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Parcoursup sera-t-il encore moins performant qu’APB ? - Christian de Moliner, Le Figaro, 8 février 2018

dimanche 11 février 2018

Selon Christian de Moliner, les dysfonctionnements d’APB, la plateforme d’attribution des places dans l’enseignement supérieur, étaient moins graves que les problèmes que risque fort de rencontrer Parcoursup : faute de recul, les établissements auront du mal à évaluer le nombre d’élèves à sélectionner.

Christian de Moliner est professeur agrégé de chaire supérieure en mathématiques et écrivain. Il enseigne en classe préparatoire MPSI au lycée Wallon de Valenciennes.

Un fait important est passé curieusement inaperçu dans les médias. Espérons que ce n’est pas le tropisme des journalistes envers le pouvoir macronien qui est la cause de cette omission. Pierre Mathiot, qui vient de remettre son fameux rapport sur la réforme du baccalauréat, a déclaré le 31 janvier devant la commission du Sénat chargée de l’enseignement que selon lui, il fallait modifier d’urgence le nouveau dispositif Parcoursup sur deux points fondamentaux : décaler le calendrier de ce dispositif et surtout réinstaurer la hiérarchie des vœux.

Le défunt APB jeté à la poubelle parce qu’il dysfonctionnait pour 10 000 étudiants sur 800 000 (soit pour moins de 2 % d’entre eux) était basé sur un double classement : les lycéens hiérarchisaient leurs vœux et les établissements sélectifs classaient ceux qui déposaient une candidature chez eux. La plupart des universités étaient, elles, tenues de recevoir tous les postulants avec pour seule limitation leurs capacités d’accueil. S’il y avait trop d’impétrants par rapport aux places disponibles, on choisissait d’abord selon des critères géographiques et on privilégierait les boursiers. Si malgré tout il y avait encore des ex aequo, on pratiquait un tirage au sort (ce qui était choquant !). Le dysfonctionnement qui a laissé 10 000 étudiants sans affectation ne se produisait que dans deux filières (dites dans le jargon scolaire « en tension ») : en médecine (en région parisienne) et en STAPS. Pour régler ce problème irritant, il aurait suffi que pour les dernières places disponibles on étudie les dossiers et qu’on sélectionne ceux qui semblaient les mieux adaptés à la formation. On a préféré tout changer.

Car un autre problème, que la presse a peu évoqué, est intervenu. Dans APB, un algorithme informatique moulinait les diverses informations et s’efforçait de satisfaire les uns et les autres au mieux. L’année dernière, une guérilla judiciaire a obligé le ministre à le publier (ce qui me semble logique), mais après l’avoir étudié, la CNIL a pris une décision que j’estime absurde. Elle a interdit les logiciels qui délivrent des affectations et dans lesquels aucun humain n’intervient pour corriger d’hypothétiques erreurs (cette mesure est valable pour toutes les administrations, pas seulement dans l’éducation). Si les algorithmes de répartition doivent être connus, si les critères qui les font fonctionner doivent en permanence être analysés pour éviter les dérives, rien ne remplace l’informatique pour délivrer des affectations efficacement et sans passe-droit. On aurait pu contourner l’oukase de la CNIL en adoptant une loi ou en programmant une réunion d’humains qui auraient examiné les résultats donnés par les ordinateurs avant de les valider, mais on a préféré une nouvelle formule au risque d’un accident industriel de grande ampleur. Aura-t-on, en juin 2018, 200 000 étudiants sans aucune affectation ?

Maintenant, chaque postulant émet 10 vœux (en fait un peu plus, car des sous-vœux sont possibles pour une même formation). Chaque établissement étudie le dossier des candidats et peut émettre trois réponses : « oui », « en attente » (refusé) et « oui si » (il faudra suivre pendant une année une formation complémentaire nébuleuse pour pouvoir s’inscrire). On ignore le financement qui sera consacré à cette année de mise à niveau et certains, pour réduire les coûts, parlent de donner des cours de rattrapage par internet, ce qui me semble sans grand intérêt et inefficace.

Instaurer un dispositif pour dissuader les lycéens des filières techniques ou professionnelles de s’aventurer dans des formations peu faites a priori pour eux semble une décision de bon sens. Cependant, il faut être humble. On est parfois surpris par les résultats des étudiants et quelques titulaires de bac pro sont devenus avocats. On peut prévenir, mettre en garde, mais interdire de s’inscrire dans une formation me paraît moralement délicat, alors que l’étudiant que l’on veut brider pourrait (avec beaucoup de difficultés) réussir malgré tout dans la voie qu’il désire par-dessus tout.

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