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L’université doit-elle être dispensée de parité ? - Sonya Faure, Libération, 23 avril 2015

samedi 2 mai 2015, par Mr Croche

Il ne s’agit pas, ah non, de mettre en cause la parité – nous disent les présidents d’université –, mais "sa mise en œuvre", car les principes ne valent que tant qu’ils n’ont pas de conséquences…

.... pour les hommes et leurs places dans les instances de pouvoir » analyse Sandra Laugier

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Décryptage d’un point juridique au cœur de l’actualité.

Aujourd’hui, retour sur le recours en justice des présidents d’université pour abroger un article de loi leur imposant la parité.

Sur les 75 présidents d’universités françaises, 9 sont des femmes. Elles étaient 16 en 2008. Dans notre pays, seul un quart des chercheurs sont des chercheuses (1), ce qui nous classe devant l’Allemagne et le Japon, mais loin derrière le Portugal, l’Afrique du Sud, l’Espagne, la Finlande, la Turquie, la Suède, l’Italie etc.

La loi Fioraso sur l’enseignement supérieur et la recherche a donc cherché à favoriser l’égalité des sexes à l’université. Pas si simple ni consensuel, si on en croit la démarche engagée par la Conférence des présidents d’université (CPU). Ceux-ci ont demandé au Conseil constitutionnel d’abroger purement et simplement un article de la loi. Les juges devraient rendre leur décision vendredi.

Liste paritaire

Votée en juillet 2013, la loi Fioraso impose que seules des listes paritaires concourent désormais aux élections du conseil académique de chaque université. Ce conseil a un rôle important : il gère la répartition des budgets de recherche et de formation, les règles qui régissent les examens, etc.

C’est aussi ce conseil académique, mais cette fois en formation restreinte, qui décide des carrières des enseignants : il examine les recrutements, les affectations et les promotions. Là encore la loi Fioraso impose une petite révolution : le conseil restreint chargé d’étudier la carrière des maîtres de conférences devra désormais systématiquement compter autant d’hommes que de femmes. C’est ce dispositif qui est aujourd’hui contesté par les présidents d’université.

Mercredi 8 avril, la Conférence des présidents d’université (CPU) demandait donc devant le Conseil constitutionnel l’abrogation de cet article (la vidéo de l’audience est ici). « L’objectif d’un égal accès énoncé dans la Constitution n’est pas un absolu à atteindre à n’importe quel prix », plaidait Jean Barthélémy, le conseil de la CPU.

Quelle mouche sexiste a piqué les présidents d’université ? En termes d’affichage, ce recours est en effet assez fâcheux. Simple rappel : le conseil d’administration de la Conférence des présidents d’université compte 17 membres et seulement deux femmes. Le bureau de la Conférence n’en compte tout simplement aucune.

Problème « transitoire »

De quel droit les élus des universités échapperaient-ils à la parité ? Interrogé par Libération, le président de la Conférence, Jean-Loup Salzmann, remet l’affaire dans son contexte et minimise sa portée : « Bien sûr que nous sommes pour la parité ! Nous ne contestons pas, d’ailleurs, le principe de listes paritaires. Notre recours vise uniquement à remédier à un problème transitoire et très concret. » En effet, dans chaque université, les conseils académiques ont été élus en 2012, avant la loi Fioraso, et donc avant l’institution de listes paritaires. Ils comptent donc bien souvent une majorité d’hommes.

Pour composer les formations restreintes paritaires des conseils académiques, les présidents d’université sont donc contraints de refuser à certains hommes de siéger. « C’est comme si dans un conseil municipal, on disait à tel ou tel élu qu’il ne pourra pas voter le budget au nom de la parité, argumente Jean-Loup Salzmann. En tant que présidents d’université, nous ne voulons par prendre la responsabilité de faire le "tri" entre des enseignants-chercheurs régulièrement élus. » Qu’importe si des solutions de bon sens peuvent régler la question : tirage au sort ou choix en fonction des voix recueillies lors des élections. Qu’importe aussi que ce délicat « tri » ne s’impose que pour l’année qui vient : les conseils académiques seront renouvelés, cette fois par le biais de listes paritaires, au premier semestre 2016. Il s’agit d’une question de fond, pour la CPU : « Le principe d’égalité s’oppose à ce que les titulaires d’un mandat électif au sein d’un organe représentatif se trouvent évincés de leurs fonctions pour des considérations tenant à leur sexe. »

La gestion quotidienne d’une université est sans doute plus ardue qu’on l’imagine. Mais en saisissant le Conseil d’Etat puis le Conseil constitutionnel, les présidents d’université démontrent qu’ils ont une vision bien particulière de la parité – entrée dans la Constitution en 1999. Un droit certes, mais un droit un peu secondaire face à d’autres principes sacrés par la Constitution : la sincérité de l’élection, l’égalité – entendue dans son sens classique, l’indépendance du corps enseignant…

« La parité est un principe de même noblesse »

« Toute l’argumentation de la CPU est destinée à présenter la parité comme une dérogation, une exception à d’autres principes constitutionnels, estime Stéphanie Hennette-Vauchez, qui avait obtenu d’intervenir dans la procédure, face aux présidents d’université, avec quatorze autres universitaires membres de Regine, un groupe de recherche sur le genre et les inégalités. Or, la parité est un principe de même noblesse que les autres principes constitutionnels. Elle n’est pas une dérogation à l’égalité, mais un nouvel élément constitutif du principe d’égalité, un instrument pour y parvenir. » L’argumentation de la CPU est classique, régulièrement utilisée pour contester la mise en place bien concrète de la parité. En 2013 par exemple, des syndicats d’agriculteurs étaient parvenus à faire annuler par le Conseil d’Etat un décret imposant que leur liste comprenne au moins un candidat de chaque sexe par tranche de trois candidats.

La philosophe Sandra Laugier ironise (2) : « Ce qui est révélateur c’est la motivation de la CPU. Il ne s’agit pas, ah non, de mettre en cause la parité – nous disent les présidents d’université –, mais "sa mise en œuvre", car les principes ne valent que tant qu’ils n’ont pas de conséquences… pour les hommes et leurs places dans les instances de pouvoir. »

Mais il y avait une autre question soulevée – cette fois par les universitaires du groupe Regine – lors de cette audience devant le Conseil constitutionnel. Si la loi Fioraso impose une parité dans les conseils académiques restreints des maîtres de conférences, elle ne l’impose pas au corps des professeurs d’université. Une différence de traitement injustifiable, selon les universitaires. La question est d’autant plus importante que, à l’université comme dans le monde de l’entreprise, la carrière des femmes est empêchée par un plafond de verre : les inégalités s’aggravent en s’élevant dans la hiérarchie. En 2012, 42% des maîtres de conférences et chargés de recherche étaient des femmes. Et seulement 24% des professeurs et des directeurs de recherche. Au rythme où vont les choses, et sans l’instauration de la parité, il faudrait attendre 2068 pour atteindre la parité entre hommes et femmes parmi les professeurs… Sur cette inégalité-là, la Conférence des présidents d’université n’a pas jugé bon de saisir les plus hautes instances.

(1) 27% en 2009 selon l’OCDE

(2) Ce sujet fera l’objet de sa chronique ce week-end dans « Libération ».