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Programmes électoraux pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche (1/3) - Groupe Jean-Pierre Vernant (15 janvier 2017)

vendredi 20 janvier 2017, par Mam’zelle SLU

Pour lire cette analyse sur le site du groupe jean-Pierre Vernant

Avant la primaire de la gauche, il apparaît important de comparer les programmes des principaux candidats à l’élection présidentielle en matière de politique de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous proposons une analyse de ces programmes critériée en trois parties, sur la base de notre analyse de la politique suivie depuis dix ans [1].

Une décennie de réformes gestionnaires

Nul ne contestera la dégradation brutale du système d’enseignement supérieur et de recherche depuis dix ans : bureaucratisation, accroissement sans limite du mille-feuille administratif, chronophagie, pilotage managérial, perte de sens, dépossession de nos pratiques, de nos outils de travail et de nos métiers, suppression graduelle des libertés académiques et de la collégialité, désengagement de l’Etat, inflation de la technostructure, pratiques autocratiques de la DGESIP [2], suppression des possibilités de mobilité des universitaires, mainmise du CGI sur la politique universitaire [3], atomisation du milieu universitaire, dérapage rapide de l’âge de recrutement, pratiques clientélistes et mandarinales, conflits d’intérêt, etc. La fulgurance de la mutation est telle que les collègues les plus jeunes refusent de croire les descriptions que l’on peut leur faire des conditions de travail qui avaient cours au milieu des années 1980, à l’achèvement du processus de démocratisation de l’Université.

Cette séquence néolibérale est issue de réformes structurelles incessantes, relayées avec zèle par un middle management constitué d’universitaires reconvertis dans la gestion et qui ont trouvé leur compte dans ces réformes (promotions, primes, pouvoir symbolique). Il est nécessaire de lire le rapport Aghion-Cohen de 2004 [4] et le rapport Attali de 2008 [5] pour comprendre qu’il y a eu un déploiement continu d’une stratégie théorisée, mise en place – par delà les alternances – par les hauts fonctionnaires du ministère [6]. De sorte à mettre en perspective les programmes électoraux, il nous faut résumer ici les composantes essentielles de cette politique. Usant du procédé classique de l’anti-phrase, la dépossession des universitaires a été baptisée « autonomie ». La théorie néolibérale prévoit quatre volets dans ce programme :

- l’« autonomie » administrative : il s’agit de remettre les décisions à des conseils d’administration mis hors de portée des universitaires, et sous le pilotage incitatif de la DGESIP et du CGI ;

- l’« autonomie » de gestion des ressources humaines : il s’agit de mettre fin aux libertés académiques qui fondent l’université en mettant les universitaires sous la tutelle d’instances de pilotage locales ;

- l’« autonomie » pédagogique : il s’agit encore une fois de mettre fin aux libertés académiques qui fondent l’université en pilotant l’enseignement au niveau des savoirs comme des méthodes ; il s’agit aussi d’introduire la sélection des étudiants de sorte à mettre en concurrence les établissements ;

- l’« autonomie » financière : il s’agit de transférer la charge financière du supérieur de l’Etat aux « clients », et pour ce faire, il est nécessaire d’augmenter les frais d’inscription et de les moduler pour mettre en concurrence les formations.

Les buts poursuivis sont explicites :

- abaisser le coût pour l’Etat de la formation des jeunes adultes issus des classes moyennes, les classes supérieures ayant, statistiquement, accès aux grandes écoles ;

- piloter la recherche et l’enseignement ;

- différencier les établissements supérieurs en faisant émerger sur l’ensemble du territoire dix universités pluridisciplinaires chargées de promouvoir la recherche française au niveau international et de lui assurer une visibilité considérée comme suffisante dans les classements internationaux, laissant hors des métropoles (banlieue et villes moyennes) des établissements de proximité paupérisés spécialisés dans l’enseignement professionnel.

