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Dossier sur l’information concernant un blessé lors de l’évacuation de Tolbiac - Reporterre, Libération, 20-24 avril 2018

mardi 24 avril 2018, par Victoria Serge

L’évacuation de la faculté de Tolbiac, vendredi dernier au matin, a engendré une grande confusion. Des témoins affirmaient qu’un homme avait été gravement blessé. Les autorités démentaient.

** Tolbiac : le point sur l’affaire, Reporterre, 24 avril

Disons-le tout net : après trois jours d’enquête, les témoignages décrivant comment la police aurait causé un blessé grave lors de l’évacuation de la faculté de Tolbiac, vendredi 20 avril, se révèlent fallacieux.
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L’opération, menée par des CRS et des membres en civil des brigades anticriminalité (BAC), se déroule le vendredi 20 avril, à partir de 5 h du matin : un communiqué rapidement publié par la préfecture de police assure qu’« à 6 heures, plus aucun étudiant ne se trouvait dans les locaux. L’évacuation, qui a concerné environ 100 personnes, s’est déroulée dans le calme et sans aucun incident ».

« Calme » ? Le terme indigne les occupants. Une grande partie d’entre eux se regroupent devant la faculté, rue de Tolbiac. Ils sont rejoints par de nombreux soutiens, et vont rester toute la matinée et une partie de l’après-midi, dans une protestation animée. Des journalistes viennent, à l’invitation de la présidence de l’université, constater les traces laissées par l’occupation, tandis que d’autres interrogent les occupants sur ce qui s’est passé. C’est notamment le cas d’un journaliste de Reporterre, qui connait bien le terrain pour y être venu plusieurs fois durant l’occupation. Il recueille des témoignages des occupants, qui sont dans un état de choc et d’agitation. Les paroles, à l’inverse du communiqué de la préfecture, font état de brutalités, de gazages, d’injures, de quelques blessures.

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** Blessé grave à Tolbiac : un témoin avoue avoir menti, le site « Reporterre » rétropédale, Libération, 23 avril

** Témoignages d’étudiants

** Trois témoins racontent comment l’occupant de Tolbiac a été blessé à la tête - Maxime Lerolle, Reporterre, 21 avril 2018

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Les faits se déroulent aux alentours de 5h vendredi 20 avril, à la faculté de Tolbiac, occupée par le mouvement étudiant. La police intervient pour en déloger les occupants. Deux témoins directs de la scène rapportent les détails à Reporterre. Un petit groupe d’occupants – dont les témoins, des SDF qui participaient activement à l’occupation depuis une dizaine de jours – tente de fuir la police en s’échappant par l’arrière du bâtiment, via les terrasses, qu’une échelle relie à une rue adjacente, la rue Baudricourt. Des policiers de la Brigade anti criminalité (BAC) leur donnent la chasse. Tous les occupants parviennent à descendre dans la rue, sauf un. Au moment où ce dernier allait descendre, un agent de la BAC lui agrippe une jambe. L’occupant, déséquilibré, bascule tête en avant et s’écrase au moins trois mètres plus bas.

Les deux témoins ont vu le geste du policier et la chute du fuyard. Un troisième témoin confirme à Reporterre leur description du corps, qu’il a vu à terre. Le blessé, tombé sur le visage, a du sang qui sort par la bouche, le nez et les oreilles. Les témoins tentent de le réanimer, en vain. L’homme est dans un état d’inconscience. L’un des témoins appelle aussitôt les pompiers, qui arrivent sur les lieux trente minutes plus tard et emportent le jeune homme.

Peu après, la police barre l’accès à la rue Baudricourt, lieu de la chute. À sept heures, les agents du nettoyage municipaux entrent dans la rue. Un des deux témoins directs les voit effacer les traces de sang au sol. Or, rappelle l’avocat Me Raphaël Kempf, citant l’article 434-4 du Code pénal : «  est puni de trois ans d’emprisonnement (...) le fait, en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité : De modifier l’état des lieux d’un crime ou d’un délit soit par l’altération, la falsification ou l’effacement des traces ou indices  ». Pourtant, la préfecture de police continue à nier les faits.

