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Macronleaks sur la sélection à l’université - Groupe Jean-Pierre Vernant, 19 décembre 2017

vendredi 22 décembre 2017, par Laurence

"…Crédit et droits d’inscription : faire les choses dans le bon ordre et avec gradualisme.
Comment faire passer la pilule de la hausse des droits d’inscription ?
Commencer bien sûr par le crédit : ne pas mettre la charrue avant les bœufs.
Y aller doucement mais commencer tout de suite avec les droits d’inscription.
Instaurer la sélection mine de rien.
Créer une nouvelle catégorie d’établissement public ? Libérer les énergies universitaires.
Fin programmée et lente du chercheur à vie et du jacobinisme scientifique.
Grande écoles : de la circonspection ; laisser faire les bactéries.…"

«  Réformes souhaitables de l’enseignement supérieur français et éléments d’une stratégie de changement », texte de Robert Gary-Bobo remis en novembre 2016 à l’équipe de campagne d’En-Marche lors de l’élaboration du programme présidentiel d’Emmanuel Macron, et publié en décembre 2017 par le Groupe Jean-Pierre Vernant où vous trouverez l’intégralité du texte, retiré du blog de Médiapart, où il figurait d’abord.

"Réformes souhaitables de l’enseignement supérieur français et éléments d’une stratégie de changement", 16 novembre 2016.

Contribution de Robert Gary-Bobo, Professeur d’économie à l’ENSAE et auteur de Performance sociale, financement et réformes de l’enseignement supérieur, Presses de Sciences Po, Paris, 2017.

Nous présenterons nos idées en deux parties.

1. Ce qu’il serait souhaitable de faire.

2. Eléments d’une stratégie de changement (et de communication).

Il semble important de séparer les deux choses ; savoir où on va (cela peut être utile parfois) et comment on y va (par des chemins parfois un peu sinueux, pour faire avaler la pilule au malade récalcitrant). Donc la première partie de ce texte fera hurler les âmes sensibles car elle ne prend aucune précaution oratoire ; il faut avoir la patience d’arriver jusqu’à la seconde partie pour avoir un peu de baume au cœur.

1. Ce qui serait souhaitable

1A. Réforme du financement de l’université : développer le crédit aux étudiants, augmenter les droits d’inscription. Le nerf de la guerre.

Disette budgétaire.

Les universités françaises sont financièrement exsangues. Il faudrait monter à au moins 2% du PIB pour l’enseignement supérieur, juste pour avoir une chance de ressembler un peu aux pays les plus avancés en Europe de ce point de vue (Angleterre --- pas de comparaison avec la Slovaquie s.v.p) et on sera encore loin des Etats-Unis !

Hausse des droits d’inscription.

Il n’y a rien à espérer du budget de l’Etat qui soit à la hauteur des besoins (sauf de vaines promesses). Les entreprises et la classe dirigeante française se méfient de l’université. Il ne reste que la contribution des ménages. Il faut donc augmenter les droits d’inscription. Un étudiant coûte entre 8000 et 15000 euros par an. Cela donne l’ordre de grandeur des droits vers lesquels on irait : entre 4000 et 8000 euros par an et par étudiant, avec un taux de subvention publique d’au moins 50%.

Développement du crédit aux étudiants.

Il n’est pas souhaitable (et sans doute pas possible politiquement), pour de nombreuses raisons, d’augmenter les droits sans en même temps mettre en place un grand système de crédit aux étudiants supervisé par l’autorité publique. Par ailleurs, il parait souhaitable de financer plus largement la vie étudiante et l’autonomie étudiante.

Il y a de nombreux arguments économiques et éthiques (mais oui !) qui peuvent être mis en avant pour justifier le recours au crédit, accompagné de hausses substantielles de droits (voir les écrits à ce sujet de Gary-Bobo et Alain Trannoy et l’opuscule de Gary-Bobo à paraître aux presses de Sciences Po en 2017, joint en annexe, et intitulé : Performance sociale, financement et réformes de l’enseignement supérieur).

Impliquer les banques

Il semble que les grandes banques commerciales soient les mieux placées pour développer le crédit aux étudiants : c’est leur métier ; elles ont un réseau ; il faut administrer 2,5 millions de comptes. Elles développeront ce crédit aux étudiants si on leur accorde un cadre légal et réglementaire approprié. Il faut sans doute que le prêteur à l’étudiant devienne un créancier privilégié. Il faut que l’Etat, les services fiscaux, acceptent de sécuriser ces crédits d’une certaine manière (au besoin en reprenant les crédits à problèmes). Nous vivons pour quelques années dans une période de taux d‘intérêt historiquement bas : il faut en profiter pour faire démarrer ce système.