Ce dernier but a, par antiphrase, été baptisé politique d’« excellence » pour désigner un devenir Uber-Mac-Donald de l’écrasante majorité de l’Université et de la recherche.

Les moyens de cette politique d’« autonomie » et d’« excellence », enfin, doivent être explicités. Car si l’exercice de notre métier se révèle de plus en plus sombre, nous poussant au repli, à l’isolement, au sein de niches écologiques de plus en plus étroites (sa recherche, son enseignement), il ne s’agit ni d’une fatalité ni d’un fait du hasard. A nouveau, on en trouvera la théorie dans le rapport Aghion-Cohen et dans tous les manuels de New Public Management :

* faire coproduire les réformes de dépossession par ceux-là même qui en sont les victimes ; le processus de contrôle est désigné par antiphrase d’« incitation » et de « bottom-up ».

* concevoir la gestion comme une mise en concurrence systématique des individus, des structures élémentaires (unités de recherche et d’enseignement), des établissements et des regroupements d’établissements ;

* multiplier pour cela les micro-agences de moyen, quel que soit le surcoût ;

* systématiser l’usage du « ranking » et de l’évaluation, de sorte que chacun soit sans arrêt placé en situation d’occuper la position d’évaluateur et d’évalué ;

* externaliser les décisions politiques vers des « jurys internationaux » fantoches dont personne ne songera à critiquer les procédures de nomination et les évaluations, ce qui permet de détourner le coût symbolique vers des instances placées hors d’atteinte des acteurs. [7]

Ce programme de transformation de l’Université et de la recherche n’a pas, à ce jour été mené à bien complètement : nous sommes au milieu du gué. Cela offre, grossièrement, trois perspectives de programmes politiques : (i) achever le processus néolibéral ; (ii) en rester à la demi-mesure et proposer un statu-quo structurel ; ou (iii) prendre acte des dégâts occasionnés et proposer une nouvelle perspective pour l’Université et la recherche. Il est important également de suivre les mouvements au sein des appareils politiques de ceux qui, par delà l’alternance, ont disposé des leviers de commande ou ont accompagné la dégradation. Nous avons donc classé les programmes analysés selon cet axe, sans prendre en compte la classification ordinairement attribuée à tel ou tel candidat à la présidentielle.


[1A ceux qui seraient tentés de trouver un infléchissement entre les quinquennats de M. Sarkozy et de M. Hollande, rappelons ces mots de M. Berger, conseiller pour l’éducation de M. Hollande : « Pour l’enseignement supérieur et la recherche, sur les vingt dernières années, il y a eu globalement un consensus entre les gouvernements successifs de droite et de gauche », mots prononcés en octobre 2016 lors du discours tenu à l’occasion du colloque d’octobre Institut Montaigne-Terra Nova. En mai 2011, M. Cambadélis, à qui on demandait quelle partie du bilan de M. Sarkozy il considérait comme positive, répondit : «  L’autonomie des universités et le changement de pied sur l’investissement dans la recherche. ».
http://www.lejdd.fr/Election-presidentielle-2012/Actualite/Jean-Christophe-Cambadelis-s-explique-sur-la-Porsche-de-DSK-interview-310179.

[2La DGESIP est la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle. Elle est dirigée par Mme Bonnafous-Dizambourg et concentre l’essentiel du pouvoir ministériel.

[3Le CGI est le Commissariat Général à l’Investissement. Il est dirigé par M. Schweitzer et placé sous la tutelle du premier ministre. Par le levier des Idex, le CGI a acquis un pouvoir de coercition sur les établissements pour les contraindre à procéder à des fusions. Le ministère a perdu tous les arbitrages contre le CGI pendant les gouvernements de M.Valls. Le CGI a donc décidé d’une partie importante de la politique universitaire.

[6Soulignons le rôle majeur joué par les hauts fonctionnaires anonymement réunis au sein du Groupe Marc Bloch, dont le site http://marcbloch2012.fr vient d’être fermé et n’est plus disponible qu’en cache.