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Parcoursup : « attendus » et inattendu - Tribune de Laurence Sinopoli, Libération, 26 mai 2018

dimanche 27 mai 2018, par Mariannick

Le nouveau système d’entrée dans l’enseignement supérieur devait corriger les défauts de l’ancienne procédure. Il ne fait que les aggraver.

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Alors que le gouvernement faisait voter la loi sur l’Orientation et la réussite des étudiants (ORE), des mobilisations voyaient le jour dans les universités. Elles ont conduit à des blocages. Pour qui voit la chose de loin, l’impression est que la mobilisation bloque la réussite des étudiants. De plus près, en imposant le classement des lycéens par les établissements qu’ils avaient choisis par leurs « vœux », le gouvernement met ces jeunes en rang juste avant les épreuves du bac. Le sens des mots, comme le moral, en prend un coup.

Des attendus inattendus

Après le bug de l’an 2000, des inconscients ont confondu développement durable et progéniture, laquelle est désormais en âge de toquer massivement aux portes des universités, des classes prépas etc. Plutôt que de créer de nouveaux établissements pour garantir la fac pour tous, le gouvernement a dit qu’il suffirait de répartir les élèves autrement. Avant, pour les filières non sélectives, cela dépendait surtout de leur domicile et du classement de leurs vœux par ordre de préférence. Mais même pour les licences non sélectives, les capacités d’accueil définies par les rectorats aidés de plates-formes et de logiciels, limitent le nombre de places. A Ravel, à l’époque du Minitel, a succédé APB (admission post-bac), tué au motif d’une double inhumanité : le logiciel ne garantissait pas un examen individualisé ; lorsque le nombre de candidatures dépassait les capacités d’accueil, le logiciel tirait au sort et sortait des étudiants avant qu’ils ne soient entrés.
Alors est né Parcoursup. Il dit au lycéen : « Tu peux faire 10 vœux mais ne dis pas ta préférence. Les établissements d’enseignement supérieur te diront ce que tu dois préférer. » Alors sont nés les « attendus », les connaissances et les compétences requises pour telle ou telle formation dans le supérieur. Les élèves ont peut-être cru qu’ils allaient pouvoir dire ce qu’ils attendaient. Erreur. Ce sont les formations qui énoncent ce qu’elles attendent des élèves, pour augmenter leur chance de réussir. Elles l’ont fait en quelques mois. Ainsi, le gouvernement fait dire aux universités à l’adresse des lycéens : « Tu aurais dû deviner ce que j’attendais de toi. » Or le minimum quand on définit des « attendus » est d’attendre que celui dont on attend « l’attendu » en ait connaissance. Responsabiliser les élèves serait leur permettre de se préparer à remplir les attendus. Or, cette année au moins, les « attendus » étaient inattendus. De là à penser que le gouvernement tend à préparer ces jeunes à ne pas hiérarchiser leurs préférences et à plier sans attendre…
Certains ont eu dix « oui » ou auront dix « oui » avant fin mai. D’autres auront dix « en attente » qui voudront peut-être dire « non ». Et que faire des « oui, si » ? Si « oui, si » veut dire « oui », il faut des moyens car derrière le « si » la formation doit proposer quelque chose pour que le « si » ait ce sens. Sinon, le « oui, si » sera simplement un échec attendu, un « on t’avait prévenu ».
Le 22 mai, sur 812 000 candidats, 419 000 étaient en attente d’une place. Le 24 mai, ils sont 32 0141 à attendre tout en préparant leur bac. Ils ont fait, en moyenne, 7,7 vœux. Ainsi, Parcoursup donne à ce jour près de 2 350 000 réponses « en attente ».

Class(err)ements

Dès l’automne, des personnels de l’université ont dénoncé le fait qu’on les faisait marcher sur la tête en se payant celle des candidats. Rien à faire, « la machine à classer » était en marche. Le gouvernement et les universités ont prétendu que les classements étaient sans déclassement, assurant que tout le monde aurait une place ; pas de casse ; le processus est dynamique puisque les candidats bien classés vont sélectionner un vœu et ainsi libérer des places. Les « premiers de cordée » s’incarnent sur les écrans. Dans les témoignages publiés depuis le 22 mai, la compétition sévit. A la hiérarchie des vœux se substitue la hiérarchie des bulletins, des lycées, des facs. Pourtant sur ces classements, il y a tant à dire.
Ainsi, le « taux de sectorisation » défini par les « méthodologies » modifiées cent fois par les rectorats, ne tombe que mi-mai. Une semaine seulement avant les premiers appels, chaque établissement apprend le pourcentage d’étudiants domiciliés en dehors de son secteur qu’il pourra… « recruter ». Les mots sont là, l’université-entreprise. Pour les filières dites en tension, quand tu classes, tu chasses. Même sans bac on comprend que si le nombre de candidatures dépasse le nombre de places, le classement est une sélection.
Les lettres de motivation des lycéens, les appréciations des enseignants du lycée ont été transformées en chiffres. Comment traduire en note « élève sérieuse mais résultats encore irréguliers » ? Derrière la promesse de l’algorithme scientifique et juste, c’est la mise en chiffre aléatoire. Chassez le tirage au sort d’APB, il revient, masqué et encore plus fort, avec Parcoursup. Ces appréciations en chiffres mélangées avec quelques notes bien piochées, ce que le langage bureaucratique appelle le lissage de la logique algorithmique, ont donné par exemple en licence de droit à Nanterre environ 4 000 ex aequo sur 8 000 ! Pour départager prend-on une décimale ? Insuffisant. Deux ? Encore un effort. Il en a fallu au moins trois. Orientation active entre 13,447 et 13,448 ? « Oui » ou « oui si » ? En attente ? Des éléments de langage pour ne pas dire qu’il n’y a pas de place pour tout le monde, que 18 ans n’ont pas suffi pour voir venir le baby-boom grandir.

Qui débloque ?

Des personnels des universités considèrent que, sans le dire, le gouvernement bloque l’inscription des lycéens dans l’enseignement supérieur public, tout en faisant porter le chapeau aux acteurs de terrain : aux établissements du supérieur qui ont défini leurs attendus et classé les candidatures ; aux lycéens qui n’ont pas choisi une formation à leur niveau. Des étudiants ont flairé la mascarade et se sont mobilisés pour les cohortes d’après. Ni le gouvernement ni l’université n’ont écouté. Les instances ont avancé comme une mécanique au service de l’algorithme. Alors ils ont bloqué l’université et les examens. Le blocage a fait naître des débloqueurs. On s’invective. Bloquez. Débloquez. Les forces de l’ordre interviennent, arrêtent.
Certains considèrent qu’il faut continuer à bloquer car seuls les blocages rendent la mobilisation visible. Quant aux étudiants ni bloqueurs ni anti-bloqueurs, ils sont bloqués. Ils attendent qu’on évalue qu’ils ont compris ce qu’on attendait d’eux. Ils comprennent que le gouvernement a bloqué l’université aux lycéens mais ne voient pas en quoi le blocage de leur examen peut faire bouger le gouvernement. Pis, même si le déblocage avait lieu, le calendrier paraît bloqué. Impossible de tout reculer de trois semaines. Alors les enseignants-chercheurs qui ont formulé des attendus sur le maniement de l’expression écrite et orale sont finalement prêts à faire des QCM en ligne pour se conformer aux temps impartis du calendrier universitaire, comme si rien ne s’était passé. Même si les étudiants débloquaient, seraient-ils les seuls à débloquer ?