Prêts à remboursement contingents au revenu

Les prêts que nous recommandons sont essentiellement des crédits à remboursement contingent au revenu : les étudiants ne remboursent, une fois leurs études terminées, que si leurs revenus passent un certain seuil (à discuter) et les amortissements peuvent être progressifs. Donc, pas d’étudiants au chômage contraints de rembourser, pas de faillite personnelle due aux dettes étudiantes (sauf cas extrêmes). Ce système est en vigueur en Australie et en Angleterre (nota bene : il a été inventé par des travaillistes).

La pompe à finance

L’idée est que l’argent doit arriver directement dans les caisses de l’université où l’étudiant s’inscrit. Au moment de remplir son dossier d’inscription, l’étudiant(e) choisit une banque qui lui prête le montant de ses droits d’inscription au moins (c’est un droit à la première inscription en fac) et dans le même mouvement, il (elle) signe un chèque à l’ordre de son université, du montant des droits, tiré sur la banque choisie pour le prêt.

1B. Parachever l’autonomie : gouvernance ; fusions, carrières ; concurrence ; sélection à l’entrée.

Le maître mot est ici de réaliser une véritable autonomie (plus ou moins sur le modèle des universités publiques américaines, comme l’Université de Californie).

Les séquelles de la loi Pécresse

La loi Pécresse ou loi LRU de 2007 a fait une partie du chemin seulement vers l’autonomie des universités. Cette loi a répondu au souci des présidents d’université d’avoir enfin les moyens de gouverner. Elle a créé une situation de déséquilibre des pouvoirs où les présidents sont trop puissants et où les conseils universitaires restent dans leurs ornières habituelles, sans que soient créées des incitations à développer un bon enseignement et une bonne recherche. La loi LRU révisée par Fioraso n’a rien arrangé.

Réaliser une véritable autonomie grâce à une gouvernance équilibrée

Quand on utilise des fonds publics, une large autonomie ou une liberté accrue doit nécessairement s’accompagner d’une plus grande responsabilité sociale. En effet, qu’est ce qui assure que l’intérêt général est (vraiment) représenté ? Par ailleurs, pas d’autonomie réelle sans ressources propres (qui viennent du marché ; cf. ci-dessus). Au surplus, dans le système français actuel, qu’est ce qui incite les universités à recruter de bons chercheurs et de bons enseignants ? Il faut se poser la question.

Séparation des pouvoirs à la Montesquieu

D’une certaine manière, il faudrait prendre le meilleur des deux modèles : celui des grandes écoles, avec leur direction centralisée autoritaire, représentant plus ou moins directement la tutelle, et celui de l’université vue comme partenariat de professeurs cooptés, mais sans autonomie administrative. Il faudrait de vrais conseils d’administration (CA) représentant les tutelles (et l’intérêt public), aux effectifs limités, composé pour l’essentiel de membres extérieurs rémunérés, avec un président qui est un manager professionnel de l’enseignement supérieur (pas forcément choisi parmi les professeurs de l’université). Mais il faut contrebalancer ce pouvoir exécutif : il faut donc un vrai sénat académique réunissant les professeurs titulaires (et eux seuls : car il faut désyndicaliser les universités) ; s’occupant de recrutement (sur les postes ouverts par la présidence) et des promotions d’enseignants (proposant les titularisations), déterminant la politique scientifique, et la politique d’enseignement par un dialogue avec le CA et la présidence. Un prévôt (vice-président) devrait représenter les professeurs au CA.

Au lieu de s’évertuer à piloter le système universitaire d’en haut, sans d’ailleurs y parvenir, les hauts fonctionnaires de la rue Descartes devraient venir siéger dans les CA des établissements, et y faire leur travail, voire directement les administrer, mais en respectant le pouvoir académique, car ils ne peuvent pas s’y substituer sans risques à long terme.

La tragédie des COMUE

Les COMUE ont été créées pour permettre à une administration centrale en déclin (Descartes), incapable de reconnaître sa perte de contrôle (« on n’y arrive plus avec 80 contrats »), de se survivre à elle-même pour quelque temps encore — pas pour remonter la France dans le classement de Shanghai. Le classement d’une université est une question de rapport ou ratios (nombre de pages publiées pondérées par chercheur) et non pas une question de taille. Les grandes COMUE, en prétendant créer des ensembles totalement disproportionnés, de véritables mammouths universitaires, ne pourront survivre, au mieux, que sous la forme de confédérations très lâches — sauf peut-être quelques exceptions : là où il semble que l’idée de coopération intelligente ait pris le dessus sur la tentation de bâtir une bureaucratie (à Paris), ou bien lorsque la taille reste raisonnable (en province). Il faut arrêter de miser sur les COMUE. Arrêter d’inciter à la fusion. Cela semble peine perdue dans l’état actuel de systèmes de gouvernance hétérogènes (Polytechnique, Paris Sud, ... Saclay !). Réglons d’abord les questions de gouvernance des écoles et universités, laissées en suspens depuis plus de 5 ans, avant de prétendre bâtir des géants universitaires (au sens figuré).

