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Journées SHS de l’ANR : Frédérique Vidal se dévoile - 26 février 2020

mercredi 26 février 2020, par Mariannick

Lire le compte-rendu sur le site d’Université Ouverte ici.

Interpellée par les facs et labos en lutte, Vidal précise les orientations de la LPPR et c’est brutal !

Dans le cadre des journées sciences humaines et sociales (SHS) organisées par l’Agence nationale de la recherche les 25 et 26 février, des chercheur·ses et enseignant·ses-chercheur·ses en lutte sont intervenu·es [1] pour interpeller la ministre sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), la précarité, le financement de la recherche et la politique de l’emploi scientifique.[…]

Frédérique Vidal a précisé le contenu de la LPPR, confirmant ainsi les pires craintes des personnel·les et usagèr·es de l’ESR mobilisé·es.
Selon la ministre, il faut renoncer à l’objectif, qualifié d’ »incantatoire », de 3% du PIB pour la recherche, au profit d’une démarche de « refinancement », de « sécurisation de l’investissement » et de contractualisation. Pour favoriser « l’attractivité » (qui est pourtant un faux problème si l’on considère le nombre de candidat·es par poste, parfois plus de 100), Frédérique Vidal a réaffirmé qu’elle donnerait quelques miettes aux nouvelles et nouveaux recruté·es : une minuscule augmentation de la rémunération à l’entrée en fonction. Quant à la part la plus importante de l’investissement pour la recherche, elle viendra en réalité clairement de deux sources. D’un côté, la ministre souhaite renforcer l’ANR pour la mettre au niveau des agences de financement des autres pays (évidemment présentés comme des modèles de performance). Pour cela, elle entend réaffecter les crédits des laboratoires pour soutenir les dépôts de projets – en échange de quoi une partie de l’argent bénéficierait aux laboratoires dans leur ensemble. Cela ne fait que confirmer la logique de financement conditionnel des unités de recherche, qui accentuera encore les inégalités entre laboratoires riches et pauvres, contre la nécessité d’un financement public, égalitaire, récurrent et inconditionnel. D’un autre côté, il s’agit pour Frédérique Vidal de favoriser les investissements privés, pour arriver à deux tiers du financement de la recherche sur fonds privés. Elle feint ainsi d’ignorer le poids déjà démesuré du Crédit d’impôt recherche, qui ponctionne 6 milliards d’euros par an au budget public, alors qu’on connaît la quasi-nullité de ses effets sur la production scientifique.

Enfin, Frédérique Vidal a réintroduit, sous une forme euphémisée, la modulation des services. Sans officiellement mettre en question la règle des 192h équivalent TD de cours pour les enseignant·es-chercheur·ses titulaires, elle a annoncé vouloir multiplier les opportunités de réduction du service d’enseignement des plus « productif·ves »  : augmentation des places à l’Institut universitaire de France (IUF), du nombre de délégations au CNRS et de congés de recherche et conversion thématique (CRCT), des décharges de cours pour les porteur·ses de projets ANR. Ces éléments pèseront davantage sur les personnels BIATSS et les collectifs enseignants (les heureux·ses lauréat·es de projets pourront ainsi se décharger auprès de leurs collègues non-lauréat·es car moins chanceux·ses ou précaires, déjà à la limite du burn out), puisque la création d’emplois titulaires ne figure pas dans la LPPR. Quant aux CRCT, la ministre parle d’un « idéal » : une année sabbatique tous les sept ans. Si cela peut se présenter comme le rêve de tout·e enseignant·e-chercheur·se, ce n’est pas un « idéal », c’est un droit, pour tou·tes les enseignant·es-chercheur·ses titulaires depuis le décret de 1984 fixant les dispositions statutaires du métier ! Même si effectivement ce droit est resté lettre morte jusqu’à présent, faute de moyens garantissant son exercice.

Ces annonces illustrent et manifestent pleinement la logique profondément inégalitaire de la LPPR à venir. Pire encore, Frédérique Vidal a bien mis en avant que l’essentiel des transformations seraient faites par circulaires et décrets, sans examen par la représentation nationale ni débat public. Comme elle l’annonce tranquillement, la LPPR visera à [rouge]« faire sauter les verrous législatifs »[/rouge], c’est-à-dire les quelques dispositions qui protègent encore les travailleur·ses et usagèr·es de l’enseignement et de la recherche de l’arbitraire total au sein des établissements et des inégalités entre établissements.

À la question de la précarité, la réponse de la ministre a été étonnante : ce n’est pas son problème ! Le ministère donne des crédits, mais c’est aux établissements de mener leur politique de recrutement. Elle rappelle à juste titre que le précédent gouvernement a annoncé 5000 postes, et qu’aucun n’a été créé. Dès lors, plutôt que de demander aux établissements d’honorer ces promesses d’emploi, la ministre préfère simplement ne plus en faire ! Plutôt qu’une véritable politique d’emploi, la ministre envisage des contrats d’objectifs et de moyens avec les établissements, pour leur donner une « visibilité ». [rouge]« Les emplois, ce n’est pas mon travail »[/rouge], conclut la ministre.

En tout cas, pas les emplois titulaires. En revanche, elle ne tarit pas d’éloges sur les post-doctorant·es, les CDI de projet, financé·es par contrats successifs, lesquel·les, à la différence des fonctionnaires, pourront être licencié·es si nécessaire (la ministre préfère parler de « rupture de contrat »).


[1Lettre ouverte à télécharger