que le partenaire israélien concerné n’ait aucun établissement ni aucune activité (directe ou indirecte) dans une colonie israélienne située en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. Si tel était le cas, une rupture de l’accord de coopération s’imposerait immédiatement, tout accord de nature règlementaire devant, conformément à la hiérarchie des normes juridiques, être conforme au droit européen.

S’il est établi que le partenaire israélien concerné n’a aucun établissement ni aucune activité (directe ou indirecte) dans une colonie israélienne, le respect des lignes directrices nécessite néanmoins la renégociation de l’accord de coopération avec l’inclusion d’une clause territoriale, précisant que ce partenaire israélien s’engage à n’ouvrir aucun établissement et à ne conduire aucune activité (directe ou indirecte) dans une colonie israélienne. L’accord de coopération doit également prévoir qu’un suivi du respect de la clause territoriale est effectué par les parties et qu’il appartient au partenaire israélien chaque année de prouver qu’il n’a ouvert aucun établissement et n’a conduit aucune activité (directe ou indirecte) dans une colonie israélienne. Le refus de l’insertion d’une telle clause territoriale impose la rupture de l’accord de coopération existant et la non-conclusion d’un nouvel accord.

L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine regrette la collaboration scientifique déjà existante entre l’INRA et certains instituts et laboratoires israéliens et s’inquiète de son approfondissement et des partenariats envisagés. En effet, les éléments cités devraient naturellement conduire l’INRA, notamment au regard de sa qualité d’Etablissement public, à cesser ou au moins à réduire cette collaboration avec les instituts ou laboratoires israéliens, dont on peut raisonnablement penser qu’ils contribuent à violer le droit international humanitaire en leur qualité de complices du crime de guerre de colonisation commis par les pouvoirs publics israéliens.

Nos inquiétudes sont aussi fondées sur le risque juridique pénal que vous encourez vous-même et que vous faîtes encourir à vos collaborateurs et aux chercheurs et étudiants de l’INRA chargés de mettre en œuvre cette coopération scientifique. Nous vous remercions donc par avance de bien vouloir nous rassurer en nous indiquant les mesures concrètes qui sont prises et les garanties substantielles que vous avez obtenues de la part de vos partenaires israéliens pour vous garantir qu’aucun des partenariats conduit ne vous expose au risque pénal mentionné ci-dessus.

Notre association se tient à votre disposition pour vous rencontrer et échanger au sujet de cette coopération qui ne peut s’inscrire que dans le respect du droit international, européen et français. Nous vous remercions par avance pour votre réponse.

Ivar Ekeland

Président de l’AURDIP (http://www.aurdip.fr)

Ancien Président de l’Université Paris-Dauphine

Ancien Président du Conseil Scientifique de l’École Normale Supérieure


L’AURDIP a adressé une lettre similaire à Monsieur Michel Eddi, Président directeur général du CIRAD (24 avril 2014)

Les deux lettres sont disponibles en document joint.