Renoncer à l’interventionnisme et à la centralisation : vive le laissez-faire !

Au lieu de chercher à piloter l’enseignement supérieur par le haut (« mettre de l’ordre dans la carte des masters » et autres choses de ce genre), la rue Descartes devrait se mêler de ce qui est utile, et qu’elle ne fait pas (faire la carte des chercheurs et des recherches produites, faire sérieusement des évaluations s’appuyant sur des statistiques...) et laisser jouer la concurrence. Les COMUE sont au fond le produit d’un diagnostic erroné : ce sont la gouvernance et les incitations individuelles engendrées par le système qui ne vont pas ; ce n’est pas une question d’échelle ou de masse critique. C’est aussi une question d’idéologie, plus ou moins égalitariste ou uniformisatrice. Les établissements ne feront pas partout la même chose au même niveau, avec les mêmes méthodes et avec le même succès. L’inégalité et la dualisation (des établissements) sont un état de fait qui va s’intensifier sans que personne n’y puisse rien changer — et ce n’est pas le gouvernement ou la rue Descartes qui pourront décider qui réussira et même combien réussiront. D’ores et déjà, dans l’enseignement supérieur français, l’égalité, c’est seulement pour les élèves moyens et faibles... et il y a de l’égalité dans la pauvreté.


Une tenure track à la française

L’université française ne dispose pas aujourd’hui des outils juridiques dont elle a besoin pour son développement et son insertion dans le marché international des chercheurs, des enseignants et des idées. Il faut permettre aux établissements d’aller sur le marché des docteurs avec des offres de tenure track : services d’enseignement réduits, salaires en hausse et titularisation —ou non— après évaluation, au bout de 7 ans, pour des jeunes qui demain constitueront la nouvelle élite intellectuelle du pays. Il n’existe pas en droit public français, ni en droit du travail privé, d’instrument contractuel permettant de faire des offres crédibles aux jeunes chercheurs de niveau international : actuellement, les établissements innovants font du bricolage et créent une regrettable insécurité juridique. La tenure track ne doit pas nécessairement être la norme partout ni pour tous : elle devrait l’être dans les établissements et les départements qui prétendent « jouer dans la cour des grands » en recherche.

La liberté de sélection...et l’ « orientation »

Un complément indispensable des réformes proposées ci-dessus est la liberté pour tous les établissements d’enseignement supérieur de sélectionner leurs étudiants. C’est un point essentiel et cela ne signifie nullement qu’il y aura un rationnement de l’accès aux études : car il y a de la place ! Les établissements pourront redéployer les ressources consommées dans la gestion de la sélection par l’échec (car le redoublement coûte cher !). Plus encore, redresser la qualité des enseignements de licence classiques est une mission sacrée car la dévalorisation des diplômes est à l’œuvre et c’est la source d’un coût social considérable qui mine la réputation de l’université auprès du public. Il faut donc permettre aux universités de sélectionner dans la plupart, sinon toutes, leurs formations. Il faut le faire aussi pour leur permettre de lutter à armes égales avec les écoles, petites ou grandes.

Créer des genres d’IUT un peu partout

Il faut développer l’enseignement supérieur professionnalisé du type DUT et(ou) les licences dites professionnelles. C’est ce à quoi aspire un large public. Inutile de revenir sur l’absurdité, maintes fois démontrée, qui consiste à inscrire en lettres classiques, en droit ou en géographie, un étudiant qui été refusé en IUT de techniques de gestion. Les directeurs d’IUT sont-ils malthusiens et jaloux de leur privilège de sélection ? Créons alors au sein des universités, ou à côté, des instituts du même genre, qui feront le même genre de travail, sous un nom un peu différent. Cela sera socialement utile ; cela coûtera aussi des ressources substantielles, qui ne pourront bien évidemment pas être investies ailleurs...Mais cela réglera une très grande part du problème de la « sélection-orientation », cela délestera les premiers cycles classiques, dont il faut redresser la dignité.


1C. Réforme de structure : faut-il mettre fin aux dualismes ? Grandes écoles-universités. Grands organismes (recherche) et université.

Examinons enfin les deux exceptions françaises, sous forme de deux dualismes : grandes écoles et universités d’une part ; recherche et enseignement d’autre part.

