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Des individus face aux interventions policières et à Parcoursup s’expliquent, se révoltent, se lancent - mai 2018

vendredi 11 mai 2018, par Mariannick

• Paul Angrand, docteur de l’Université de Lorraine et ancien représentant des doctorants au CRPG et Rémi Delon, docteur de l’Université de Lorraine
• Sandrine Vieillard, Professeure de Psychologie Cognitive à l’UFR SPSE, Université Paris Nanterre
• Kevin Vacher, doctorant en science politique, Université Paris 8 / CRESPPA-CSU : ATER en science politique, Université Nice Sophia Antipolis
• Armelle Andro, Professeure à l’IDUP Université de Paris1 Panthéon-Sorbonne, chercheuse associée à l’INED
• Alexis Blanchet, MCF en cinéma, université de Paris 3
•Anna Colin Lebedev, Mcf en sciences politiques à Nanterre

[rouge]« Au vu des derniers évènements, nous, récent·e·s docteur·e·s de l’Université de Lorraine, décidons de boycotter la remise des diplômes de thèse et le Prix de thèse de l’Université de Lorraine »[/rouge]

À l’attention du Président de l’Université de Lorraine et des Présidents des Ecoles Doctorales.

Les candidatures pour le Prix de thèse de l’Université de Lorraine sont actuellement ouvertes, pour récompenser les meilleures thèses soutenues entre le 1er avril 2017 et le 31 mars 2018. Cela servira à souligner le travail effectué par les docteur·e·s durant leurs années de doctorat mais aussi à montrer la place de l’Université de Lorraine dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche, et plus généralement, dans la recherche française et européenne. Les noms lauréat·e·s sélectionné·e·s par les écoles doctorales seront ensuite transmis à l’Université, avec les noms de l’ensemble des candidat·e·s, afin d’être validés par le Conseil Scientifique du 26 juin 2018.

Au vu des derniers évènements, nous, récent·e·s docteur·e·s de l’Université de Lorraine, décidons de boycotter la remise des diplômes de thèse et le Prix de thèse de l’Université de Lorraine, et ce, pour dénoncer trois points :

La répression de la contestation de la loi ORE en cours par le Président de l’Université de Lorraine. Ce dernier a par deux fois envoyé les forces de l’ordre en réponse aux étudiant·e·s pacifiques mobilisé·e·s contre cette loi sur le Campus Lettres et Sciences Humaines. La deuxième intervention a été très musclée avec répression violente des étudiant·e·s : traînage par les cheveux sur le sol, clés de bras et coups de matraques. Durant cette répression, les locaux des syndicats étudiants et d’associations ont été vidés et barricadés, conduisant à la perte de nombreuses archives. Le président a ordonné la tenue des examens sous contrôle de vigiles et de CRS, plaçant l’établissement sous caméra de surveillance. C’est dans ce climat de terreur que les étudiant·e·s sont aujourd’hui invité·e·s à passer leurs examens.

Depuis plusieurs années, l’Université de Lorraine pratique une politique de gel des postes. Cela nous semble problématique pour au moins deux raisons. D’abord parce qu’elle participe, à sa manière, à faire de la sélection à l’université la solution aux problèmes rencontrés par les filières en tension. En effet, si les capacités d’accueil et le nombre d’enseignants-chercheurs de ces filières ne peuvent pas suivre, pour des questions politiques, l’augmentation du nombre des étudiants prétendant à l’inscription, alors il devient évident que c’est ce dernier nombre qui pose problème. Il apparaît alors, pour certains, que c’est à lui de baisser et de s’adapter aux moyens dont dispose l’université. Le principe de sélection inscrit au cœur de la loi ORE est donc rendu acceptable par des conditions d’accueil limitées sciemment entretenues par les politiques de recrutements actuelles. Deuxièmement, comment peut-on, en même temps, féliciter des étudiants pour le travail fourni durant leur doctorat, s’enorgueillir de leur présence à l’Université de Lorraine et, dans le même temps, rendre la perspective de carrière universitaire toujours plus improbable ? La remise des diplômes de doctorats, réalisée avec faste, ainsi que le Prix de thèse, participent à une hypocrisie et à une récupération du travail des docteurs par l’équipe dirigeante : on en reconnaît en public le mérite pour, dans les conseils et par une politique d’austérité, en exclure un maximum de la voie professionnelle universitaire. Quand on connaît la précarité que rencontrent nombre de doctorants et de docteurs, cette attitude tient davantage du mépris que du soutien sincère.