Nul ne sait précisément où se trouve samedi matin le jeune homme, ni qui il est. Des occupants de Tolbiac rapportent l’avoir vu lors de la première semaine d’occupation, avant son retour pour la nuit du 19 au 20 avril. Quant à son lieu d’hospitalisation, le flou demeure « total », aux dires du syndicat Sud Santé Sociaux vendredi après-midi. Après de premières nouvelles évoquant l’hôpital Cochin dans le XIVe arrondissement, il se pourrait que le blessé se trouve à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre.

Quoi qu’il en soit, les ex-occupants de Tolbiac vont prochainement effectuer une déposition judiciaire, en s’appuyant sur les déclarations d’un témoin direct (l’autre craignant des représailles de la police) et du témoin qui a vu le corps à terre.

La préfecture de police a quant à elle publié un communiqué dans l’après-midi du 20 avril assurant « qu’aucun blessé grave qui puisse être en lien avec cette opération d’évacuation n’a été hospitalisé dans les services de réanimation tant médicale que chirurgicale ou neurochirurgicale ».

Cependant, dans un communiqué publié samedi 21 avril, le syndicat Sud Santé écrit : « De source hospitalière, nous savons qu’un patient a été proposé à la grande garde de neurochirurgie mais refusé parce que ne relevant pas de la chirurgie, et transféré dans un autre établissement. »

Le site Paris Luttes indique de son côté qu’un rassemblement se tiendra devant l’hôpital Cochin samedi 21 avril à 14h « pour obtenir la vérité de la part des services hospitaliers  ».


Vendredi soir, à 18h, a également lieu un rassemblement devant le site de Tolbiac, barré par un cordon de CRS. Les organisateurs ont dénombré entre 1.200 et 1.500 personnes, qui clamaient, entre autres slogans : « Police partout, justice nulle part !  » Aux alentours de 19h15, entre 500 et 600 personnes sont partis en manifestation sauvage, en direction de l’avenue d’Ivry et la porte d’Italie, où ils ont bloqué un temps une partie du périphérique. La police a dispersé la manifestation entre la porte de Choisy et Ivry-sur-Seine. Toutefois, une partie des manifestants a rejoint le site de Censier, encore occupé par les étudiants, pour une AG inter-facs nocturne.


*** Un occupant a été grièvement blessé lors de l’évacuation très violente de Tolbiac par la police - Maxime Lerolle, Reporterre, 20 avril 2018

Lire le reportage fait à Tolbiac sur Reporterre

De nouvelles têtes ont investi Tolbiac. En lieu et place des habituels occupants, des CRS paradent à l’intérieur de l’enceinte, arrachant fresques, banderoles et autres traces tangibles de l’occupation qui s’y tenait depuis le 26 mars. À l’entrée du site de Paris-1, on ne trouve plus la chaleureuse porte de carton qui accueillait visiteurs de passage, militants et occupants, mais une dizaine de camions de police qui barrent complètement le trottoir.

De l’autre côté de la rue, encore abasourdis par leur évacuation violente au petit matin, une vingtaine d’occupants font cercle, assis à même le sol, entourés par quelques dizaines de sympathisants, curieux et habitants du quartier. Certains terminent leur nuit, brutalement interrompue, dans des sacs de couchage. D’autres profitent de la solidarité des riverains, qui les ravitaillent en boissons et nourriture.

Parmi les occupants, se trouve Lucas*, déjà rencontré quelques jours plus tôt. Les yeux mangés par le manque de sommeil, cet occupant de la première heure donne une autre version des faits que celle de la préfecture : « À cinq heures du matin, les guetteurs nous ont averti de l’arrivée de la police. Il y avait 300 CRS. Ceux à l’extérieur portaient des fusils d’assaut. Ceux à l’intérieur, des tronçonneuses, des matraques et des gazeuses. Ils ont tout défoncé, et maintenant, ils nous font porter le chapeau pour les violences qu’ils ont commises. »

Adam*, qui participait à une ronde dans les couloirs ce soir-là, confirme les dégradations matérielles : « Quand on a entendu la police débarquer, on n’a pas eu le temps de faire grand-chose. On a cherché à fuir avec cinq autres gars, mais on s’est retrouvé coincés dans le sas des ascenseurs, derrière une porte blindée. L’un de nous connaissait le code des ascenseurs, alors on a essayé de monter le plus haut possible, vu que l’électricité était coupée. On s’est réfugié au quatrième étage, et on a attendu les flics. On les a très clairement entendus tout détruire, y compris les portes, lorsqu’ils montaient nous chercher. »

Mais la violence ne s’arrête pas qu’aux objets. Lucas* évoque « trois-quatre blessés, dont un grave », chez les occupants, ainsi qu’autant d’interpellations pour « outrage et rébellion ». Des chiffres qui ne donnent pas la mesure du degré de violence atteint dans la nuit.