Dualité des grandes écoles et des universités

De nombreuses personnes veulent mettre fin au dualisme des grandes écoles et universités ; qui crée ou entretient des inégalités soi-disant scandaleuses. C’est une mauvaise idée. La raison première est qu’il n’est pas de bonne politique de détruire ce qui marche à peu près bien (et à plus forte raison ce qui marche très bien) au profit d’une idée d’égalisation dont la réalisation est hasardeuse. L’enseignement supérieur est par nature une machine à fabriquer des inégalités : il produit des futurs riches et distingue des individus en leur décernant un diplôme. Il faut donc avant tout travailler à la réalisation de l’égalité des chances véritables et de ce point de vue, l’enseignement secondaire, le primaire est même la maternelle sont les secteurs où il faut prioritairement faire porter l’effort.

Avec la politique de laisser-faire décrite ci-dessus, les universités les plus ambitieuses pourront commencer à enfin lutter à armes égales avec les écoles ; un objectif de la réforme est bien de leur permettre de restaurer leur dignité aux yeux de toute la société. Cela passe par la possibilité de sélectionner à l’entrée et par celle de prélever des droits d’inscription, qui rétabliront les conditions d’une saine concurrence.

Lorsque les écoles commenceront à voir émerger les concurrents, elles seront forcées de bouger à leur tour. Bien peu, en effet, à l’instar de Sciences Po, ont fait leur révolution. Il se peut que le modèle de la grande école d’ingénieur classique à la française soit déjà sur le déclin : laissons faire, voire, accompagnons discrètement le mouvement, en permettant à la concurrence d’émerger. Ce dualisme-là va se diluer avec le temps : inutile de heurter de front des intérêts conservateurs très puissants.


Dualité enseignement supérieur-recherche

Une plaie française — mais ce n’est pas vécu ainsi par les agents du CNRS, qui y voient un grand avantage, sauf qu’ils sont mal payés et que leurs carrières sont lentes : c’est un triste privilège dans ces conditions de n’avoir pas de cours à donner. Il y aussi la crainte légitime que certaines universités soient incapables de soutenir sérieusement la recherche ; la peur des chercheurs de prendre un risque incontrôlable en cas de changement dans la structure du pouvoir.

On doit pouvoir continuer à réunir les laboratoires et les chercheurs aux établissements d’enseignement supérieur, mais à nouveau, en prenant soin de ne pas détruire ce qui marche à peu près bien (ou très bien parfois) au nom du rêve d’un avenir meilleur (et lâcher la proie pour l’ombre). Il faut donc poursuivre et faire évoluer des formes d’association souples entre universités et labos qui permettent de produire de la bonne recherche.

La question la plus délicate est celle des statuts des personnels. Il faut appliquer aux agents des grands organismes la « clause du grand-père » (les anciens gardent leurs droits acquis) ; mais permettre à tous d’opter pour des formules de rapprochement avec l’université intéressantes pour eux (enseignement contre rémunération) ; cesser de recruter de la manière traditionnelle des chercheurs à vie. Le CNRS devrait poursuivre sa transformation en agence de moyens et cesser complètement de recruter des personnels administratifs ou techniques avec un statut de fonctionnaire.

Passons maintenant à une esquisse de stratégie de changement et de communication.

2. Eléments d’une stratégie de changement et de communication

A peu près tout ce qui est proposé ci-dessus est politiquement sensible. On sait que les groupes syndicaux étudiants peuvent aller assez loin dans la protestation. Cela a laissé des traces dans l’histoire. La prudence peut être exagérée du personnel politique de la droite traditionnelle (le Chirac d’après Noël 86) s’explique sans doute en partie par l’idée que les étudiants peuvent catalyser le mécontentement. Il y a peut-être tout de même des astuces qui permettent de faire passer ces réformes, avec un peu de courage. Nous soumettons ce qui suit à votre jugement.

2A. Crédit et droits d’inscription : faire les choses dans le bon ordre et avec gradualisme

Comment faire passer la pilule de la hausse des droits d’inscription ?

Commencer bien sûr par le crédit : ne pas mettre la charrue avant les bœufs

Il faut certainement commencer par assurer le développement du crédit aux étudiants. Assurer un large accès à un crédit à remboursement contingent pas cher, distribué par les banques —mais aussi à la Poste. Arranger le coup avec les banques et le ministère des finances. Le crédit, sous un plafond, sera un droit pour tout bachelier au moment de sa première inscription dans l’enseignement supérieur. L’objectif affiché est de développer l’autonomie des jeunes.

[Pour la suite, Gary Bobo ayant exigé le retrait de ce poste du site de Médiapart, vous trouverez la suite dans la note 17 du texte du Groupe Jean-Pierre Vernant ou en pdf attaché ci-après.

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