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Violences sexuelles : l’école peine à imposer les cours d’éducation - Faïza Zerouala, Médiapart, 25 octobre 2017

jeudi 26 octobre 2017, par Laurence

Le choix du tableau intitulé "Le verrou" de Jean-Honoré Fragonard comme illustration de cet article de "Médiapart" appartient à SLU : ce tableau a servi d’affiche à une exposition parisienne intitulée "Fragonard amoureux, galant et libertin" (Musée du Luxembourg).

L’affaire Weinstein et la parole libérée sur les réseaux sociaux à propos des violences sexuelles posent la question de l’éducation à la sexualité des plus jeunes. Sur le terrain, elle reste un angle mort, faute de moyens dédiés, et ce au mépris de la loi qui oblige la tenue de trois séances annuelles sur le sujet dans les classes.

Dans un lycée parisien, la rumeur bruisse depuis quelques jours. Une jeune fille de Terminale aurait subi un viol par un élève du même lycée, hors des murs de l’établissement, au cours du week-end précédent. Bilel* y exerce la fonction d’assistant d’éducation et ne s’attendait pas à une telle méconnaissance de la loi parmi les élèves dont il a la responsabilité. Alors qu’il s’enquérait de la situation pour éclaircir un peu l’affaire, il a demandé à un groupe s’il s’agissait d’un viol. L’un des jeunes a répondu : « Non, il l’a juste forcée à le sucer.  » Un autre, alors que Bilel expliquait que c’était ce dont il s’agit précisément au regard de la justice, a rétorqué avec nonchalance : « Ah oui, j’y avais pas pensé. » Le pire, soulève Bilel, mi-inquiet, mi-consterné, c’est que ce lycée abrite aussi des sections STS en sciences médico-sociales et que même ceux qui sont issus de ces filières ne maîtrisent pas les bases de l’éducation sexuelle.

Depuis la survenue de l’affaire Weinstein, et ces milliers de femmes qui ont pris la parole sur les réseaux sociaux pour dénoncer les violences sexuelles, les impasses éducatives sur la question ont été mises en lumière.

Depuis 2001, la loi française, cadrée par une circulaire de février 2003, dispose que l’éducation à la sexualité doit être « une composante essentielle de la construction de la personne et de l’éducation du citoyen  ». Au-delà des recommandations de santé publique, ce texte préconise ainsi de travailler sur « les différentes dimensions de la sexualité humaine, biologique, affective, psychologique, juridique, sociale, culturelle et éthique », mais aussi de faire avec les élèves « l’analyse des modèles et des rôles sociaux véhiculés par les médias en matière de sexualité  », ce à raison de trois séances par an, de l’école primaire au lycée. Seulement, dans les faits, cela relève trop souvent du vœu pieu. Selon le baromètre du Haut Conseil à l’égalité, « 25 % des écoles répondantes déclarent n’avoir mis en place aucune action ou séance en matière d’éducation à la sexualité, nonobstant leur obligation légale ». De fait, «  parmi les 12 millions de jeunes scolarisés chaque année, seule une petite minorité bénéficie tout au long de leur scolarité de séances annuelles d’éducation à la sexualité, comme la loi l’a prévu ».

Caroline Rebhi, coprésidente du Planning familial et intervenante scolaire, confirme que les séances n’ont pas lieu de manière aussi systématique que la loi le commande. Julie*, animatrice de prévention en milieu scolaire pour une association pendant un an et demi, rit lorsqu’on évoque la législation, presque unique dans le monde. « Ça nous fait une belle jambe de savoir qu’il existe une loi alors que la plupart des classes entrantes n’avaient jamais vu une personne d’une association, ne serait-ce que pour parler d’infections sexuellement transmissibles ou de contraception. »

Du reste, les obstacles restent nombreux. Caroline Rebhi dénonce encore la fonte des crédits alloués à ces associations. En 2017, le budget des associations qui luttent pour l’égalité femmes-hommes a baissé de 25 %, par exemple. Difficile pour elles de poursuivre dans ces conditions un travail de prévention. « Cela coince souvent au niveau local, dans les collectivités de droite souvent, et dépend fortement du contexte politique. Les agences régionales de santé ne financent pas ces interventions en priorité. C’est bien que les femmes prennent la parole, mais encore faut-il qu’on l’entende et qu’on l’écoute ! Ce n’est pas porté comme une grande cause, avec des moyens adéquats », analyse-t-elle. Julie partage ce constat. La spécialiste en prévention reste dubitative quant au soutien réel des pouvoirs publics pour mener une politique d’envergure en la matière. « Les associations sont exsangues et on veut faire dans le même temps une loi contre le harcèlement de rue car c’est médiatiquement dans l’air du temps.  » Difficile de savoir ce que l’exécutif prévoit en la matière, puisque ni le ministère de l’éducation ni le secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes n’ont répondu à nos multiples sollicitations.