La stratégie doctorale adoptée par l’Université de Lorraine consistant à faire payer toujours plus les doctorant·e·s. La date limite de soutenance de thèse sans paiement des droits d’inscription sera abaissée au 1er novembre en 2019 et 1er octobre à partir de 2020 au lieu du 1er janvier comme c’est le cas actuellement. Sous couvert de “légaliser l’Université de Lorraine”, cette mesure n’aura comme conséquence que de faire payer une quatrième année (ou dans le meilleur des cas une demi-année) d’inscription des doctorant·e·s à l’Université de Lorraine (qui affiche pourtant un bénéfice de 6.7 millions d’euros sur l’année 2017) dont le statut est déjà précaire. La vice-présidente à la stratégie doctorale est même allée jusqu’à envoyer un e-mail aux Présidents des Ecoles Doctorales et des laboratoires leur indiquant le passage de cette mesure au Conseil d’Administration alors que les calendriers pédagogiques des années correspondantes n’ont pas encore été votés. C’est dire l’intérêt que porte l’Université de Lorraine à la démocratie.

L’Université de Lorraine n’a rien d’une université démocratique ces derniers temps. Nous pensons que cette action de contestation contre l’Université de Lorraine et son Président est importante vis-à-vis de la sauvegarde de l’université et de ses valeurs.

C’est pourquoi nous refusons de participer à la remise des diplômes de thèse ainsi qu’au Prix de thèse de l’Université de Lorraine. Ce choix est compliqué pour certains d’entre nous, qui faisons carrière dans la recherche et qui voulons de la reconnaissance pour ce travail pour lequel nous nous sommes investis pendant plusieurs années. Ce prix serait un véritable tremplin et une récompense. Mais il ne faut pas oublier que si l’université avait été un lieu totalitaire ou tout simplement soumis à la loi ORE à l’époque où nous commencions nos études, certains d’entre nous n’auraient tout simplement pas eu l’occasion de postuler sur ce prix car non admis à l’université.

Nous demandons :
- Une inflexion de la politique de l’Université de Lorraine envers la contestation de la loi ORE, permettant aux étudiant·e·s de s’exprimer, selon leurs libertés fondamentales.
- Le retrait des systèmes de surveillance et de contrôle (vigiles et caméras de surveillance).
- Aucune sanction pour les 7 étudiants qui doivent comparaître devant le tribunal.
- La fin de la politique de gel des postes et une politique volontariste de recrutement permettant de répondre aux besoins des filières en tension.
- Le rétablissement du calendrier pédagogique actuel pour les années futures.

Fait à Nancy
Le 11 Mai 2018

Liste des premiers signataires

Paul Angrand, docteur de l’Université de Lorraine et ancien représentant des doctorants au CRPG
Rémi Delon, docteur de l’Université de Lorraine
Signatures supplémentaires à ajouter ici.


[rouge]« Je n’ai cependant pas complètement perdu l’espoir que nous décidions massivement de cesser de nous cacher derrière nos tâches quotidiennes qui font tourner la grosse machine »[/rouge]

Dans une lettre adressée au directeur de l’UFR SHS de l’Université de Franche Comté (UFC) à propos des mesures sécuritaires prises par l’établissement (recrutement de vigiles filtrant l’entrée de l’université des Lettres pour assurer le bon déroulement des examens) en réponse au mouvement contre la loi ORE, Jean-Marie Viprey, professeur émérite en sciences du langage soulignait : [...] de telles mesures (filtrage, fermeture de services...) s’inscrivent dans un ensemble qui va sans discontinuité des fermetures "préventives" jusqu’à l’appel aux forces de police sur les campus et aux violences inévitables qui en découlent, incluse la privatisation de la surveillance. Elles trahissent un état de délabrement avancé du climat universitaire, et une perte complète des repères qui scellent notre vivre et travailler ensemble. Cela portait un nom bien oublié, la collégialité. [...]

