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Frais d’inscription des étudiants : une gratuité coûteuse - Paul Cassia, blog sur Mediapart, 14 octobre 2019

mardi 15 octobre 2019, par Elie

En dépit de la règle constitutionnelle claire et intangible de gratuité de l’enseignement public à tous les niveaux, le Conseil constitutionnel a décidé de manière arbitraire et inintelligible qu’il était possible de faire payer des droits d’inscription « modiques » dans le supérieur.

Vendredi 11 octobre 2019, la plupart des médias ont véhiculé deux fausses informations.

La plus retentissante par son ampleur et son évidence concerne un fait divers : la prétendue arrestation à Glasgow de Xavier Dupont de Ligonnès, mis en cause pour avoir assassiné sa famille en 2011.

L’autre fausse information est moins facile à identifier ; elle porte sur des éléments de nature juridique.

En effet, à suivre les commentaires instantanés publiés sur les réseaux sociaux et dans les médias, il faudrait tenir pour acquis que, par sa décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019, Union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales et autres, le Conseil constitutionnel aurait « consacré » le principe de gratuité de l’enseignement supérieur public. C’est en tout cas ce que l’on pouvait lire des premiers comptes rendus de cette décision (v. par ex. : Marie-Estelle Pech, « Etudiants étrangers : le Conseil constitutionnel consacre la gratuité », lefigaro.fr, 11 octobre 2019 ; Camille Stromboni, « Gratuité de l’enseignement supérieur : cinq questions sur la décision du Conseil constitutionnel », Le Monde, 13-14 octobre 2019, p. 9 : «  vendredi 11 octobre, le Conseil constitutionnel a consacré le principe de ‘gratuité’ de l’enseignement supérieur »), sous la plume d’auteurs et d’autrices qui n’avaient peut-être pas à l’esprit le texte même de la Constitution française.

Celui-ci est pourtant ancien et d’une rare limpidité.

Gratuité de l’enseignement public à tous les degrés

Le 13ème alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui fait partie de la Constitution de la Vème République, comporte une seconde phrase ainsi rédigée : « L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ».

Il n’est pas inutile de rappeler, ainsi qu’il ressort du préambule de ce Préambule, que les droits et libertés qu’il véhicule sont des « droits inaliénables et sacrés ».

C’est donc la Constitution elle-même, et en aucun cas le Conseil constitutionnel appelé à se prononcer sur la règle de droit invoquée par les demandeurs au soutien de leurs prétentions, qui « consacre » la gratuité de l’accès à l’enseignement public.

A cet égard, chacun sait que les enseignements publics dans le primaire et dans le secondaire sont effectivement gratuits pour les élèves et leurs parents – c’est-à-dire financièrement pris en charge par les contribuables nationaux – quel que soit le revenu des familles des élèves, ainsi que le rappellent les articles L. 132-1 (« L’enseignement public dispensé dans les écoles maternelles et les classes enfantines et pendant la période d’obligation scolaire définie à l’article L. 131-1 est gratuit ») et L. 132-2 du Code de l’éducation, lequel vise au surplus certains enseignements dispensés à des néo-bacheliers (« L’enseignement est gratuit pour les élèves des lycées et collèges publics qui donnent l’enseignement du second degré, ainsi que pour les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles et à l’enseignement supérieur des établissements d’enseignement public du second degré »).

Il aurait été indispensable, pour la parfaite application de la Constitution par les pouvoirs publics, que le Code de l’éducation comporte une disposition comparable pour tous les établissements de l’enseignement supérieur public (et donc pas seulement pour les classes préparatoires aux grandes écoles), ainsi que le prévoyait l’article 3 de la belle et courte loi du 18 mars 1880 relative à la liberté de l’enseignement supérieur (abrogé le 26 février 1887) qui disposait que « les inscriptions prises dans les facultés de l’État sont gratuites ».