Quant aux professeurs, ils balancent entre volonté réelle d’agir à leur niveau et leurs moyens effectifs, l’éternel dilemme dans l’Éducation nationale. C’est le cas de Jeanne*, enseignante dans un lycée de l’académie de Strasbourg. Elle-même confie avoir été, plus jeune, victime de violences sexuelles durant sa scolarité et n’avoir jamais, à ces occasions, trouvé d’oreille compatissante parmi le corps enseignant. Sans compter que la honte muselle aussi la parole. Cette enseignante en arts plastiques utilise, pour la classe de Terminale dont elle est prof principale, l’heure de vie de classe, dégagée une fois tous les 15 jours, pour aborder l’éducation sexuelle car, dit-elle, « en principe, ils ont une heure par an, mais ça passe aux oubliettes. Sida info service est là tous les ans par exemple, mais on reste à chaque fois dans le cadre médical, pas moral  ».

Valérie Sipahimalani, secrétaire adjointe du SNES, reste aussi convaincue du rôle complémentaire des professeurs, ne serait-ce que parce qu’ils peuvent y enseigner à prendre du recul. « Mais on nous en demande beaucoup, tout en nous enlevant des heures de cours. Si on veut faire ces séances, on doit les prendre sur ces plages horaires… » Le tableau n’est pas totalement sombre. Elle souligne dans le même temps qu’il y a eu quelques avancées « à bas bruit  » sur les stéréotypes sexistes : «  Les entrées genrées dans les manuels scolaires sont de moins en moins présentes. Avant, on pouvait voir par exemple un comptable pour expliquer les pourcentages et une femme qui, elle, regarde les vêtements soldés de 30 %. Il y a eu une prise de conscience là-dessus. »

Le sujet de l’éducation à la sexualité peut crisper, tant il touche à l’intime et porte en lui les germes de la polémique. La fronde la plus récente et la plus emblématique a été fomentée par une frange minoritaire, mais ô combien bruyante. En 2013-2014, Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre du droit des femmes, voulait lancer à titre expérimental dans 275 écoles des ABCD de l’égalité. Leur but était de lutter contre le sexisme à l’école et de déconstruire les stéréotypes de genre. Mais très vite, des opposants ont fustigé l’enseignement d’une supposée « théorie du genre » et ont fait courir le bruit que les enfants seraient initiés à la masturbation dans le cadre scolaire.

Cette offensive, conjuguée à la Manif pour tous et au mouvement des Journées de retrait de l’école (JRE) contre l’initiative ministérielle, caricaturée à souhait, a contraint l’exécutif à renoncer à ce projet. Devenue ministre de l’éducation nationale en 2014, la ministre ne relancera jamais cette initiative. La sociologue Johanna Dagorn, rattachée à l’université Bordeaux-I, a travaillé sur feu les ABCD de l’égalité. Elle admet que des erreurs ont été commises dans leur conception. Ils ont manqué leur cible : «  On a fait quelque chose de très central, où on a décrété qu’il fallait former les inspecteurs d’académie. Tout a été très centralisé et on a oublié les enseignants. Or, ce ne sont pas les inspecteurs ou les recteurs qui sont au contact des élèves. De fait, les professeurs n’ont pas su répondre aux questions légitimes des parents. Sans compter qu’on a accordé trop d’importance aux opposants, qui ont créé une suspicion générale. » Pour elle, cet échec est, plus largement, révélateur des difficultés à aborder les questions de genre car elles mettent en jeu la place de la famille.

De fait, ce recul a pénalisé l’avancée de la prévention. Quatre ans plus tard, le Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes, instance installée depuis 2013 auprès du premier ministre, a rendu en février 2017 un rapport qui dresse le bilan du mandat Hollande en la matière. Le constat est largement mitigé. Il y a eu beaucoup de promesses, pour des résultats plus que décevants. Par exemple, les personnels de l’Éducation nationale ne se sont pas saisis des ressources mises à leur disposition depuis 2014, faute de volonté ou même de les connaître. Les Espé – les successeurs des IUFM – devaient aussi aborder ces thématiques dans le cadre de la formation des enseignants, selon ce qui était prévu par la loi de refondation de l’école de juillet 2013 de Vincent Peillon. Seule la moitié de ces écoles (12 sur 24) proposent un module sur le sujet. Par ailleurs, des chargés de mission « égalité filles-garçons  » ont été installés. Mais sur 36, seuls 8 travaillent à plein temps sur cette thématique. Peut mieux faire, en somme.

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