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Regroupement d’universités : le choix de l’association - Christophe Pebarthe, blog Mediapart, 23 mai 2014

samedi 24 mai 2014, par Mariannick

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La loi du 22 juillet 2013 sur l’enseignement supérieur et la recherche prévoit notamment des dispositions relatives au regroupement des établissements et des universités (article 62). Pour bien comprendre la nature de ce projet, il convient de faire un petit retour en arrière. La logique des regroupements a été impulsée par la loi "Pacte pour la recherche" du 18 avril 2006. Il s’agissait alors de rendre cohérent le paysage universitaire considéré comme éclaté. Le ministère de l’époque a fortement encouragé la constitution de PRES (Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur) conçus comme des EPCS (établissements publics de coopération scientifique), auxquels il faut ajouter les Réseaux Thématiques de Recherche Avancée (RTRA) et les Centres Thématiques de Recherche et de Soin (CTRS). L’objectif affiché était celui d’instituer une "gouvernance forte". Mais la loi autorisait bien des souplesses puisqu’il s’agissait de "conduire ensemble des projets d’intérêt commun" sans autres précisions.

Une étape nouvelle est franchie avec la loi LRU du 10 août 2007 qui modifie l’article L.711-1 du Code de l’Éducation, permettant désormais aux établissements de "demander, par délibération statutaire du conseil d’administration prise à la majorité absolue des membres en exercice, le regroupement au sein d’un nouvel établissement ou d’un établissement déjà constitué". Le regroupement est alors approuvé par décret. Quatre ont été réalisés à ce jour : trois sous la forme d’université de droit commun (Strasbourg, Aix-Marseille, Bordeaux), le quatrième étant un grand établissement (Lorraine).

La question des regroupements d’universités et établissements est reprise dans la loi du 22 juillet 2013, après que plusieurs rapports (par exemple, celui de Philippe Aghion en 2010, sur lequel on peut se reporter à cette analyse) mettent en avant la nécessité d’accélérer les fusions. L’article 62 de la dite loi sur l’Enseignement supérieur et la Recherche instaure des regroupements d’université à l’échelle académique et inter-académique (une exception est introduite pour l’Île-de-France). Il s’agit d’organiser la coordination des offres de formation et des stratégies de recherche et de transfert (article L 718-2). Chaque regroupement est doté d’un "projet partagé", "un projet d’amélioration de la qualité de la vie étudiante et de promotion sociale sur le territoire" présentant "une vision consolidée des besoins des établissements d’enseignement supérieur implantés sur le territoire en matière de logement étudiant, de transport, de politique sociale et de santé et d’activités culturelles, sportives, sociales et associatives" (article L 718-4). Trois types de regroupement sont possibles : la fusion, la communauté d’universités et établissements (COMUE) et l’association. Mais la secrétaire d’État Geneviève Fioraso, tout en s’en défendant, pousse à la constitution des seules COMUE et encourage à rejeter la possibilité pourtant offerte par la loi du regroupement sous forme d’association.

Or, la COMUE est loin d’être un changement cosmétique par rapport aux anciens PRES. La lecture de la loi révèle en effet que la COMUE est une arme de fusion massive. Selon la loi de 2013, les statuts "prévoient les compétences que chaque établissement transfère, pour ce qui le concerne, à la communauté d’universités et établissements et les compétences des instances mentionnées à l’article L. 718-9 [conseil d’administration, conseil d’administration, conseil académique et d’un conseil des membres] qui ne sont pas prévues à la présente section" (article L 718-8). Cependant, une fois les statuts votés par les CA de chaque établissement membre, fondant statutairement la nouvelle COMUE (article L 718-8 : "La dénomination et les statuts d’une communauté d’universités et établissements sont adoptés par chacun des établissements et organismes ayant décidé d’y participer"), ceux-ci ne seront plus réexaminés par les CA : "Une fois adoptés, ces statuts sont modifiés par délibération du conseil d’administration de la communauté d’universités et établissements, après un avis favorable du conseil des membres rendu à la majorité des deux tiers. Ces modifications sont approuvées par décret" (même article ; nous soulignons). Donc, comme les statuts "prévoient les compétences que chaque établissement transfère", ce sont les institutions de la seule COMUE qui décideront des compétences transférées à l’avenir. Les CA des établissements membres deviennent au mieux consultatifs.