Nos collègues ont été détournés, par la caporalisation voulue par le Ministère, par la morgue avec laquelle Sarkozy et Pécresse ont imposé leurs diktats en 2009 contre l’avis de l’écrasante majorité d’entre nous, toutes tendances confondues, de toute confiance dans la possibilité d’exprimer et faire valoir leur détresse face au pourrissement du système, à son étranglement. Faire semblant de croire, sous prétexte qu’il n’y a pas de mobilisation collective de protestation, que la communauté et les individus ne sont pas majoritairement en souffrance et disponibles pour une révolte est un déni de réalité indigne de personnes investies de responsabilités.

Dans sa lettre à la présidence de Paris 3 Sorbonne, Alexis Blanchet déclarait : La loi ORE et le dispositif ParcourSup ont fini d’épuiser ma bonne volonté et ma conscience professionnelle. [...]

J’assiste depuis 14 ans maintenant (et depuis 21 ans si je compte mes années d’études universitaires) à une destruction programmée, lente mais résolue du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. [...]J’arrête parce que je décide de ne plus participer en petit soldat zélé de la gestion administrative à cette mécanique mortifère de destruction d’un des plus beaux atouts de notre nation.

Dans nos discussions récurrentes, Jean-Louis Millot professeur en neurosciences, décédé il y a peu, me rappelait souvent qu’il nous fallait avoir une bien piètre estime de nos propres fonctions pour accepter un tel délabrement de nos conditions d’exercice.

Je me reconnais dans chacune de ces déclarations et me demande quotidiennement, avec encore plus d’intensité ces derniers mois : Est-ce cela ? Sommes nous en train de perdre toute considération pour nos missions d’enseignement et de recherche ? Avons-nous perdu toute confiance dans notre légitimité à faire valoir notre désir d’inverser le cours des choses face au pourrissement du système ? Pourquoi, alors que les universitaires n’ont jamais été aussi nombreux à se dire dans l’intimité des couloirs de la fac tout le mal qu’ils avaient à bien faire leur travail et à y puiser du sens, observe-t-on cette atonie ?

La souffrance morale et intellectuelle de celles et ceux qui mobilisent une énergie toujours plus grande pour honorer leurs missions de service public dans un contexte toujours plus délétère est bien réelle. Comme le rappelle justement Jean-Marie Viprey ParcourSup est une rustine ruineuse sur un système en perdition, et un coup de boutoir de plus contre l’Université de la loi Faure.

Ce coup de boutoir de plus, je ne peux le supporter sans broncher. Je ne peux l’encaisser sans être face à la petite musique d’une conscience qui me dit Hier c’était la LRU, aujourd’hui c’est ParcourSup, demain ce sera l’augmentation des droits d’inscription, après demain un désenchantement total qui détournera plusieurs d’entre nous d’une institution à laquelle ils ne croiront définitivement plus.

Jusqu’à récemment, je nourrissais l’idée d’une belle collégialité à l’œuvre au sein de laquelle un élan, une profonde émulation intellectuelle émergerait pour penser la rénovation de notre système universitaire. Aujourd’hui, je crains que ma communauté soit prête à se faire laminer. Je n’ai cependant pas complètement perdu l’espoir que nous décidions massivement de cesser de nous cacher derrière nos tâches quotidiennes qui font tourner la grosse machine université vers des horizons dont nous faisons déjà l’expérience du caractère désastreux (voir lettre d’Alexis Blanchet) pour appuyer avec force la tenue d’états généraux de l’enseignement supérieur et de la recherche au sein de l’université.