Les établissements de l’enseignement supérieur public entrent évidemment dans le champ de l’alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946, puisque le supérieur est à la fois un « degré  » de l’enseignement public au sens de la seconde phrase de cet alinéa – c’est le plus élevé des degrés, celui qui est « supérieur  » aux autres, le troisième degré donc –, et que la première phrase de cet alinéa se réfère indifféremment « à l’enfant et l’adulte ». Aussi, c’est avec stupeur que l’on peut lire, dans les écritures produites le 19 août 2019 par le Premier ministre devant le Conseil constitutionnel, au nom de la République française, sous le visa de la devise de la République et à la signature d’un membre du Conseil d’Etat (la directrice des affaires juridiques du ministère de l’Enseignement supérieur est elle aussi membre du Conseil d’Etat, tout comme le président et le secrétaire général du Conseil constitutionnel ; dans le contentieux de la légalité des frais d’inscription des étrangers extracommunautaires, il n’y a donc guère que les requérants qui n’ont aucun lien avec le Conseil d’Etat), que la règle constitutionnelle de gratuité « renvoie nécessairement au seul enseignement scolaire, qui ne se compose que d’un premier et d’un second degrés ». Fort logiquement, le Conseil constitutionnel a rejeté cet argument fallacieux dans sa décision du 11 octobre 2019, considérant que « l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public » (pt 6).

Cette gratuité à tous les degrés de l’enseignement public prévue à la seconde phrase du 13ème alinéa, qui est bien davantage qu’une simple « exigence  » en dépit de la manière dont le Conseil constitutionnel en a rétréci la portée, a pour finalité de permettre à la Nation d’atteindre les trois objectifs puissamment émancipateurs et modernes énoncés dans la première phrase : garantir « l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». Les établissements de l’enseignement supérieur public prennent gratuitement, à l’égard des adultes qui le souhaitent, le relais de ceux du primaire et du secondaire. Quel privilège formidable de vivre dans une Nation qui élève l’enseignement public au rang de bien commun universel !

Législation prévoyant des frais d’inscription dans le supérieur

Toutefois, cette règle constitutionnelle intangible de la gratuité de l’enseignement supérieur public ne trouve pas de translation législative, tout au contraire.

En effet, pour l’enseignement supérieur, l’article 48 de la loi de finances n° 51-598 du 24 mai 1951 prévoit que « seront fixés par arrêtés du ministre intéressé́ et du ministre du Budget (...) Les taux et modalités de perception des droits d’inscription, de scolarité́, d’examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l’État ». Cet article est toujours en vigueur aujourd’hui et c’est sur son fondement par exemple qu’a été pris l’arrêté interministériel du 19 avril 2019 relatif aux droits d’inscription dans les établissements publics d’enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l’enseignement supérieur, lequel a prévu une hausse des droits d’inscription pour certains étudiants extracommunautaires (comme traduction juridique du programme dit « Bienvenue en France » : v. « Augmenter les frais d’inscription des étudiants étrangers ? Pas en mon nom », 22 novembre 2018), dont la contestation est à l’origine de la décision du Conseil constitutionnel du 11 octobre 2019. Au surplus, l’article 719-4 du Code de l’éducation, issu d’une loi du 26 janvier 1984, prévoit que les établissements publics d’enseignement supérieur « reçoivent des droits d’inscription versés par les étudiants et les auditeurs ».

Codicille constitutionnel

Il n’est guère besoin d’être juriste pour déduire de la lecture du texte limpide du 13ème alinéa du Préambule de 1946 que le troisième et dernier degré de l’enseignement public doit être tout aussi gratuit que les deux autres. Chacun est évidemment libre de s’en réjouir ou de le déplorer, peu importe : qu’on le veuille ou non, ainsi est rédigée la Constitution de la Vème République française, laquelle doit être scrupuleusement appliquée ou, le cas échéant, modifiée – avec tous les risques symboliques que de telles modifications impliquent s’agissant de droits énoncés comme « sacrés  ». Seule cette application notariale de la Constitution aurait été susceptible d’ébranler l’ensemble du système de l’enseignement supérieur public français, en plaçant enfin les établissements du supérieur sur le pied d’égalité financière qui aurait dû être le leur depuis 1946.

En revanche, il est nécessaire d’être juriste pour parvenir à tordre – violer, insistons-y – la Constitution tout en feignant de la respecter, ainsi que l’a fait le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 octobre 2019. Ce dernier a en effet ajouté au Préambule de 1946 la prescription permissive suivante : la gratuité seule prévue par la Constitution « ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants ».

Ainsi, non seulement le Conseil constitutionnel n’a pas lui-même « consacré » une disposition constitutionnelle qui lui préexistait, mais il a dévoyé la Constitution dont il est pourtant l’un des gardiens, en faisant de la règle générale et absolue de gratuité un droit aliénable et relatif dans le champ de l’enseignement supérieur : il a diminué, rétréci, scarifié, une liberté fondamentale constitutionnelle qui ne souffre pourtant aucune exception ni atténuation.

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