Ces transferts de compétences supposent un transfert de personnels des établissements membres à la COMUE. "Chaque établissement et organisme membre désigne, selon ses règles propres et dans le respect des dispositions statutaires qui leur sont applicables, les agents qui sont appelés à exercer tout ou partie de leurs fonctions au sein de la communauté d’universités et établissements. Ces agents, qui demeurent en position d’activité dans leur établissement ou organisme, sont placés, pour l’exercice de leur activité au sein de la communauté d’universités et établissements, sous l’autorité du président de cette communauté" (article L 718-14). Ils requièrent également des moyens financiers et humains provenant de l’État. "L’État peut attribuer, pour l’ensemble des établissements regroupés, des moyens en crédits et en emplois aux établissements chargés de la coordination territoriale, qui les répartissent entre leurs membres ou établissements et organismes associés" (article L 718-5). Traduction : l’État peut confier à la COMUE (cf. article L 718-3 qui précise sans aucun doute possible que l’établissement chargé de la coordination est la COMUE lorsqu’il y en a une) des moyens financiers et humains dont la répartition est décidée par les seules instances de la COMUE.

C’est donc bien une fusion généralisée des universités et des établissements que le regroupement sous forme de COMUE prépare, en liquidant au passage le peu de démocratie universitaire que la loi LRU avait laissé subsister. Certains ont alors pris en considération la troisième possibilité offerte par la loi du 22 juillet 2013, l’association. Introduite par la voie d’un amendement parlementaire, cette option est à présent régulièrement combattue par le ministère sous prétexte d’arguments infondés. Le plus récurrent est l’évocation d’un "chef de file", notion pourtant absente de la loi. Les établissements associés seraient ainsi placées sous l’autorité d’un d’entre eux, le plus grand, qui imposeraient sa volonté. Or, la loi ne dispose de rien de tel. Elle affirme ainsi qu’"en cas d’association, les établissements conservent leur personnalité morale et leur autonomie financière" (article L 718-16). C’est une garantie et c’est dans la loi.

Certes, l’article 62 comporte plusieurs sections. La section 1 comporte les "Dispositions communes". Elle s’applique dans tous les cas de regroupement, fusion, COMUE ou association. Selon l’article L 718-3 : "La coordination territoriale est organisée par un seul établissement d’enseignement supérieur, pour un territoire donné. Cet établissement est soit le nouvel établissement issu d’une fusion, soit la communauté d’universités et établissements lorsqu’il en existe une, soit l’établissement avec lequel les autres établissements ont conclu une convention d’association". Une lecture rapide de la loi pourrait donc laisser penser qu’il y a bien un établissement coordinateur au sein d’une association.

Mais cette disposition doit être lue avec l’article L. 718-16 (qui ne vaut lui que pour les seules associations) : "Le projet partagé prévu à l’article L. 718-2 porté par l’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel et le ou les établissements associés est défini d’un commun accord par les établissements parties à cette association". Il y a un commun accord des établissements, chacun d’entre eux donc. La loi précise du reste : "La convention d’association définit les modalités d’approbation par les établissements associés du volet commun du contrat pluriannuel mentionné à l’article L. 718-5". Tout changement du volet commun requiert donc une délibération de tous les établissements. Autrement dit, l’application de la section 1 "Dispositions communes" n’annule pas la section 4 "Conventions et associations". Aucun établissement ne peut donc imposer sa volonté aux autres.

À bien y réfléchir donc, l’association est un moyen d’introduire de la démocratie dans les regroupements. Depuis 2006, une majorité d’universités ont pu faire l’expérience du centralisme démocratique que les PRES organisaient. Il n’était jamais possible d’amender les dispositions décidées "au PRES" ou au "CA du PRES" et les membres des CA des établissements acceptaient bien souvent cette amputation du droit à délibérer. En refusant la COMUE et en choisissant l’association, les personnels de l’Université peuvent enfin reprendre une partie du pouvoir qui leur a été enlevée depuis plusieurs années. Pour toutes celles et tous ceux qui ont contesté les réformes précédentes, c’est une possibilité de victoire qu’il ne faut pas laisser passer.

Pour l’ensemble de ces raisons, je soutiens la pétition appelant à un moratoire sur les regroupements et à l’organisation d’un débat réel et sincère dans les établissements universitaires.