Sandrine Vieillard, Professeure de Psychologie Cognitive à l’UFR SPSE, Université Paris Nanterre


[rouge]Dis-moi, c’est quoi une grève (dans la recherche et à l’université) ?[/rouge]

4 mai 2018, Kevin Vacher Blog de Mediapart : Un regard de côté.

PDF - 74.7 ko

À lire dans le pdf ci-contre

1. "Plutôt que de faire grève, allons faire un flash mob !
2. "Nous ne nous faisons du mal qu’à nous-même et aux étudiant·e·s"
3. "Mais bien sûr que je suis en grève ! mais je suis resté chez moi finir mon article"
4. "Vu ma situation de précarité, c’est compliqué de faire grève"


[rouge]« Je me mets en grève et je tiens à vous dire en deux mots pourquoi. »[/rouge]

Armelle Andro, 1er mai 2018
Professeure à l’IDUP Université de Paris1 Panthéon-Sorbonne
Chercheuse associée à l’INED

Je me mets en grève et je tiens à vous dire en deux mots pourquoi.
J’enseigne depuis 17 ans comme EC titulaire à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Comme nous tou.te.s : 
Je me souviens de 2003, je me souviens de 2007 et de 2008, je me souviens de 2009.

Je me souviens de ces mouvements où nous avons tenté de défendre à la fois notre mission et nos conditions de travail.

Je me souviens de notre énorme bonne foi et de notre mini mauvaise foi.
Je me souviens de nous être avoué.e.s vaincu.e.s et finalement d’avoir accepté, pour la plupart d’entre nous, le deal d’une université enfin rénovée que l’on nous avait promis.

Je me souviens avoir joué le jeu à la fois par défi (1/3), par curiosité (1/3) et par ambition (1/3). 

Je me souviens avoir monté mille projets ANR et d’en avoir mené à bien certains grâce à des financements conséquents.

Je me souviens m’être impliqué dans les PIA1, PIA2, PIA3 et d’en avoir mené à bien certains grâce à des financements conséquents.

Je me souviens m’être lancé dans des projets internationaux et européens et d’en avoir mené à bien certains grâce à des financements conséquents.

Je me souviens avoir passé des mois à travailler sur des articles que j’ai réussi souvent à publier dans les revues reconnues.
Je me souviens avoir presque réussi à tenir la dragée haute à mes collègues chercheur.e.s et avoir été élue professeure parce que j’avais consciencieusement coché toutes ces cases.

Je me souviens avoir ramé dans des plans Campus, dans des COMUE, dans des EUR et d’en avoir mené à bien certains grâce à des financements conséquents.
Je me souviens avoir participé à la rédaction de nouveaux contrats, à la création de nouveaux diplômes, de nouvelles maquettes, à la mise en œuvre de l’apprentissage et la création de parcours doctoraux.
Je me souviens avoir joué le jeu des agences d’évaluation successives et d’avoir passé des heures à mettre en scène toutes ces activités dont je suis plutôt fière.

Je me souviens de m’être impliquée continuellement dans mille tâches administratives pour faire tourner les diplômes, les labos, les conseils, les jurys, les revues, les écoles d’été, les comités de sélection, et le reste.

Toutes ces charges je les ai acceptées mais à une seule condition :
Que je continue à pouvoir accueillir dans le premier cycle dans lequel j’enseigne tou.te.s les gamin.e.s qui, comme moi à leur âge, sont à la fois ébloui.e.s et perdu.e.s en arrivant à l’université.

Que je continue à pouvoir leur dire qu’ils et elles ont toute leur chance et qu’ils et elles ne doivent pas s’inquiéter, ils et elles vont finir par trouver leur voie/voix.

Que je continue à faire un travail de service public et à accueillir un grand nombre d’étudiant.e.s dans mes amphis et dans mes TD.