Marion*, assise aux côtés de Lucas* et qui « formait aux premiers secours », raconte le traitement d’un des blessés qu’elle soignait par les forces de l’ordre : « Une personne blessée à la cheville avait fait un malaise. Je l’avais aussitôt placée en PLS [Position Latérale de Sécurité] et avec plusieurs camarades, on la protégeait de nos corps. Lorsque les flics sont arrivés avec leurs boucliers, je leur ai crié : “N’avancez pas ! On a un blessé !” Ils ont continué à avancer. Ils m’ont bousculé, m’ont fait tomber sur le blessé, l’ont piétiné. Je leur demandais d’arrêter, ils continuaient. Certains souriaient, j’en ai même vu filmer la scène. C’était le summum de la barbarie. »

Sagaro*, occupant depuis dix jours, a lui aussi assisté à la scène, à laquelle il rajoute un détail crucial : le blessé était Noir. Pour Sagaro*, lui-même d’origine berbère, la police ciblait principalement les personnes racisées. Il mime les gestes des CRS : « Quand t’es français, ils te disent : “Avancez, avancez”, et te laissent tranquilles. Quand t’es pas français, ils profitent que tu passes devant eux pour te mettre un poing dans le ventre. Ça fait putain de mal… »

Sagaro* a néanmoins réussi à fuir par l’arrière, en compagnie de quelques autres occupants. L’un d’eux n’a pas eu sa chance.

Désiré*, présent depuis neuf jours, rapporte les détails de l’accident : « On s’échappait par les toits, à l’arrière du bâtiment, pour descendre dans une petite rue à côté. Les gars de la BAC [Brigade anti-criminalité] étaient à nos trousses. Un camarade a voulu enjamber le parapet pour se laisser glisser le long du mur. Un baqueux lui a chopé la cheville. Ç’a l’a déséquilibré, et le camarade est tombé du haut du toit, en plein sur le nez. On a voulu le réanimer. Il ne bougeait pas. Du sang sortait de ses oreilles… »

Désiré* et ses camarades ont aussitôt appelé les pompiers, « en courant ». Emmené par les pompiers, dans un état d’inconscience, on ne sait pas dans quel hôpital il se trouve. Quoi qu’il en soit, la rue où a eu lieu sa chute demeure barrée par la police. Désiré*, qui est allé y jeter un coup d’œil, revient, fulminant de rage : «  Les enfoirés ! Ils ont effacé toutes les traces de sang !  »

* Les prénoms ont été modifiés

10h00 « L’opération a été menée avec beaucoup de finesse  », explique Florian Michel, directeur du centre Tolbiac, rapporte le journaliste Romain Lescurieux.

Vers 13h30 - La Préfecture de police affirme « qu’il n’y a eu aucun blessé lors de l’opération d’évacuation de ce matin  »

16h40 - Selon les témoignages recueillis par Reporterre, la police a effacé les traces de sang. Or, rappelle l’avocat Me Raphaël Kempf, citant l’article 434-4 du Code pénal : « Est puni de trois ans d’emprisonnement (...) le fait, en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité : De modifier l’état des lieux d’un crime ou d’un délit soit par l’altération, la falsification ou l’effacement des traces ou indices ».

17h00 - Selon un.e membre de la Commune libre de Tolbiac et ami.e de l’étudiant blessé, contacté.e par Reporterre, son camarade a été transporté à l’hôpital Cochin, à Paris. Le personnel hospitalier lui a confirmé l’arrivée d’un étudiant de Tolbiac, inconscient. L’étudiant, inscrit à Tolbiac, est âgé d’une vingtaine d’années. Il est membre de la Commune libre.

17h50 - Le syndicat Sud Santé Sociaux, en recherche d’informations auprès des établissements hospitaliers, indique à Reporterre n’avoir récolté aucune confirmation concernant l’admission d’un étudiant gravement blessé, à Cochin ou ailleurs, et évoque « un flou total ».

19h20 - Reporterre confirme ses informations et a recueilli d’autres témoignages. Récit détaillé demain samedi matin.