Accueil > Revue de presse > Recherche : Le pont d’or fait aux nanotechnologies (...) - Lucie Delaporte, (...)

Recherche : Le pont d’or fait aux nanotechnologies (...) - Lucie Delaporte, Mediapart, 12 décembre 2014

samedi 13 décembre 2014, par Mr Croche

La suite de l’article

A lire sur Mediapart (abonnés).

Pour le dîner à l’Élysée des présidents d’université, François Hollande avait prévu de faire une annonce censée mettre du baume au cœur d’une communauté universitaire de plus en plus remontée contre l’austérité qu’elle subit. Il doit ainsi affirmer ce vendredi 12 décembre que les 70 millions d’euros supprimés au budget des universités par un amendement du gouvernement seront finalement rétablis. Ce geste survient au lendemain d’une nouvelle journée de mobilisation pour dénoncer le manque de financement dans l’enseignement supérieur et la recherche (voir ici le Tumbl du collectif Sciences en marche intitulé Ruines d’Université). Il n’apaisera sans doute pas ceux qui soulignent que 70 millions seulement seront rétablis, sur une amputation totale de 136 millions pour ce secteur.

Mais à regarder de près le projet de loi de finances rectificatif 2015, c’est une tout autre somme qui est en train de susciter la colère des universitaires. Dans ce projet rectificatif, un seul programme de recherche et développement, « Nano 2017 », obtient la somme faramineuse de 274 millions d’euros pour les trois ans à venir.

C’est un énorme pactole, pour un programme qui allie recherche publique et entreprises privées autour du développement de la nano-électronique à Grenoble. Le projet de loi de finances rectificatif stipule ainsi que le programme 406 « innovation » bénéficie d’une « Ouverture nette de 192 M€ de crédits dans le cadre des redéploiements du programme d’investissements d’avenir vers le dispositif "Nano 2017", à laquelle s’ajoutent 82 M€ de redéploiements internes issus des autres actions financées sur le programme. Ces 274 M€ permettent d’assurer le financement du volet national du programme grenoblois de soutien à la nanotechnologie sur la période 2015-2017 ».

PNG - 139 ko

Alors que les universités sont depuis deux ans dans des situations financières extrêmement difficiles, que les laboratoires de recherche sont exsangues, un tel montant pour un seul programme fait quelque peu grincer des dents. « 274 millions d’euros, c’est le budget annuel de 3 universités LLASHS, de 2 universités pluridisciplinaires, plus que le budget annuel de l’université de Grenoble 1 ou même de l’université Paris Diderot ! Pourquoi tant de largesses pour un seul projet ? », écrit ainsi sur son blog Yann Bisiou, maître de conférences à Montpellier 3, qui a, le premier, alerté sur cette situation.

Pour parvenir à ce colossal financement, Bercy a dû tailler dans plusieurs programmes jugés sans doute moins stratégiques. « Les internats de la réussite », qui relèvent de l’éducation nationale, sont amputés de 24 millions d’euros. L’« innovation pour la transition écologique et énergétique » perd 100 millions. Le programme « Ville et territoires durables » est lui raboté de 46 millions. Quant aux « projets innovants en faveur de la jeunesse », ils doivent eux restituer aux nanotechnologie 16 millions d’euros.

PNG - 110.1 ko
PNG - 171.3 ko
PNG - 111.8 ko

Pourquoi tant de sacrifices au bénéfice d’un seul programme ?

« Des millions pratiquement sans contrepartie »

Selon la présentation officielle de « Nano 2017 », ce programme est « Porté par la société STMicroelectronics et par le LETI – laboratoire du CEA dédié à la nanoélectronique ». L’actuelle secrétaire d’État, Geneviève Fioraso, qui a fait toute sa carrière à Grenoble, connaît particulièrement bien ces structures puisqu’elle a été, de 2003 à sa prise de fonctions au ministère, PDG de la société d’économie mixte Minatec entreprises, qui propose de la valorisation industrielle au sein de « Minatec », ce grand complexe qui regroupe chercheurs et industriels autour des micro et des nanotechnologies.

Geneviève Fioraso, adepte des partenariats public-privé, est bien connue à Grenoble pour son soutien indéfectible aux entreprises innovantes de la ville. Comme vice-présidente de la communauté d’agglomération de Grenoble, elle a d’ailleurs laissé le souvenir d’une responsable déversant des millions d’euros « pratiquement sans contrepartie, affirmait en 2012 à Mediapart Pierre Mériaux, élu EELV au conseil régional, comme chez ST Microelectronic, où le montant des aides pouvait payer les salaires pendant trois ans ! ».

Au cabinet de Geneviève Fioraso, on assure n’avoir « pas eu à connaître ce dossier qui dépend de Bercy ». « Nous ne sommes en rien concernés par ces crédits », explique l’entourage de la secrétaire d’État, avant de préciser qu’« aucun crédit de l’enseignement supérieur n’a été réduit pour financer ce programme ». Il faut dire qu’outre le lobbying ancien de Geneviève Fioraso pour les nanotechnologies, dans le développement desquelles elle était jusqu’à récemment directement intéressée, la position de son compagnon Stéphane Siebert au sein du CEA, partenaire public principal de « Nano 2017 », la place également dans une situation délicate.

Stéphane Siebert est effectivement considéré comme le bras droit du président du CEA Jean Therme. Cette fonction, malgré un titre un peu flou, n’a pas manqué d’éveiller la curiosité de la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique. La HAT a poussé la secrétaire d’État, deux ans après sa prise de fonctions, à régulariser sa situation en publiant un décret début août qui stipule que « La secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche ne connaît pas des actes de toute nature intéressant la direction de la recherche technologique du Commissariat à l’énergie atomique ».

En clair, Geneviève Fioraso ne peut plus prendre aucune décision concernant le CEA sans être en situation de conflit d’intérêts. Ce qui explique sans doute que son entourage affirme n’avoir découvert le montant des sommes allouées au programme « Nano 2017 » que récemment et presque par hasard. La défense est un peu légère, quand on sait que l’essentiel du plan de financement de ce programme a en réalité été bouclé à l’été 2013. En juillet 2013, la ministre de l’enseignement supérieur faisait visiter le site à Jean-Marc Ayrault aux côtés du directeur de la recherche technologique du CEA Jean Therme. L’ancien premier ministre annonçait en grande pompe un soutien public qui s’élèverait à terme à près de 600 millions d’euros.

Comment imaginer dès lors que Bercy, sans en référer à la secrétaire d’État, ait décidé que ce programme plus qu’aucun autre méritait un tel financement ?

Si l’entourage de Geneviève Fioraso assure qu’elle ne suit plus les dossiers liés au CEA, il n’est qu’à regarder son agenda des dernières années pour voir qu’elle n’a cessé de rencontrer ses dirigeants avant l’adoption du décret. En mars dernier, elle faisait encore visiter le campus Minatec à son homologue argentine, une visite qui a d’ailleurs abouti à la signature d’une « lettre d’intention entre le Ministère argentin de la Science, la Technologie et l’Innovation productive et le CEA vise à développer la coopération entre la France et l’Argentine dans le domaine des micro-nanotechnologies ». Le tout, rappelait le communiqué du ministère, « sous le patronage de Madame la ministre Geneviève Fioraso » qui, aujourd’hui, est-on prié de croire, ignore tout de ce programme…