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ParcourSup : mécanique d’une sélection sociale - Tribune de Pierre Ouzoulias, 29 octobre 2018

jeudi 1er novembre 2018, par Mariannick

À lire ici (Tribune pour le journal du groupe CRCÉ Initiatives d’octobre 2018 ; et retrouver aussi toutes les interventions du sénateur Ouzoulias)

La rentrée universitaire passée, les conséquences de la loi « Orientation et réussite des étudiants » se dévoilent progressivement, malgré l’intense communication gouvernementale qui célèbre le succès de Parcoursup. Frédérique Vidal se félicite même que cette nouvelle procédure ait permis de « favoriser la démocratisation des études supérieures ». Les premières données publiées parcimonieusement par son ministère révèlent une tout autre réalité. Deux chiffres témoignent, à eux seuls, de l’ampleur du processus d’élimination réalisé par Parcoursup.

Cette année, le nombre de candidat·e·s reçu·e·s au baccalauréat a augmenté de 5,3 %, mais le nombre d’étudiant·e·s ayant accédé à l’enseignement supérieur n’a progressé que de 2,2 %. Autrement dit, la procédure a découragé un grand nombre de lycéen·ne·s de poursuivre leurs études au-delà du baccalauréat. Ainsi, 22 % des inscrit·e·s ont quitté la plateforme sans affectation, soit un pourcentage deux fois plus important que celui de l’an passé. In fine, il est fort probable qu’environ 200 000 candidat·e·s aient été écarté·e·s de l’enseignement supérieur. Ces naufragé·e·s de Parcoursup ont disparu des statistiques officielles et très peu ont saisi les commissions de recours des rectorats. La réussite de Parcoursup est là : avoir dissuadé celles et ceux qu’Emmanuel Macron considérait comme « inadapté·e·s » quand il déclarait que « l’université n’est pas la solution pour tout le monde ».

Insidieusement, mais avec une grande efficacité, les nouvelles dispositions de Parcoursup, dont l’absence de hiérarchisation des vœux, ont favorisé les candidat·e·s que les établissements de l’enseignement supérieur voulaient accueillir prioritairement. Les autres ont dû patienter pour choisir ou accepter, souvent par défaut, les offres restantes. À la violence de l’absence de proposition s’est ajoutée une attente qui s’est souvent prolongée jusqu’à la phase complémentaire de la procédure. Les principales victimes de ce traitement discriminatoire sont principalement issues des filières technologiques et professionnelles. C’est la triste réalité révélée par les statistiques publiées par les services du ministère de l’enseignement supérieur. Ainsi, aux différentes étapes de la procédure, ces candidat·e·s ont systématiquement dû pâtir de traitements moins favorables que celles et ceux issu·e·s des filières générales : moins de propositions, plus d’attente, plus d’échecs.

Le bilan ParcourSup en quelques chiffres

nombre moyen de propositions
Bac général 4,2
Bac technologique 2,8
Bac professionnel 2,2

nombre moyen de jours avant la 1e proposition
Bac général 4
Bac technologique 12
Bac professionnel 17

% de candidats avec une proposition le premier jour

Bac général 71
Bac technologique 50,3
Bac professionnel 45,3

% de candidats acceptant une proposition
Bac général 84,2
Bac technologique 75,6
Bac professionnel 65,2

Source : Note Flash du SIES, n° 17, octobre 2018

À la fin de la procédure principale, seule un peu plus de la moitié des candidat·e·s de la filière professionnelle ont reçu une proposition acceptable. De la même façon, c’est dans les filières technologiques et professionnelles que l’on trouve les proportions les plus importantes d’abandons, malgré une proposition positive. La non hiérarchisation des vœux rend difficile une analyse qualitative de Parcoursup. Néanmoins, le service statistique du ministère de l’enseignement supérieur a tenté d’apprécier les choix des candidats en évaluant la « filière de formation la plus demandée dans la liste de leurs vœux ». Sans surprise, ce sont de nouveau les candidat·e·s souhaitant intégrer les formations préparant les brevets de technicien supérieur (BTS) ou les diplômes universitaires de technologie (DUT) qui ont obtenu, en moindres proportions, des offres satisfaisantes. À l’inverse, plus de 93 % des personnes qui souhaitaient intégrer la première année commune aux études de santé (PACES) ont obtenu une réponse favorable.

Le bilan ParcourSup en quelques chiffres

Obtention d’une proposition lors de la phase principale
Bac général 80,5 %
Bac techno 65 %
Bac pro 52,2 %

Démission avec une proposition positive

Bac général 12,8 %
Bac techno 16,9 %
Bac pro 23,6 %

Répartition des propositions acceptées

PACES 93,6 %
Licence 87,5 %
BTS 73,5 %
DUT 61,6 %

Cette sélection discriminatoire a été réalisée directement par les établissements de l’enseignement supérieur au moyen des « algorithmes locaux ». Dès le vote de la loi, le groupe CRCÉ a demandé la plus grande transparence sur les modalités d’examen par ces établissements des dossiers collectés par la plate-forme nationale Parcoursup. La ministre de l’enseignement supérieur et le secrétaire d’État chargé du numérique en ont longtemps contesté l’existence. La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), saisie par mes soins, a admis qu’ils étaient communicables et m’a informé que le ministère ne les connaissait pas et qu’il était donc dans l’incapacité de me les transmettre ! Voilà donc une procédure dont la ministre nous explique qu’elle a été beaucoup plus transparente que la précédente et dont elle dit pourtant ignorer les conditions locales de sa mise en œuvre !

Sur le fondement légal de l’avis de la CADA, les sénatrices et sénateurs du groupe CRCÉ ont donc saisi plusieurs universités pour obtenir la communication de ces « algorithmes locaux ». Pour des raisons pédagogiques et juridiques évidentes, il nous a semblé nécessaire que les candidat·e·s soient informé·e·s des critères de sélection de leurs dossiers. Au-delà de ces actions qui relèvent de la mission de contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement, le groupe CRCÉ continuera de demander l’abrogation de la loi « Orientation et réussite des étudiants » parce que nous considérons que le baccalauréat doit demeurer un diplôme national et anonyme qui donne librement accès à l’enseignement supérieur.

La loi « ORE » apparaît aujourd’hui telle que nous l’avions dénoncée lors de sa discussion au Sénat : une loi de gestion de la pénurie qui organise la sélection sociale pour écarter de l’enseignement supérieur les bachelier·e·s supplémentaires. Nous considérons, à l’inverse, que ces jeunes qui souhaitent poursuivre leur parcours d’étude ne sont pas un problème mais une chance pour notre pays et nous proposerons, lors de la prochaine discussion budgétaire, des moyens supplémentaires pour permettre à l’enseignement supérieur de les accueillir.