Que je continue à pouvoir faire en sorte que la majorité d’entre elles et eux réussissent parce qu’avec d’autres, nous les avons accompagné.e.s.

Que je continue d’affronter le casse tête de ce public hétérogène, curieux, énervant, intelligent et intrigué.

Que je continue d’être dans ce chaudron où des capitaux sociaux, économiques, culturels différents se rencontrent, se confrontent et se mélangent.
Je suis désolée mais ce n’est vraiment pas négociable. C’est une ligne rouge qui est franchie.
Cette fois, je refuse d’avancer plus loin : Je suis prête à tous les projets et toutes les simagrées que vous voulez pour grimper dans les classements internationaux mais par contre, vous ne touchez pas à mes étudiant.e.s !
Je ne veux pas de cette réforme et je me mets en grève tant que le ministère ne l’aura pas compris. Je vous appelle à faire de même.


[rouge]"J’arrête car nous crevons de ne pas arrêter"[/rouge]

Lettre d’Alexis Blanchet, MCF à la présidence de Paris 3, 30 avril 2018

Monsieur le Président,
Monsieur le Président du Conseil Académique, cher Laurent,
Madame la Vice-Présidente à la CFVU, chère Sandrine
Cher Jamil, chère Kira,
Cher Laurent, chère Barbara,
Chers et chères collègues du département CAV,

A la suite de l’intervention policière de cette nuit sur le site de Censier de l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, je me déclare en grève administrative et pédagogique illimitée.
Je n’assure donc plus dès à présent mes charges administratives (direction du master CAV) et pédagogiques (organisation du partiel de 257 inscrits en V4MA03 et suivi des 14 étudiants de master sous direction, organisation des sessions de rattrapage). Je me concentre dès lors sur mes activités de recherche totalement interrompues depuis 4 ans, c’est-à-dire depuis ma prise de fonction à la tête du master CAV (cf. CV en ligne à jour).
A cet instant, je ne réponds ni aux mails, ni au téléphone, je n’organise pas la session de recrutement 2018-2019 en master CAV (eCandidat et Campus France), je n’organise pas le calendrier de soutenance des M2 (1ère session) et M1 (session unique), j’arrête la poursuite du travail sur les maquettes 2019-2023, je ne convoque pas le conseil de perfectionnement 2018, je ne convoque pas les jurys d’examen de master dont j’assure la présidence, je ne communique pas à l’école doctorale le classement des étudiants de M2 en vue de l’obtention d’une allocation de recherche. Enfin, je ne participerai de quelque manière que ce soit à la sélection des étudiants de L1 pour la rentrée 2018-2019 dans notre département.
J’arrête car nous crevons de ne pas arrêter.
La loi ORE et le dispositif ParcourSup ont fini d’épuiser ma bonne volonté et ma conscience professionnelle. L’intervention policière de cette nuit est le geste de trop. J’assiste depuis 14 ans maintenant (et depuis 21 ans si je compte mes années d’études universitaires) à une destruction programmée, lente mais résolue du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.

La question centrale, essentielle, est celle du projet d’université que nous voulons défendre.
Pour ma part, je ne veux plus
 voir mon temps d’enseignement et de recherche totalement submergé par des charges administratives toujours augmentées et étouffantes,
 devoir prendre sur mes semaines de vacances pour me libérer du vrai temps de recherche, dans la durée, entre le 1er et le 25 août,
 ne pas voir mes enfants grandir,
 voir notre secrétaire administrative du master, dont je salue le professionnalisme et le souci constant du service aux usagers, suppléer l’absence de personnels au secrétariat de la L1/L2 et de la L3 CAV. Avec 320 étudiant•e•s inscrit•e•s en master CAV, la gestion des recrutements d’avril à septembre, la gestion des régularisations tout au long de l’année, la tâche qui lui incombe justifierait amplement un•e secrétaire adjoint•e,
 voir ma santé comme celle des collègues se dégrader : je n’ai jamais observé tant d’arrêts maladie, de burn-out, de surmenages, de nécessité à "lever le pied" que ces sept dernières années à Paris 3,
 travailler dans des lieux où la maintenance des équipements d’enseignement (vidéo projecteurs, micros) n’est pas assurée,
 perdre du temps et de l’énergie à combattre des projets coûteux et éloignés de nos éco-systèmes locaux à échelle humaine, comme celui de la fusion de triste mémoire,
 constater que nos expressions démocratiques (consultation des composantes, motions, motions votées en CAC ou CFVU, messages d’alerte de nos responsables de composantes...) ne sont jamais prises en compte par nos instances dirigeantes élues pourtant pour nous représenter,
J’arrête parce le système ne fonctionne que sur le souci profond du service public des agents que nous sommes toutes et tous, personnel administratif et enseignant.

