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Facs au bord de la crise de nerfs - France Info- 20 mai 2014

mardi 20 mai 2014, par Louise Michel

Les universités sont-elles au bord de la dépression ou de l’explosion ? C’est la question qui ressort du baromètre EducPros 2014 du moral des professionnels de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Sur le site de France Info

Le cocktail est en effet explosif : les 2.000 personnes interrogées dans ce baromètre educpros affichent à la fois une immense fierté de travailler dans ce secteur, et un profond sentiment de manque de reconnaissance.

Côté face 82% disent que leur travail leur apporte des satisfactions et plus de 90% le jugent utile pour la société. Côté pile : 64% s’estiment insuffisamment reconnus par leur institution et 74% par la société. Problème de rémunération aussi pour 72% d’entre eux qui jugent que leurs salaires ne sont pas à la hauteur.

D’où l’analyse du sociologue François Sarfati sur le site Chercheurs d’Actu : « Les enseignants-chercheurs travaillent beaucoup, se sentent peu reconnus et mal rémunérés. Reste à savoir si ce mélange va mener à de la résignation ou à de la révolte ». C’est également l’analyse de Bruno Andreotti, membre du groupe Jean-Pierre Vernant, pour qui les ingérédienst du burn out son réunis, à savoir "Une haute estime de sa mission, sans arrêt mise en porte-à-faux avec la réalité des moyens dont on dispose pour l’accomplir."

Ce jugement vaut pour tous ou y a–t-il des différences selon les disciplines ?

Il y a des différences. La crise se vérifie avant tout dans les lettres et sciences humaines et sociales. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les foyers de contestation traditionnels sur les campus se situent dans des universités dédiées à ces disciplines. La morosité y domine nettement avec 72% de personnels concernés. Pour autant, même si elle est moindre, elle domine également dans les autres familles : 61% en droit et sciences économiques, 59% en sciences, technologie et santé. Clivage en revanche entre d’un côté les universités et de l’autre les grandes écoles et les organismes de recherche ; dans ces dernières, sur la plupart des questions, les réponses positives obtiennent 10 à 20% de réponses supplémentaires.

Concrètement, qu’est-ce qui nourrit ce mécontentement ?

Il s’exprime dans deux registres. Le premier est très quotidien, il est lié aux conditions de travail : de nombreux enseignants-chercheurs se disent écrasés par des tâches administratives ou de gestion sans rapport avec le cœur de leur métier ; ils dénoncent également le fait que les financements récurrents de la recherche diminuent au profit de financements sur projet. Pour le dire simplement : trop de temps passé à remplir des dossiers ou à mettre en œuvre des procédures, pas assez pour se concentrer sur les étudiants ou sur la recherche. Des mots comme « pression bureaucratique » reviennent en boucle dans la bouche des enseignants-chercheurs.

Et c’est un sentiment ou une réalité ?

Clairement une réalité. Nos universités manquent cruellement de personnels pour remplir ces tâches ; c’est même une des principales différences entre les facs françaises et les facs anglaises ou, plus encore, américaines. Ceci étant elles ne sont pas non plus totalement innocentes dans cet état de fait : quand elles en ont le choix, rares sont celles qui privilégient les recrutements de cadres administratifs à celles d’enseignants-chercheurs. Reste que c’est un vrai problème, de même que le manque de moyens. C’est ce que souligne Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents d’université, même s’il le relativise : « Vis-à-vis des autres fonctions publiques, l’enseignement supérieur et la recherche sont moins touchés par les contraintes de la crise. Notre budget a été sanctuarisé et nous avons des créations de postes. Nous sommes protégés, à juste titre, car l’État est conscient que l’ESR est l’antidote de la crise. Il n’empêche cependant que notre premier problème demeure le manque de moyens ».

Et le second registre de mécontentement ?

Il touche au fond : depuis une dizaine d’années, l’Etat tente de réformer l’enseignement supérieur en poussant les établissements à se regrouper. La droite le faisait en prétendant faire émerger une dizaine de pôles d’excellence, capables de rivaliser avec la compétition internationale, ce qui créait une concurrence de facto en France. La gauche affirme que la concurrence se joue non pas à l’intérieur du pays mais entre la France et l’étranger et elle promeut des formes de regroupements qui sont censés permettre la constitution de 25 pôles. Mais le résultat est le même : on demande à des établissements de se réunir, sans qu’ils en aient forcément le projet ou l’intention. A quoi bon être autonomes si on doit toujours passer sous les fourches caudines de réformes voulues par l’Etat, demandent de nombreux universitaires.

Le gouvernement entend-il ces inquiétudes ?

Oui. Mais Geneviève Fioraso, la secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur, demande du temps. « Ma loi rétablit un équilibre entre crédits récurrents et appels à projets, accompagne les étudiants dans la réussite en premier cycle, préserve la recherche fondamentale et sa liberté, suscite des stratégies de site dans des regroupements souples et pluralistes, mais, poursuit-elle, elle n’a pas encore produit ses effets ». Reste à savoir si elle en aura le temps. Selon François Sarfati, ce sont les étudiants qui détiennent une partie de la réponse : pour l’instant, ils ne se sentent pas concernés par la contestation portée par leurs enseignants ; s’ils le devenaient, cela changerait la donne.