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Qu’est-ce qui fait courir Luc Chatel ? - Maryline Baumard, Le Monde, 9 février 2011

mercredi 9 février 2011

A l’heure où les enseignants se préparent à descendre dans la rue, ce 10 février, pour manifester contre le budget 2011, le ministre de l’éducation Luc Chatel enchaîne les annonces. Anglais pour tous dès le plus jeune âge, calcul mental tous les jours… La liste des discours et des sujets abordés est longue et variée.

Déchu de sa fonction de porte-parole du gouvernement au dernier remaniement, on ne l’entendait plus beaucoup depuis la fin de l’automne. Jusqu’au 23 janvier. Ce dimanche-là, il annonce sur Europe 1 son souhait de "révolutionner l’enseignement de l’anglais dans ce pays". Ni plus ni moins.

Deux jours après, mardi 25 janvier, le voilà qui s’occupe des rythmes scolaires, précisant ses priorités sur le sujet au groupe de travail en charge de la question. Cinq jours après, ne baissant pas le rythme, le ministre hyperactif passe aux sciences. Sous l’habillage d’un pompeux "plan sciences", le voilà qui annonce vingt minutes de calcul mental par jour pour les enfants de l’école primaire !

Le tout est assorti d’une série de mesures extra-scolaires. Que des sujets qui n’imposent pas de mettre la main au portefeuille. Ici il fait travailler les associations, là il monte des conventions avec des entreprises… Sa dernière nouveauté est l’annonce, le 2 février, qu’un coup de pouce serait donné à l’enseignement de l’arabe. Une langue vivante qui doit, aux dires du ministre, bénéficier d’une campagne dans chaque académie.

La veille, il se disait sûr qu’il allait falloir repenser le temps de travail des enseignants : "réfléchir plutôt en temps de présence qu’en temps de service". Un sujet explosif, qu’il posait là comme un débat à ouvrir en vue de la prochaine campagne présidentielle.

Emporté dans sa frénésie d’annonces, Luc Chatel doit parfois y revenir pour en relativiser la portée. Sa grande révolution de l’enseignement des langues vivantes – qui consistait surtout, telle qu’annoncée le 23 janvier, à mettre des enfants de trois ans devant un ordinateur –, a été relativisée le 2 février par l’idée qu’il faudrait que cet enseignement soit pris en charge par les enseignants de collèges et de lycées. Une jolie manière d’enterrer le sujet à l’heure où la rentrée 2011 se prépare à flux tendu.

CARAMBOLAGE

Le 8 février, c’est le passage des 356 collèges les plus difficiles en "établissements expérimentaux" – où les enseignants seront choisis par les chefs d’établissements – qui est remis en cause devant les parlementaires. M. Chatel recule sur ce changement prévu pour la rentrée prochaine, précisant qu’il "se fera progressivement". L’opération avait pourtant été annoncée par un ex-recteur en charge du dossier, mi-janvier, et bel et bien confirmée par le ministère pour la rentrée 2011. Comme si le ministre mesurait tout à coup que le changement d’échelle de cette expérimentation de l’autonomie était hautement explosif.

Que penser de ces rafales d’annonces ? De ces infos qui s’annulent en se carambolant ? Pour expliquer cette attitude, plusieurs raisons se superposent. D’une part, ce début d’année est marqué par l’élaboration d’une rentrée scolaire de septembre très serrée. La journée du 11 février en est la preuve. Sur le terrain, 16 000 postes sont en train d’être coupés. Ecoles, collèges, lycées, tous les degrés d’enseignement sont au régime sec. Les classes préparatoires sont en train de négocier une dotation horaire qui supprime les options non obligatoires. Des fermetures d’écoles sont envisagées.

Quel ministre ne serait pas tenté de détourner les regards de l’opinion et des médias ? Sans compter qu’il n’est pas si simple d’exister pour un ministre de l’éducation quand le président de la République a intégré l’éducation à son périmètre d’intervention. Qui a imposé les internats de réinsertion ? Qui a inventé l’accompagnement scolaire ? Pas le locataire de la rue de Grenelle, ni son prédécesseur...

L’heure approche, pourtant, du moment où le ministre devra faire son bilan. Luc Chatel cherche à capitaliser. Placement d’avenir ? Ou fonds perdus ?


Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/