Ma demande est donc simple, basique :
 une réaffirmation totale d’un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche,
 une refondation immédiate de l’université qui passe par un refinancement complet de ses structures à hauteur des enjeux,
 une réaffirmation des missions premières - les seules - des enseignants-chercheurs, et particulièrement des MCF : enseignement et recherche,
 une revalorisation de nos salaires passant par un dégel et une ré-évaluation du point d’indice.
J’arrête parce que je décide de ne plus participer en petit soldat zélé de la gestion administrative à cette mécanique mortifère de destruction d’un des plus beaux atouts de notre nation.
Respectueusement,
Alexis Blanchet
Maître de conférences (71e section du CNU)
Directeur du master Cinéma et Audiovisuel
Département Cinéma et Audiovisuel
Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel (Ircav)
Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3
Centre Censier
13, rue de Santeuil - Bureau 213 - 75005 PARIS
Twitter : @AlexisBlanchet


 [rouge]Parcoursup et la sélection des étudiants, vus de mon amphi.[/rouge] 

Anna Colin Lebedev, 16 avril 2018

Si vous lisez ce post parce qu’un ami l’a partagé, je parle ici à titre personnel, en tant que maîtresse de conférences en science politique à l’université Paris Nanterre, actuellement bloquée par les protestations étudiantes.
Pas de slogans dans ce texte, et beaucoup de détails techniques… ceux-là mêmes dans lesquels le diable vient se nicher.

Quelques banalités pour commencer. 

La sélection à l’université existe, bien évidemment, et elle est drastique. Elle est visible en partie dans ce taux d’échec en première année de licence, avec lequel on nous bassine (et qui est cependant une réalité plus complexe que ce que suggèrent les chiffres).
Côté amphi, je la vois aussi. Il est évident qu’une partie de nos étudiants ne sont pas armés pour suivre le cursus dans lequel ils sont inscrits. C’est clair dans les copies d’examen, c’est clair aussi dans leur regard en cours où parfois je vois clairement que non, aucune information ne passe, rien ne leur parle dans ce que je dis. L’absentéisme est aussi une réalité forte : ceux qui ne prévoient pas de venir, ceux qui abandonnent en cours d’année.
Mais il y en a d’autres, et leur nombre n’est pas négligeable, pour qui la fac est une révélation. Ils ont glandé au lycée ; ils ont été mal orientés ; ils se sont ennuyés ; il n’y avait pas de famille autour d’eux pour les soutenir ou de milieu social les incitant à s’investir dans les études. Ils ont eu leur bac ric-rac. Tout d’un coup, une autre manière de voir le monde intellectuel - et le monde tout court - s’ouvre à eux, ils vont trimer pour y arriver, mais ils y arriveront et certains feront de super professionnels ou encore (la crème de la crème ;) ) d’excellents enseignants-chercheurs à la sortie.
Le pari de notre système universitaire porte sur ces gens-là : ceux qui ne semblaient pas avoir le bon profil et à qui on donne leur chance, et beaucoup d’enseignants chercheurs sont attachés à cette mission. 
Ceux que le système laisse sur le carreau, ce sont les plus fragiles : incapables de suivre, placés à la fac comme dans un sas entre l’école secondaire et la précarité. Nous échouons tous collectivement à leur offrir une place dans la société, avec toutes les conséquences que cela entraine. Je dois dire que dans une université comme Nanterre qui a le social dans son ADN, beaucoup de collègues considèrent que leur mission de service public consiste aussi à offrir à ceux-là la meilleure formation possible. Je suis sensible à cette idée. Mais, clairement, l’université aujourd’hui n’en a pas les moyens matériels et humains. Alors nous les regardons échouer, avec tristesse, mais aussi (soyons sincères) avec un certain soulagement, car chaque prof préfère avoir devant lui une salle de cours où tous les étudiants comprennent de quoi il parle.
Grosso modo, deux positions se dégagent parmi les enseignants-chercheurs, mais les deux ne sont pas incompatibles : ceux qui disent qu’on ne peut pas continuer comme ça et qu’il faut arrêter d’accepter des étudiants visiblement mal orientés ; et ceux qui disent qu’on ne peut pas continuer comme ça et qu’il faut augmenter les moyens des universités pour qu’elles puissent remplir correctement leur mission d’intérêt général.


