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Lettre ouverte des lycées du 93 au ministre Blanquer - blog de Médiapart, 22 octobre 2018

lundi 22 octobre 2018, par Laurence

Des enseignants de lycées en Seine-Saint-Denis déplorent les conditions « déplorables » dans lesquelles leur rentrée se déroule entre sureffectifs et violences autour des établissements.

Monsieur le ministre,

Nous, enseignants de lycées du 93, sommes dans l’incompréhension depuis ce début d’année scolaire.

Nous avons alerté le rectorat et la région Ile-de-France sur les conditions déplorables dans lesquelles notre rentrée se déroule. Nous avons fait plusieurs journées de grève, nous nous sommes exprimés dans la presse, nous avons envoyé des courriers aux différentes instances responsables, nos élèves se sont mobilisés ainsi que leurs parents. Vous vous félicitez pourtant que cette rentrée soit « réussie techniquement » dans votre audition à l’Assemblée Nationale le 3 octobre.

Ne nous avez-vous pas lus, entendus, compris ? Croyez-vous qu’avec le temps nous allons nous habituer ? Les différents témoignages de nos lycées décrivent des établissements en sureffectifs (les classes à 35 deviennent la règle), des personnels enseignants, CPE, AED en nombre très insuffisant et de graves problèmes de violence que la nomination de proviseurs-adjoints gendarmes ne saurait enrayer. Certains d’entre nous occupent des locaux vétustes. Et lorsque la rénovation est mise en œuvre, elle se fait en dépit du bon sens, sacrifiant les conditions de travail d’enseignants et élèves pour plusieurs années. Pensez-vous qu’il ne vous appartient pas de veiller à des conditions d’apprentissage décentes ? N’est-il pas de votre responsabilité de demander à la région de respecter les conditions de travail et d’assurer la sécurité des lycéens de Seine-Saint-Denis ?

Nos salles des profs sont peuplées d’enseignants passionnés, enthousiastes, qui aiment leur métier. Si nous avons décidé de nous mettre en grève durant ce premier mois de cours, c’est parce que nous nous sentions méprisés et instrumentalisés pour gérer une situation dont nous n’étions pas responsables, et nous l’avons dit. Nous sommes aussi très inquiets pour l’avenir. Tandis que nos lycées vacillent, vous annoncez des réductions de postes ; tandis que nos élèves sont toujours plus nombreux, vous prévoyez moins de personnel et une charge de travail toujours plus lourde. Nous n’en serons pas les seules victimes, les élèves et leurs familles le seront aussi. On nous a déjà retiré le statut de zone d’éducation prioritaire qui nous garantissait des moyens spécifiques et tellement nécessaires pour assurer l’encadrement des élèves. Les lycées sont dangereusement appauvris alors que rien dans leur nature n’a changé.

Car oui, l’enseignement en banlieue demande un investissement particulier, de l’énergie, c’est un métier parfois éprouvant mais, si nous sommes dans nos lycées, c’est par choix, parce que nous voulons y être. Nos équipes se forment et s’enracinent dans cette passion commune. Mais notre vocation tiendra-t-elle face à l’épuisement et à l’indifférence ? Pensez-vous que nous saurons être aussi proches de nos élèves, les aider et veiller à leur réussite comme nous le faisons si nous sommes toujours moins nombreux ? Il nous faut aussi et en toute urgence des moyens adaptés à nos lycées, à leur environnement, au taux de natalité de nos départements. Nous n’avions pas le statut d’éducation prioritaire par hasard.

Monsieur le ministre, nous n’avons pas confiance en cette « école de la confiance » que nous voyons se profiler. Notre situation est difficile, ne la rendez pas intenable avec une réforme précipitée. Ne dénaturez pas notre mission avec des modèles inspirés de l’entreprise. N’essayez pas d’introduire une logique de signalement pour le moins ambiguë en guise de défense de la laïcité. Ne transformez pas le métier d’enseignant si passionnant et si humain en une tâche impersonnelle et mécanique au service du formatage des cerveaux plutôt qu’à l’émancipation des esprits. Ne mettez pas en danger le lien social tissé au lycée en rendant notre tâche impossible. Enfin, ne nous chassez pas de nos établissements.

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