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Le président du CNRS lance des appels à projet post-attentats : réactions - 21 novembre 2015

samedi 21 novembre 2015, par PCS (Puissante Cellule Site !)

Télécharger la lettre de Fuchs ci-après.


Réaction du SNESUP-FSU à la proposition d’appel à projet du Président du CNRS sur les attentats

Dans le contexte dramatique des attentats de vendredi dernier, qui ont plongé tous nos concitoyens dans la sidération et gravement touché les personnels de l’ESR, il est particulièrement malvenu d’utiliser l’émotion légitime de la communauté universitaire pour lancer un appel à projet devant financer une recherche de circonstance, et ainsi de prendre le risque de polluer l’atmosphère avec d’inutiles polémiques.

Le SNESUP-FSU souhaite réagir au courrier transmis hier par Alain Fuchs, Président du CNRS (voir pièce jointe), qui présente une initiative que nous jugeons extrêmement malheureuse : lancer des projets de recherche sur les problématiques soulevées par les attentats. Si nous ne pouvons en effet que souscrire à l’idée que l’Université et le CNRS ont un rôle éminent à jouer dans la compréhension des menaces qui pèsent sur le monde, de leurs multiples ressorts historiques et sociaux, nous sommes en droit, en revanche, d’exprimer les plus grandes réserves face à l’appel à projet improvisé qui conclut la lettre d’Alain Fuchs. Rappelons que les chercheurs n’ont pas attendu ces massacres pour travailler sur ces problématiques.

On a beaucoup reproché à certains responsables politiques leur propension à légiférer dans l’urgence, de façon plus ou moins adaptée, en réaction à chaque événement tragique. La même mise en garde devrait s’appliquer a fortiori aux responsables scientifiques : une politique de recherche ne peut pas "s’improviser" à la faveur d’événements d’actualité, si dramatiques soient-ils.

Nous avons été nombreux ces dernières années à déplorer que nos missions de recherche soient de plus en plus systématiquement placées dans une perspective de "contribution au redressement de l’économie, de la croissance, de la création de richesses et d’emplois" (Loi de juillet 2013). De même que nous refusons le pilotage de nos activités par la seule logique économique, de même nous n’acceptons pas que nos projets de recherche et leur financement soient dictés par l’émotion, si légitime soit-elle.


Le Pst du Cnrs veut une recherche post-attentats

Sylvestre Huet, Blog Sciences2, 20 novembre 2015

Les chercheurs doivent-ils répondre par une action de recherche spécifique, rapide, avec des résultats « dès 2016 » aux attentats terroristes ? C’est l’opinion d’Alain Fuchs, PDG du CNRS, qui vient de le leur demander par une lettre envoyée à plus de 100.000 chercheurs et universitaires.

Le Président du CNRS souhaite « que les communautés académiques nous fassent des propositions nouvelles originales, risquées, qui pourraient bénéficier d’un financement d’amorçage, de quelques milliers d’euros pour un projet. Des collègues peuvent avoir des idées d’actions, de connaissances et compréhension sur le sujet. Notre métier c’est comprendre. On est face à un phénomène sidérant, on est secoué.. mais on se demande tous comment ? pourquoi ? C’est une façon de permettre à la communauté de se mobiliser pour proposer des pistes de réflexion. J’espère qu’on aura de nombreux projets... on a déjà reçu 40 réponses. Pour les sélectionner, nous allons fonctionner de manière différente des procédures habituelles. Un comité ad hoc sera formé par la mission interdisciplinarité du Cnrs, renforcé par des spécialistes des sciences humaines et sociales. Je prends sur moi de constituer un comité léger et de ne pas attendre six mois pour attribuer pour 20 000 euros. On peut être rapides, honnêtes et transparents. Chaque porteur de projet sera contacté, il y aura des rencontres pour mettre ensemble les idées proches, ce que l’Agence nationale de la recherche (ANR) ne fait pas. On sera dans la coopération, pas la compétition. On pourra notifier de l’argent dès janvier qui sera pris sur les dix millions par an de la mission interdisciplinarité du Cnrs. »

Mobiliser nos cerveaux plutôt que nos tripes

Les réactions sont pour le moins contrastées. Certains soulignent qu’en appeler à la science et à la raison est plutôt une bonne idée. François Burgat, de l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman où il travaille notamment sur les "motivations politiques du jihadisme en Europe" réagit du Liban : « le principe même me paraît sain de mobiliser nos cerveaux plutôt que nos tripes. De voir ce qu’une approche scientifique peut apporter comme contribution à la société dans cette crise. La démarche me semble donc bonne. Il faut en effet produire une lecture rationnelle des raisons pour lesquelles ces événements surviennent. Ne pas nous auto-intoxiquer par notre propagande selon laquelle nous serions la cible de barbares uniquement à cause de notre mode de vie. Il faut à l’inverse réfléchir aux raisons, dans la profondeur historique, qui font qu’une partie du monde a envie de nous faire du mal. Pour mieux comprendre la crise que nous vivons, il faut la désidéologiser et la repolitiser. Devant un poseur de bombe, il faut certes l’arrêter, c’est la réponse sécuritaire, mais la communauté scientifique doit aider la société à comprendre quelle est la machine qui fabrique des poseurs de bombe pour la démonter. »

Toutefois, cet accord avec l’idée qu’il faut réagir avec son cerveau n’entraîne pas le soutien à l’initiative. Laurent Mucchielli, du Laboratoire méditerranéen de sociologie, reste dubitatif. Il est plutôt troublé par cet appel « venu de tout en haut » qui s’adresse aux individus « alors que nous travaillons en collectif ». Je ne sais pas trop quoi en penser, ni ce qu’imagine le PDG du CNRS. Avant de proposer de nouvelles recherches, faisons un bilan des connaissances. Il y a énormément de travaux, mais si peu utilisés par les responsables politiques. Faire le tour de ce qui existe, ce que l’on sait, de ce que l’on ne sait pas, et surtout de le faire de manière collective. » Il s’interroge sur son origine. « Je présume que chacun est sommé de faire quelque chose, c’est un peu la panique générale, l’emballement général, qui provoque une surréaction, pour de nombreuses raisons. Et débouche sur l’idée qu’il faut afficher quelque chose... Bâtissons plutôt un collectif pluridisciplinaire pour piloter une telle affaire, construire cet état des lieux, au lieu d’agréger dans la précipitation des projets individuels dont certains seront guidés par le simple espoir d’une opportunité de financement. Et qui va évaluer ces projets ? La lettre ne l’indique pas. En outre, le principal problème de la recherche en sciences humaines et sociales, c’est de trouver des postes de travail pour les jeunes chercheurs. De tels appels à propositions ne permettent pas d’en créer. »

Olivier Grojean, maître de conférence en sciences politiques à Paris-1 Panthéon-Sorbonne, partage cette critique quant aux raisons de cet "Appel du 18 novembre". « C’est une réaction trop rapide, manifestement pour se faire bien voir du politique, montrer que le CNRS sert à quelque chose. Mais faut-il vraiment en passer par là pour que les politiques et la société sachent que sociologues, historiens, anthropologues, spécialistes du monde musulman - qui sont nombreux - travaillent,... et sont utiles à la compréhension du monde et des hommes ? Et puis nous demander des résultats dès 2016, je ne comprends pas. Quel projet de recherche pourrait être réalisé en quelques mois ? Ou alors on a déjà nos conclusions et on en fait une synthèse. Et puis c’est étrange qu’il n’y ait aucune règle pour proposer un projet, ni d’information sur qui va l’évaluer. »

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