Et Parcoursup dans tout ça ? J’y viens.
Le système APB et son tirage au sort généraient une injustice flagrante. Un étudiant qui a la quasi-certitude d’échouer pouvait être admis, et un étudiant fait pour la filière pouvait être refusé. Force est de constater que Parcoursup génère une autre injustice, moins aléatoire et plus sociale : il va défavoriser ceux qui le sont déjà par ailleurs. Cela ne va pas sauter aux yeux de tout le monde tout de suite ; c’est au fur et à mesure des informations distillées que nous commençons à comprendre ce qu’on nous demande de faire.
Parcoursup commence à arriver dans les facs bien avant que le projet de loi ne soit voté : on nous demande de commencer à le mettre en œuvre en rédigeant les « attendus », descriptifs des compétences qu’un étudiant doit avoir pour réussir dans telle ou telle filière.
Personnellement, les premières descriptions du projet Parcoursup me semblent plutôt intelligentes. On nous dit que tous les étudiants seront admis, mais qu’on demandera aux enseignants d’examiner les dossiers (de manière qualitative, il s’entend) pour dire au candidat « oui » (on te prend) ou « oui si » (on te prend, mais il faudra que tu suives une remise à niveau). 
Nous sommes à ce moment-là divisés. Certains sont radicalement contre l’idée de mettre les étudiants dans des cases et de favoriser l’auto-censure chez ceux qui ne sont pas sûrs d’eux. D’autres s’interrogent sur la mise en œuvre concrète : qui va examiner les centaines, voire des milliers de dossiers ? Quels contours aura cette remise à niveau que nous n’aurons ni le temps, ni les moyens de préparer et de financer ? Nous sommes en février, tout est flou.
Fin février - début mars, on commence à avoir quelques informations sur la mise en œuvre : on nous annonce un logiciel où on pourra rentrer nos critères de sélection. Un logiciel ? On commence à se douter que le traitement des dossiers sera quantitatif. Qui dit quantitatif dit quantifiable, et donc dit notes ou conversion du qualitatif en coefficients. Pas besoin d’être sociologue pour percevoir les injustices potentielles que porte le tout quantitatif, surtout pour décider d’une matière aussi sensible et peu quantifiable que les capacités et la motivation de jeunes gens de dix-huit ans. 
A ce moment-là, beaucoup de départements de science politique vont faire le choix du paramétrage le plus inclusif possible (par exemple, dire oui à tous les bacheliers). 
Si seulement on pouvait faire ça.
Je tiens à le souligner, car c’est important : nous, les enseignants, sommes maintenus pendant longtemps dans le flou le plus total, alors que c’est à nous que reviennent les missions de paramétrage du logiciel et de tri des étudiants. Je n’y vois pas forcément un dessein maléfique du gouvernement, mais plutôt un calendrier intenable qui rend impossible la tenue d’une phase de réflexion ou de test.
En mars, le logiciel Parcoursup est ouvert, pour les étudiants comme pour nous. Et nous découvrons que ce qu’on nous demande de faire, ce n’est pas un tri en deux catégories (oui versus oui si), mais un classement pur et simple des candidats.

Une liste de classement où il ne peut pas y avoir d’ex æquo.
Et comment fabrique-t-on une liste de classement, quand on a 3000 candidatures (c’est ce que nous avons à peu près en science politique à Nanterre, pour une capacité d’accueil de 120 places), et trois collègues préposés à l’examen des dossiers ? Soit vous y allez à la main. A supposer que vous passiez 5 minutes par dossier, c’est 250 heures de travail, soit plus de trente jours de travail à temps plein. Et une garantie de résultats biaisés, car personnellement au bout du 200ème candidat, je vais commencer à perdre toute capacité de discernement.
L’autre option est de laisser faire la machine. Vous lui indiquez quelles notes de lycée prendre en compte (car nous n’avons pas les notes du bac), à quelle matière affecter un coefficient, et hop, la machine tourne, la liste de classement est là et vous pouvez partir en vacances. On oublie les données qualitatives, elles ne peuvent servir qu’à départager des candidats. La lettre de motivation ? Elle départagera ceux que leurs parents ont aidé (les bonnes lettres), et ceux issus de familles qui n’avaient pas ces ressources sociales et intellectuelles (les mauvaises lettres)
En sociologues, nous voyons immédiatement les effets pervers de ce traitement automatique. Le candidat peut être – et sera – discriminé par plusieurs éléments : la notation plus ou moins sévère de ses profs de lycée ; ses défaillances au cours de la scolarité, y compris aussi loin que la seconde ; le milieu social d’origine qui fera qu’il présentera un « bon » ou un « mauvais » projet et lettre ; nos propres biais dans le choix des bonnes matières à prendre en compte. Pour les inscriptions en maths ou en langues, les matières pertinentes à prendre en compte sont assez évidentes (et encore : qui n’a pas foiré une année de langue parce que ça ne se passait pas bien avec le prof d’une matière qu’on aimait pourtant ?). Mais qu’en est-il en sociologie ou en science politique ? Aucune matière ne peut dire a priori si un étudiant réussira ou échouera chez nous.
Une fois de plus, nous n’avons eu aucune possibilité de tester le logiciel et ses effets, ou de réfléchir entre nous sur la bonne manière d’évaluer les dossiers, faute de temps et d’informations. Tout s’est fait dans une telle précipitation qu’on a la quasi-certitude aujourd’hui de mal trier les candidats et de laisser beaucoup de personnes méritantes sur le carreau. A ce jour, je peux l’affirmer : on sélectionnera injustement.
Et les « oui si » ? Les plus fragiles, à qui l’on devait proposer un soutien renforcé ? Plus personne n’en parle aujourd’hui. On nous dira sans doute en juillet, « mais au fait, quel est votre dispositif de remise à niveau des ‘oui si’ ? » Mais l’année universitaire sera terminée, alors les ‘oui si’, on leur donnera une liste de lecture pour l’été et on les laissera échouer à leur guise, comme par le passé. 
Désolée d’avoir été longue et technique. C’est ainsi que la question se pose à nous aujourd’hui : par des détails techniques, par une absence flagrante d’anticipation, de temps de réflexion collective. 
Je ne suis pas une adepte des grandes mobilisations. Venant d’où je viens, je suis sensible à la complexité et aux nuances, car je pense aux vies brisées que peut produire une volonté de changement radical, et aux dégâts que font les grands projets de société nouvelle. 

Mais aujourd’hui, moi, universitaire et membre de la commission d’examen des candidatures de mon département, je ne souhaite pas cautionner Parcoursup, car je ne veux pas que les pouvoirs publics reportent sur nous, les enseignants, la responsabilité d’une sélection injuste et mal faite.